jeudi 31 décembre 2009

Brésil: l'armée intimide Lula

Les militaires brésiliens, qui avaient dirigé le pays d’une main de fer entre 1964 et 1985, ne sont pas vraiment rentrés dans leurs casernes. Ils viennent de le rappeler au président Lula en bloquant un projet de loi qui prévoyait notamment la création d’une Commission de la vérité, chargée d’examiner les crimes contre l’humanité commis par l’armée lors de cette période noire.
Le 22 décembre, le ministre de la Défense Nelson Jobim et les commandants suprêmes de l’armée de terre, de la force aérienne et de la marine ont présenté leur démission pour couler ce projet. Et le président a fait marche arrière, bloquant la soumission de ce texte au Congrès.
Durant la dictature, initiée par le coup d’Etat de 1964 contre le gouvernement social-démocrate de Joao Goulart, les militaires se sont rendus coupables d’innombrables crimes et atteintes aux droits de l’Homme. Lors de la période de transition vers la démocratie, ils se sont taillé une loi d’amnistie bien seyante, dont ont également bénéficié les opposants qui s’étaient engagés dans la lutte armée.
Depuis lors, aucun militaire n’a été jugé. Une chape de plomb est tombée sur le pays. L’oubli est devenu une politique officielle, comme s’il était possible de bâtir une vraie démocratie sur le silence et l’impunité.
Rassurés par cette complaisance, les militaires se sont arrangés pour conserver une part importante de leur pouvoir, en contrôlant notamment l’industrie de l’armement, source de prébendes corporatistes, et en gardant la haute main sur la politique de sécurité du pays.
Au cours de ces deux mandats, le président Lula a cherché à amadouer l’armée en approuvant une hausse des contrats d’armements (notamment avec la France). L’émergence du pays comme puissance régionale et globale, les zones de tension aux frontières (Venezuela, Colombie…), le « rééquipement » de nombreuses armées sud-américaines et l’essor exponentiel du trafic de drogue, ont fourni l’alibi de cet accroissement.
Ancien héros de l’opposition au régime militaire, Lula sait, toutefois, que sa réputation et la crédibilité de son parti (Parti des travailleurs) dépendent aussi d’une prise en considération de la mémoire des victimes de la dictature.
Le Tribunal suprême fédéral est en train d’examiner un recours sur la levée de la loi d’amnistie. Si cette loi était supprimée, des procès pourraient être entamés contre des membres de l’Establishment militaire, une perspective qui inquiète le président Lula, très conscient de la démilitarisation insuffisante de son pays et de la persistance du poids de cet Etat profond, fondé sur les services de renseignement, les bandes paramilitaires, grands propriétaires ruraux, qui constitue un garrot autour de la démocratie et de l’Etat de droit.

mercredi 30 décembre 2009

Vers de nouvelles sanctions américaine contre le pouvoir iranien

L'administration Obama prépare de nouvelles sanctions contre les autorités iraniennes. Objectif: frapper au coeur du pouvoir, les Gardes de la Révolution, et protéger la population des effets collatéraux d'une plus grande pression internationale.
A lire: l'article du Washington Post

http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/12/29/AR2009122903415_2.html?wpisrc=newsletter

Chine: la politique du bras d'honneur

La Chine, comme toute civilisation millénaire, a le sens des symboles : elle a inculpé Liu Xiaobo le 10 décembre, le jour anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et l’a condamné à Noël. Guerre sur la terre aux hommes de bonne volonté.
Son crime ? « Tentative de subvertir l’ordre socialiste ». La Charte 08 qu’il a lancée l’année dernière n’est pourtant pas un brûlot anarchiste. Elle demande tout simplement aux autorités chinoises de respecter leur propre Constitution et les engagements internationaux auxquels elles ont librement souscrit.
Le régime a voulu intimider ceux qui contestent son règne mais il a surtout démontré qu’il n’avait cure des réactions de la communauté internationale. La condamnation à mort, mardi, d’un ressortissant britannique accusé de trafic de drogue est venue confirmer cette politique du bras d’honneur adressé au reste du monde.
Ceux qui avaient voulu ménager la Chine l’été dernier en se gardant de critiquer les Jeux olympiques en sont pour leurs frais. Le gouvernement chinois n’est pas amadoué par la politique d’apaisement et il considère les courbettes comme un signe de faiblesse et non pas comme une marque de respect.
Le Haut Commissaire aux droits de l’homme (la juge sud-africaine Nevanethem Pilay), les Etats-Unis par la voie de son ambassade à Pékin, des chancelleries européennes et bien sûr l’ensemble des organisations internationales de défense des droits de l’homme ont protesté contre ce verdict indigne.
Mais toutes les ambiguïtés n’ont pas disparu. La présidence suédoise de l’Union européenne a bizarrement estimé que la sentence était « disproportionnée », comme si la condamnation de Liu Xiaobo était dans une certaine mesure quand même méritée. Dans sa retenue, l’Europe manque parfois de tenue.
Les dissidents chinois entrent dans une période sombre. Ils estiment en effet qu’ils ne trouveront pas auprès des gouvernements occidentaux l’appui politique dont avaient bénéficié les contestataires de l’ex-bloc soviétique, Andrei Sakharov ou Vaclav Havel. La Chine n’est pas -pas encore ?- une menace stratégique vitale comme le fut l’Union soviétique et elle est une puissance économique émergente qui détient l’une des clés de la sortie de crise.
Dès lors, les droits de l’homme, qui avaient été considérés comme un atout de l’Occident face au Kremlin, sont perçus désormais comme un embarras et une entrave dans les rapports avec la Chine.
Que vaut un dissident face aux bons du Trésor américain ? Que vaut un esprit libre face aux convenances d’Europalia ? De plus en plus dominatrice et sûre d’elle même, la Chine tient l’Occident par la barbichette et démontre, en particulier, l’inconsistance européenne.
Si les gouvernements ont veillé à ne pas aller « trop loin » dans leur dénonciation, toutes les grandes voix morales et intellectuelles, par contre, ont exprimé leur appui au dissident emprisonné. Récemment, à New York, Paul Auster a lu des poèmes qu’il avait adressés à sa femme Liu Xia lors d’un de ses séjours en prison. Liu Xiaobo y décrivait le lever du jour sur un vide immense, les nuits d’amour perdues, le désir d’échapper à ses barreaux et à ses bourreaux.
Un poète accusé d’atteinte à la sécurité de l’Etat ? La dureté du verdict révèle d’abord l’insécurité des autorités et leurs doutes par rapport à leurs propres discours et justifications. Quand un Etat fait un bras d'honneur, il avoue qu'il a perdu son honorabilité.

lundi 14 décembre 2009

Les fantassins de la liberté

Jeudi dernier, sur cette mappemonde meurtrie de mille brasiers d’autoritarisme et de haine, des centaines de milliers de bougies ont brillé dans la nuit. Et elles ont éclairé des centaines de millions de personnes privées de liberté.
Cette année, pourtant, la journée du 10 décembre, qui célèbre l’adoption en 1948 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, avait mal débuté. C’est ce jour emblématique que la Chine a choisi pour inculper Liu Xiaobo de « tentative de subversion de l’Etat ». Ce célèbre dissident, l’un des principaux auteurs de la Charte 08, risque une peine de 3 à 8 ans de prison.
Par ce geste, le gouvernement chinois a voulu indiquer que non seulement il ne se sentait pas tenu par des textes internationaux auxquels officiellement il adhère mais aussi qu’il ne tolérerait aucune pression internationale. Liu Xiaobo figurait, en effet, sur la liste de 11 prisonniers politiques dont Barack Obama avait demandé la libération lors de sa récente visite à Pékin.
Les millions de fantassins de la liberté, militants d’Amnesty International ou activistes des Ligues des droits de l’Homme, ont aussi passé une journée quelque peu orpheline parce que les caméras étaient ailleurs. Elles n’avaient d’yeux que pour Barack Obama à Oslo et pour la conférence sur le changement climatique à Copenhague.
Et pourtant, ces deux événements ont offert un cadre exceptionnel à la journée des droits de l’homme, dans la mesure même où l’état de quiétude ou de belligérance du monde et la santé de la planète ont des conséquences directes sur le respect des droits humains.
L’issue de la guerre en Afghanistan déterminera en grande partie les chances de la démocratie et de la liberté dans cette région convulsée. Elle mettra aussi à l’épreuve les valeurs dont les démocraties occidentales se réclament.
Pour les défenseurs des droits de l’homme, la réflexion ne porte pas seulement sur la notion de « guerre juste », mais aussi sur la manière dont ce conflit sera mené. La doctrine contre-insurrectionnelle, avec son recours aux bombardements aériens et aux milices paramilitaires, a presque toujours débouché sur des bavures et des brutalités, dont les civils ont été les premières victimes. Elle a presque toujours fini par saper l’argument moral invoqué pour justifier la guerre.
Face à ces doutes se profile le spectre tout aussi inquiétant de l’échec, du retour au pouvoir des Talibans et du scénario catastrophe de l’implosion du Pakistan, avec, inévitablement, un désastre pour la liberté, pour la condition des femmes et le sort des minorités.
La conférence de Copenhague sur le changement climatique s’est retrouvée, elle aussi, au cœur de la thématique des droits de l’homme. La dimension guerrière de la crise environnementale n’est plus un scénario de science fiction. Ces dernières années, au Darfour, en Afrique centrale, des centaines de milliers de personnes ont été happées dans des violences en partie provoquées par la dégradation de l’environnement ou par l’exploitation prédatrice des matières premières.
Un peu partout, d’ailleurs, le combat pour l’écologie se confond avec celui des droits de l’homme. De plus en plus, les militants de ces deux mondes, à l’image du lauréat 2009 du Prix Nobel alternatif René Ngongo, se ressemblent et se rassemblent
Ils ont les mêmes rêves de justice et de dignité. Ils ont les mêmes adversaires : les tronçonneurs fous, les empoisonneurs de rivières et les enfumeurs de mégapoles. Ils sont visés par les mêmes assassins : les tueurs à gages des entreprises, des groupes paramilitaires et des bandes criminelles qui tirent profit du massacre de l’environnement.
L’actualité des droits de l’homme ne correspond pas toujours avec les dates commémoratives. Elle surgit souvent à contretemps des calendriers officiels. Ainsi, le 7 décembre, en dépit de la répression brutale, des dizaines de milliers de personnes ont une nouvelle bravé les Basidjis, ces S.A. du régime islamiste. La vague verte a continué à défier l’Ayatolland, cet archipel de l’obscurantisme et de l’arbitraire. Et elle a lancé un magistral pied de nez à tous ceux qui voudraient nous faire croire que les peuples du Sud sont incapables de liberté et de raison.
Le 11 décembre a été tout aussi intense, avec l’ouverture à Buenos Aires du procès de l’ESMA, la sinistre Ecole mécanique de la marine, où, entre 1976 et 1983, des centaines d’opposants à la dictature militaire furent torturés avant d’être drogués, placés à bord d’hélicoptères et projetés dans les eaux de la Plata.
La veille, à Paris, la République française avait honoré de son prestigieux Prix des droits de l’homme une personne sans laquelle, sans doute, ce procès des spadassins argentins n’aurait jamais eu lieu, Horacio Verbitsky, journaliste engagé et figure éminente du CELS (Centre d’études légales et sociales).
Créée lors de la dictature, cette association n’a eu de cesse de dénoncer le terrorisme d’Etat et de collecter des informations sur les disparus. Lorsque les militaires argentins, mis en déroute par Margaret Thatcher aux Malouines, se retirèrent, Horacio Verbitsky et ses amis exigèrent que justice se fasse. Et en dépit des décrets d’amnistie et de la volonté d’amnésie, ils ne baissèrent jamais les bras.
Théoricien du journalisme enquiquineur (« nous sommes le petit caillou dans la chaussure et le sel dans la blessure ») et praticien du journalisme fouineur, Horacio Verbitsky a multiplié au fil des années les révélations sur les turpitudes de l’armée argentine. Ses enquêtes font partie aujourd’hui des dossiers à charge et elles envoient un message sans équivoque à tous les apprentis-dictateurs. « Un jour, la justice vous rattrapera ».
Peu importent, finalement, les « marronniers », ces rendez-vous obligés de l’information. Le 10 décembre, la flamme des bougies a pu paraître frêle, mais elle avait cette « force des sans-pouvoir », comme le disait Vaclav Havel, qui, de Buenos Aires à Téhéran, provoque, tôt ou tard, les basculements les plus lumineux de l’histoire.

mardi 8 décembre 2009

Journaliste? En prison...

Le CPJ (comité pour la protection des journalistes) fait le bilan des journalistes emprisonnés. On y retrouve de plus en plus d'indépendants, c'est-à-dire de freelances.Ils constituent une partie croissante de la profession, ils prennent peut-être plus de risques et ils ne bénéficient pas de la même protection que leurs collègues salariés.

Recensement du CPJ sur les journalistes en prison le 1er Décembre 2009:
les journalistes indépendants en péril

New York, le 8 décembre 2009— Près de 45 pour cent des journalistes emprisonnés dans le monde le 1er Décembre dernier étaient des journalistes indépendants, selon un recensement annuel du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Cette tendance montant reflète l'évolution de l’entreprise de presse à l'échelle mondiale.

Dans son recensement annuel des journalistes emprisonnés, publié aujourd'hui, le CPJ a relevé un total de 136 personnes, notamment des reporters, des directeurs de publication et des photojournalistes, derrière les barreaux en date du 1er décembre courant, soit 11 de plus qu’en 2008. (Lire les comptes-rendus détaillés de chaque journaliste emprisonné.) Cette hausse est liée à une répression massive en Iran, où 23 journalistes sont actuellement en prison.

La Chine reste le pays qui emprisonne le plus de journalistes au monde, un triste record qu’elle détient depuis 11 années consécutives. L'Iran, Cuba, l'Érythrée, et la Birmanie complètent la liste des cinq nations en tête de cette liste de déshonneur qui comprend 26 pays. Chacune de ces dernières nations s’est constamment classée parmi les pires du monde en matière de détention de journalistes.

Au moins 60 journalistes indépendants sont derrière les barreaux dans le monde, soit près du double du nombre enregistré il ya trois ans. Les recherches du CPJ montrent que le nombre de journalistes travaillant en freelance a augmenté du fait de deux tendances: L'Internet a permis aux journalistes indépendants de faire leurs propres publications, et certains organes de presse, vigilants aux coûts, comptent de plus en plus sur ceux-ci plutôt que sur les employés fixes pour assurer une couverture internationale. Les journalistes indépendants sont particulièrement vulnérables à l’emprisonnement parce qu'ils ne disposent souvent pas de l'appui juridique et financier que les organes de presse peuvent fournir aux employés fixes.

«Les journalistes allaient en mission périlleuse, sachant qu'ils avaient tout le poids institutionnel des organes de presse derrière eux, mais cela régresse au fil du temps », a déclaré le directeur exécutif du CPJ, Joël Simon. « Aujourd'hui, les journalistes sur les lignes de front travaillent de plus en plus de manière indépendante. L'essor du journalisme en ligne a ouvert la porte à une nouvelle génération de reporters, mais cela signifie aussi qu'ils sont vulnérables », a-t-il ajouté.

Le nombre de journalistes en ligne en prison continue d’augmenter depuis une décennie, a découvert le recensement du CPJ. Au moins 68 bloggeurs, des reporters du Web et des éditeurs en ligne sont incarcérés, constituant ainsi la moitié du nombre total de journalistes actuellement en prison. Les journalistes de la presse écrite, les directeurs de publication et les photographes représentent la plus grande catégorie professionnelle suivante, avec 51 cas en 2009. Le reste est constitué de journalistes de radio et de télévision et de documentaristes.

Bien que les allégations de menées antiétatiques, telle que la sédition, soient les accusations les plus couramment utilisées pour emprisonner des journalistes, le recensement du CPJ a permis d'identifier une augmentation alarmante du nombre de cas dans lesquels les gouvernements violent les procédures régulières et ne formulent aucune accusation. Dans 39 cas, soit plus d'un quart du recensement total, les autorités n'ont formulé aucune inculpation formelle. Cette tactique est utilisée par divers pays tels que l'Érythrée, l'Iran et les États-Unis.

Au moins 20 de ces journalistes sont détenus dans des lieux secrets, sans aucune accusation formelle ni procédure judiciaire, un gage de protection juridique. Beaucoup de journalistes sont incarcérés par le gouvernement érythréen, qui a même refusé de confirmer si ses détenus sont encore en vie. Des reportages en ligne non confirmés ont indiqué que trois journalistes emprisonnés en Erythrée seraient morts en détention. Dans son recensement de 2009, le CPJ continue de lister ces journalistes en vue de tenir le gouvernement érythréen responsable de leur sort.

Le nombre de journalistes emprisonnés en Chine a diminué au cours des dernières années, mais, 24 restent encore derrière les barreaux. Parmi les journalistes incarcérés en Chine, figurent 22 journalistes indépendants. Parmi ces prisonniers, figure Dhondup Wangchen, un documentariste qui a été placé en détention en 2008 après avoir réalisé des interviews filmés au Tibet qu’il a envoyé à des étrangers. Un documentaire de 25 minutes intitulé « Jigdrel» (Surmonter la peur), produite à partir de ces interviews, présente des Tibétains ordinaires parlant de leur vie sous le régime chinois. Les autorités de Xining, dans la province du Qinghai, ont ainsi accusé le cinéaste d’incitation au séparatisme.

La plupart des journalistes emprisonnés en Iran, le deuxième plus grand geôlier de journalistes au monde, ont été arrêtés lors de la répression postélectorale du gouvernement contre les dissidents et les médias d’information. Prés de la moitié de ceux-ci est constituée de journalistes en ligne, dont Fariba Pajooh, une journaliste indépendante collaborant avec des journaux en ligne et des stations de radio. Radio France Internationale (RFI) a déclaré que cette journaliste a été accusée de « propagande contre le régime iranien» et qu’elle a subi des pressions pour faire de faux aveux.

« Il n'ya pas longtemps, l'Iran se vantait d'avoir une presse dynamique et vivante » a ajouté M. Simon, soulignant que «lorsque le gouvernement a réprimé la presse écrite, les journalistes se sont consacrés au journalisme en ligne, entrainant ainsi l’essor de la blogosphère persane. Aujourd'hui, beaucoup des meilleurs journalistes de l'Iran sont en prison ou en exil, et le débat public a été muselé parallèlement au mouvement pro-démocratique ».

Cuba, troisième sur la liste, détient 22 rédacteurs et directeurs de publication en prison; tous, sauf deux d'entre eux, ont été arrêtés lors de la massive répression de Fidel Castro contre la presse indépendante en 2003. Beaucoup ont vu leur santé se détériorer dans des prisons inhumaines et insalubres. Parmi ces détenus, figure Normando Hernández González, qui souffre d'affections cardio-vasculaires et de problèmes aux genoux si graves qu’il peut à peine se tenir debout. M. Hernández González a été transféré à un hôpital pénitentiaire en fin octobre dernier.

L'Erythrée, qui vient en quatrième position, comptait 19 journalistes sous les verrous au 1er décembre courant. Les autorités érythréennes ont incarcéré non seulement des journalistes indépendants, mais aussi des journalistes de médias d’État. En début 2009, le gouvernement a arrêté six journalistes de médias d’État soupçonnés d’avoir fourni des informations à des sites Internet basés à l’étranger.

Avec neuf journalistes derrière les barreaux, la Birmanie est cinquième sur la liste. Parmi les journalistes détenus figure le vidéo-journaliste connu publiquement comme «T», qui était le correspondant de l’organe de presse basé à Oslo, la Voix démocratique de Birmanie, et qui avait contribué au tournage d’un documentaire international primé intitulé «Les orphelins du cyclone birman». Le journalisme est si dangereux en Birmanie, l'un des pays au monde où la censure s’applique le plus, que les reporters clandestins tels que « T » constituent un canal d’information crucial pour le monde.

Les nations eurasiennes de l'Ouzbékistan et de l'Azerbaïdjan se classent respectivement sixième et septième sur la liste de déshonneur du CPJ. L'Ouzbékistan a emprisonné sept journalistes, dont Dilmurod Saiid, un journaliste indépendant qui a dénoncé les abus du gouvernement dans le secteur agricole. Quant à L'Azerbaïdjan, il a incarcéré six journalistes et directeurs de publication, y compris le journaliste d'investigation, Eynulla Fatullayev, un lauréat du prix international de liberté de la presse du CPJ en 2009. Un septième journaliste azerbaïdjanais, Novruzali Mamedov, est mort en détention en août dernier, après que les autorités lui ont refusé des soins médicaux adéquats.

Voici d'autres tendances et détails qui ressortent de l'analyse du CPJ:
· Environ 47 pour cent des journalistes dans le recensement sont emprisonnés sous des accusations de menées antiétatiques comme la sédition, la divulgation de secrets d'État, et l’agissement contre les intérêts nationaux, constate le CPJ. Beaucoup d'entre eux sont détenus par les gouvernements chinois, iranien et cubain.
· Dans près de 12 pour cent des cas, les gouvernements ont eu recours à diverses accusations n’ayant aucun lien avec le journalisme pour exercer des représailles contre des rédacteurs, des éditeurs et des photojournalistes contestataires. Ces accusations vont des infractions réglementaires à la possession de drogues. Dans les cas inclus dans ce recensement, le CPJ a déterminé que les accusations étaient plus vraisemblablement formulées en guise de représailles pour le travail des journalistes.
· Les violations des règles de la censure, la seconde accusation la plus courante, sont appliquées dans environ 5 pour cent des cas. La diffamation criminelle, la publication de « fausses » nouvelles et l’ « insulte » à caractère ethnique ou religieuse constituent les autres charges formulées contre les journalistes dans le recensement.
· Les journalistes de la presse en ligne et de la presse écrite constituent le gros du recensement. Les journalistes de radio représentent la seconde plus grande catégorie professionnelle, soit 7 pour cent des cas. Les journalistes de télévision et les documentaristes représentent chacun 3 pour cent des cas.
· Le total de 136 journalistes emprisonnés à travers le monde reflète une hausse de 9 pour cent par rapport à 2008 et constitue le troisième plus grand nombre enregistré par le CPJ au cours des dix dernières années. (Le record de la décennie a été enregistré en 2002, l’année où Le CPJ a recensé 139 journalistes emprisonnés).
· Les États-Unis, qui détiennent en prison le photographe indépendant Ibrahim Jassam, sans inculpation en Irak fait partie des pays qui emprisonnent les journalistes pour la sixième année consécutive. Au cours de cette période, les autorités militaires américaines ont emprisonné de nombreux journalistes en Irak, certains pour plusieurs jours, d'autres pour plusieurs mois, sans inculpation ni procès équitable. Les autorités américaines semblent avoir eu recours à cette tactique moins fréquemment au cours des deux dernières années.

Le CPJ estime que les journalistes ne devraient pas être emprisonnés pour le simple exercice de leur métier. Il a adressé des lettres exprimant ses vives inquiétudes à chacun des pays ayant emprisonné un journaliste. L’année dernière, le plaidoyer du CPJ a permis d’aboutir à la libération d'au moins 45 journalistes emprisonnés.
La liste du CPJ constitue un cliché instantané des journalistes incarcérés à la date du 1er décembre 2009 à minuit. Elle ne comprend pas les nombreux journalistes emprisonnés et libérés au cours de l'année : vous trouverez des récits sur ces cas sur le site www.cpj.org. Les journalistes restent sur la liste du CPJ jusqu'à ce que l'organisation détermine avec une certitude raisonnable qu'ils ont été libérés ou qu'ils sont morts en captivité.
Les journalistes qui ont disparu ou qui ont été enlevés par des entités non gouvernementales, tels que des gangs criminels, des rebelles ou des groupes militants, ne sont pas inclus dans la liste des journalistes emprisonnés. Ils sont classés parmi les journalistes « disparus » ou « enlevés ».

vendredi 27 novembre 2009

Tunisie: la position du PS

Comme nous le signalions dans un précédent blog,le président Ben Ali n’est pas en odeur de sainteté auprès des socialistes européens, même si son parti, le RCD, continue de siéger au sein de l’organisation mondiale des partis socialistes, l’Internationale socialiste (I.S.)
Dans une réponse adressée le 9 octobre dernier à Philippe Hensmans, directeur d’AIBF (Amnesty International Belgique Francophone), Elio di Rupo, Président du Parti socialiste (Belge francophone) et vice-président de l’Internationale socialiste, avait précisé l’approche du PS.

« La présence du RCD dans l’Internationale Socialiste, notait Elio di Rupo, est un héritage historique malheureux d’une époque, les années ’70, où l’IS a souhaité avant tout s’étendre à de nouveaux continents et gagner en légitimité anticoloniale.

Aujourd’hui les choses sont différentes et la question du RCD mérité d’être examinée à nouveau.

Notons déjà que le Parti Socialiste Européen n’entretient plus de relations avec le RCD, suite à une initiative en ce sens des PS belges et français.
Notons aussi que le Forum Démocratique tunisien, qui rassemble un certain nombre d’opposants démocratiques tunisiens, est également membre de l’IS.
Notons enfin que le PS s’est engagé depuis plusieurs années dans un combat pour mettre l’éthique et la démocratie au cœur des préoccupations de l’IS. Cette politique a donné comme résultat tangible la création d’une charte éthique et d’un comité éthique de l’IS. La question tunisienne est inscrite à l’ordre du jour de ce comité et nous ne désespérons pas d’y obtenir des avancées ».

Tunisie: drapeau rouge pour Ben Ali

La condamnation du journaliste rebelle Taoufik Ben Brik à 6 mois de prison sera évidemment condamnée par des parlementaires socialistes européens. Cette arrestation contredit tous les principes qui anime le PSE et toutes les valeurs dont l’Europe se réclame dans ses relations avec des pays tiers.

Ces dernières années, le PSE a régulièrement critiqué le régime tunisien. Dernièrement, le président du PSE, Poul Nyrup Rasmussen, a même levé le drapeau rouge. « Les agissements du gouvernement tunisien sont inacceptables, a-t-il déclaré. Le régime doit mieux traiter ses citoyens et ses opposants politiques. Il doit arrêter les persécutions contre ceux et celles qui osent s’opposer à lui. Le gouvernement du président Ben Ali doit respecter les libertés fondamentales s’il souhaite un approfondissement des relations avec l’UE. Un statut de partenaire avancé pour la Tunisie est hors de question au vu de la situation actuelle ».

Etrangement, les socialistes européens semblent oublier que le parti officiel tunisien, le Rassemblement constitutionnel démocratique, est membre de l’Internationale socialiste, c’est-à-dire de l’organisation, basée à Londres, à laquelle sont affiliées tous les partis socialistes européens. Le RCD participe à nombre de l'I.S. où se retrouvent aussi des socialistes européens et il utilise ces rencontres pour démontrer sa légitimité démocratique et pour se justifier auprès de son opinion.

La cohérence imposerait de suspendre ou d’exclure le RCD, mais l’Internationale socialiste devrait, dans la foulée, prendre les mêmes mesures à l’encontre de partis autoritaires qui violent ses principes, à l’exemple du Front sandiniste de libération nationale au Nicaragua ou du Mouvement populaire de libération de l’Angola.

lundi 16 novembre 2009

Bye bye Belga

La bourde de l’annonce de la mort de la reine Fabiola par l’agence Belga dénote une confusion grave du rôle des médias dans une société démocratique. Elle est l’aboutissement de la place excessive accordée à l’audience dans la détermination des priorités, hiérarchies et modes de traitement de l’information.
Au règne de l’audimat, expression passive du règne de l’audience, s’ajoute le populisme du « journalisme citoyen », forme active d'une politique essentiellement marketing de rapport au public.
"Journalisme citoyen?". Faisons un sort à cette expression, car il n’y a rien de citoyen dans le mélange d’une fonction spécifique, celle du journalisme, et l’intervention du grand public. Cette idée est au journalisme ce que le paramilitarisme, le vigilantisme et les rondes nocturnes contre la délinquance sont à la police et à l’Etat de droit : une perversion.
Les citoyens ont évidemment le droit de s’exprimer librement, en rue, dans les cafés, sur des blogs, mais ils ne peuvent en aucun cas prétendre faire du journalisme. Ce métier, même s’il pêche aussi par ses bavures, a ses règles et sa mission. Il doit répondre notamment à des exigences strictes de vérification de l’information et à une appréciation permanente de l’impact de celle-ci sur la société.
Le titre très noble de "journalisme citoyen" doit être réservé au journalisme qui vise à renforcer la citoyenneté. Cet objectif requiert de fournir les faits et les idées qui permettant aux femmes et aux hommes d’agir et de participer aux enjeux politiques en toute connaissance de cause.
S’il n’y a pas de citoyens journalistes, mais des citoyens qui peuvent informer "en direct" ou en passant par des journalistes, les journalistes ne sont pas nécessairement tous citoyens, car cette fonction n’est assumée et promue que par une partie de la profession.
En dépit de l'outrage à la reine Fabiola, l'affaire Belga est venue à point pour susciter un débat au sein de la profession. Le secrétaire général adjoint de l'AJP (Association des journalistes professionnels), Jean-François Dumont, dans une interview accordée au Soir, a clairement remis l'Eglise ou la Maison du peuple au centre du village: ces "inventions" qui se réclament du journalisme doivent être bannies.
Les patrons de Belga auraient-ils voulu paraphraser la fameuse phrase de la guerre du Vietnam: "nous avons dû détruire le journalisme pour le sauver".

mercredi 4 novembre 2009

Libérez Fariba Pajooh et les journalistes iraniens emprisonnés

Mercredi 4 novembre,des journalistes belges, francophones et néerlandophones, se sont rassemblés en un comité informel pour soutenir les journalistes iraniens emprisonnés. Les objectifs du comité est de se mobiliser pour la libération des journalistes mais aussi de demander aux pays de l'Union européenne et en particulier la Belgique d'accorder des "visas humanitaires" aux journalistes et blogueurs iraniens qui ont quitté leur pays où ils se savent en danger.
Reporters sans frontières a par ailleurs formulé des propositions aux rédactions belges afin qu'elles prennent des initiatives concrètes (accueil de journalistes iraniens,parrainages, etc.)
Les journalistes belges ont pris pour symbole la journaliste et blogueuse Fariba Pajooh, ancien membre de la rédaction du quotidien aujourd'hui interdit Etemad-e melli, et très connue en Belgique et en France.
Arrêtée le 22 août dernier, elle se trouve depuis dans la prison d'Evin.
Voici le texte publié par le comité en faveur de cette journaliste qui rêve d'un pays libre et apaisé.

"Elle est intelligente, dynamique, courageuse, elle n'a pas trente ans.....depuis 3 mois elle est en prison !

Journaliste et blogueuse, elle a travaillé pour des journaux réformistes (Etemaad é Melli notamment) qui ne paraissent plus, elle a raconté sur Internet sa joie de vivre dans une société où il n'y en a plus, elle était rieuse, patriote et optimiste..... Depuis près d'une semaine elle fait la grève de la faim!

Fariba Pajooh a été arrêtée le 22 août 2009 par des hommes en civil qui se sont présentés.au domicile de ses parents à Teheran. »Ne vous inquietez pas, ont ils dit à sa maman, nous avons quelques questions à lui poser, elle reviendra vite ».Ele n'est toujours pas rentrée chez elle....

Nous avons choisi Fariba Pajooh, comme symbole, comme porte-drapeau, pour réclamer haut et fort la libération de tous les journalistes injustement emprisonnés en Iran.

Comme 25 de ses collègues, Fariba Pajooh paie sa liberté d'esprit, son amour de la vérité, son combat pour une patrie moderne et démocratique. Après un mois en isolement total, elle a partagé la cellule d'une autre journaliste féminine, Hengameh Shahidi, qui vient d’être libérée. Fariba ne sait pas de quoi elle est accusée, elle ne peut pas avoir de contacts avec ses avocats. Seuls de brefs instants de communication sont autorisés sporadiquement avec sa famille à qui elle confie, dans un sourire triste, qu'on la presse d'avouer (avouer quoi? Pressée comment?)

Nous réclamons pour elle, pour Bahman Ahmadi Amouyee, pour Ahmad Zaidabadi et pour la vingtaine d'autres dont les noms sont moins connus, la liberté immédiate et totale.

Nous témoignons de notre solidarité avec ces confrères et consoeurs brimés, nous exigeons de nos dirigeants qu'ils fassent pression sur le gouvernement iranien pour obtenir qu'il es rende à leurs familles et à leur profession, qui est aussi la nôtre.

jeudi 29 octobre 2009

Afghanistan: quand la France s'en mêle

Ce matin, Paul Hermant nous a fait une belle démonstration de cartésianisme, l’hommage le plus appuyé qui puisse être rendu à la France éternelle.
Je résume son propos. « Il n’y a pas de guerre en Afghanistan ! La preuve ? La France vient d’y renvoyer des demandeurs d’asile. Or, le droit international interdit de refouler des candidats réfugiés dans des pays où ils sont en danger. Cqfd ».
Je vous invite à réécouter ou à lire sa chronique sur le site de La Première.
Je vous invite aussi à vous rendre sur le site du ministère français des affaires étrangères (www.diplomatie.gouv.fr) , de cliquer sur la page « conseils aux voyageurs » et ensuite sur « Afghanistan ». Vous ne pouvez pas le rater, c’est le premier de la liste.
Le ministre ex-socialiste Eric Besson n’a pas dû lire ce texte rédigé par ses diplomates. Je vous en livre quelques extraits choisis. Comme dirait Euronews : No Comment !

« Dernière minute.
La situation de sécurité en Afghanistan s’est beaucoup dégradée depuis un an. (…)
Dans ces conditions, il est plus que jamais impérativement recommandé de différer tout projet de voyage ».

Bien sûr, ce texte contredit l’analyse du ministère, qui viole dès lors l’un des principes de base du droit international sur l’asile, le non-refoulement. Mais il montre également que les diplomates du Quai d’Orsay ne sont pas à la pointe de l’actualité et qu’ils ne réussiraient pas l’examen d’entrée de petit reporter au Courrier picard ou à La République du Centre-Ouest.
La « dernière minute » a été rédigée avant les élections du 20 août dernier. Imaginons ce que pourrait contenir une « Dernière heure » : Attention, les tribus pachtounes, il y a deux ans, ont attaqué à coups de mousquet la cavalerie de la Perfide Albion ».
Certes, comme le proclama fameusement Michel Rocard, « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Mais elle pourrait au moins rester fidèle à l’héritage intellectuel de Descartes.
A moins, bien sûr, que le ministre français n’interprète le fameux « Je pense, donc je suis » de la manière qui suit : « Je pense à mon élection et à ma carrière, donc je suis la vox populi ».

vendredi 23 octobre 2009

Liberté de la presse: le Maroc sur le gril

Le Maroc fait figure de pays modéré dans le contexte du monde arabo-musulman et cultive l'image d'une monarchie modernisatrice qui offre des espaces de liberté à la presse.
Depuis quelques années, toutefois, l'ouverture promise par le roi Mohammed VI s'éloigne. La porte patine sur ses gonds et les procès se multiplient contre les journalistes qui franchissent "les lignes rouges".
L'initiative de l'International Freedom of Expression Exchange est exceptionnelle: cette coalition d'organisations de défense de la liberté d'expression, aussi bien internationales qu'arabes, publie rarement des communiqués communs. Elle exprime la gravité de la dégradation de la situation mais aussi l'espoir qui avait été placé dans le Maroc, un pays qui promettait de trancher sur la répression généralisée de la presse dans le monde arabo-musulman.
Pour en savoir plus sur ce pays si proche et si important pour l'Europe, je vous conseille de lire l'essai d'Ali Amar, fondateur de l'hebdo indépendant Le Journal: Mohammed VI, le grand malentendu, paru cette année chez Calmann-Lévy. Et de relayer les préoccupations exprimées ci-dessous par l'IFEX.

(ANHRI/IFEX) - Le 23 octobre 2009 - Les organisations dénoncent les arrestations et le harcèlement incessants contre les journalistes et la presse indépendente:

Nous, soussignées, organisations de défense de la liberté de la presse et de la liberté d'expression, appelons le gouvernement marocain à cesser sa campagne contre la liberté de la presse, la plus violente qu'ait connu le Royaume depuis l'accession du souverain Mohamed VI au pouvoir en 1999.

Les trois derniers mois (août-octobre 2009) ont été marqués par une recrudescence de la campagne contre la liberté de la presse au Maroc. L'hebdomadaire indépendant francophone "Tel Quel" et sa version arabophone "Nichane" ont été interdits de publication, début août 2009, pour avoir publié un sondage sur la gouvernance de Mohamed VI, jugé outrageant pour le souverain et contraire aux bonnes mœurs.

Le 28 septembre 2008, le ministère marocain de l'Intérieur a fermé les locaux du quotidien indépendant arabophone "Akhbar Al Yaoum" sans décision de justice. Taoufik Bouachrine, directeur de la publication, et le caricaturiste Khaled Keddar ont été poursuivis en justice à la suite de la publication d'une caricature qui constitue, selon le ministère de l'Intérieur, "une atteinte au respect dû à un membre de la famille royale".

Le 15 octobre 2009, le tribunal de première instance de Rabat a condamné Driss Chahtane, directeur de l'hebdomadaire arabophone "Al Michaal", à un an de prison ferme pour avoir publié des articles évoquant la santé du Roi Mohamed VI. Driss Chahtane a été arrêté immédiatement après l'énoncé du verdit, sans attendre la procédure d'appel. Rachid Mahamid et Mustapha Hayrane, deux journalistes travaillant dans le même journal, se sont vus infliger des peines de trois mois de prison ferme et une amende de 5.000 dirhams (environs 655 $US) sans être arrêtés.

Dans une affaire séparée, mais pour les mêmes motifs, Ali Anouzla, directeur du quotidien arabophone "Al Jarida Al Oula", et Bouchra Edaou, journaliste dans le même journal, seront traduits en justice, à Rabat, le 26 octobre 2009, pour publication de fausses informations concernant la santé du Souverain.

Ces procès qui ciblent, essentiellement, la presse indépendante, constituent une régression grave de la liberté de la presse au Maroc et risquent d'anéantir la petite marge de liberté qui existe encore dans ce Royaume. Ils constituent aussi une menace sérieuse pour la liberté de la presse dans le monde arabe, sachant que le Maroc représente un modèle pour les journalistes de la région.

L'emprisonnement des journalistes et l'interdiction des publications au Maroc constituent, faut-il le rappeler, une violation flagrante de l'article 19 (2) du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le gouvernement marocain.

Cet article énonce: "Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix".

Nous dénonçons ces procès à caractère politique. Nous dénonçons le harcèlement incessant contre les journalistes qui accomplissent leur devoir professionnel en diffusant des informations que le gouvernement marocain juge comme étant un franchissement des lignes rouges, telles que la santé du Roi ou les affaires de corruption qui intéressent l'opinion publique.

Les organisations arabes et internationales de défense de la liberté de la presse et de la liberté d'expression, soussignées, expriment leur entière solidarité avec les journaux et les journalistes marocains victimes de ces poursuites judiciaires. Elles appellent le gouvernement marocain à mettre fin à cette campagne contre la liberté de la presse et à abolir les peines privatives de liberté dans les procès de presse. Elles appellent, également, le gouvernement marocain à lever l'embargo imposé au quotidien "Akhbar Al Yaoum" et à l'autoriser à reparaître.

Les organisations signataires:

Arabic Network for Human Rights Information

ARTICLE 19: Global Campaign for Free Expression

Adil Soz - International Foundation for Protection of Freedom of Speech

Arab Archives Institute

Association Mondiale des Journaux et des Éditeurs de Médias d'Information

Bahrain Center for Human Rights

Cairo Institute for Human Rights Studies

Canadian Journalists for Free Expression

Center for Media Studies & Peace Building

Centro de Reportes Informativos sobre Guatemala

Comité por la Libre Expresión

Ethiopian Freepress Journalists' Association

Exiled Journalists Network

Freedom House

Greek Helsinki Monitor

Index on Censorship

Institute of Mass Information

International Press Institute

Le Comité pour la protection des journalistes

Maharat Foundation (Skills Foundation)

Media Institute of Southern Africa

Media Rights Agenda

Media Watch

Pacific Freedom Forum

Pacific Islands News Association

Pakistan Press Foundation

Palestinian Center for Development and Media Freedoms

Public Association "Journalists"

Reporters sans frontières

The Egyptian Organization For Human Rights

World Press Freedom Committee



Al-Karamah "Dignity" Foundation for Human Rights, Egypt

Andalus Institute for Tolerance and Anti-Violence Studies, Egypt

Arab Commission for Human Rights

Arab-European Forum for Human Rights

Arab Organization for Supporting the Civil Society and Human Rights

Arabic Program for Human Rights Activists, Egypt

Association for Freedom of Thought and Expression, Egypt

Awlad Alard Organization for Human Rights

Bahraini Association for Human Rights

Bahrain Youth Society for Human Rights

Damascus Center for Theoretical and Civil Rights Studies, Syria

Egyptian Association against Torture

Egyptian Center for Economic and Social Rights

Egyptian Initiative for Personal Rights

Euro-Arab Forum for Freedom of Expression

General Assembly for Human Rights Defenders in the Arab World, France

Hisham Mubarak Law Center, Egypt

Human Rights First Society, Saudi Arabia

Nadeem Center for Psychological Therapy and Rehabilitation of the Victims of Violence, Egypt

One World for Development and Sustainability of Civil Society

Palestinian Human Rights Foundation (Monitor)

Reporters without Rights

Voix Libre pour les Droits de l'homme, Switzerland

Yemeni Organization for the Defense of Democratic Rights and Freedom

Devinette: qui a du pétrole, le Niger ou l'Ouzbékistan?

La chancelière allemande Angela Merkel jouissait jusqu’ici d’une réputation de « Jeanne d’Arc » des droits de l’homme. Le ton moins chaleureux qu’elle avait adopté à l’égard des dirigeants chinois et russes tranchait, en effet, avec les courtoisies de son prédécesseur social- démocrate, Gerhard Schroeder.
Pour les analystes, la sensibilité de dirigeante chrétienne-démocrate reflétait l’expérience qu’elle avait vécue à l’époque de la très répressive République démocratique allemande.
Au point d’aller jusqu’à faire passer la vertu avant les intérêts économiques et militaires de l’Allemagne ?
Aujourd’hui, les militants des droits de l’homme n’en sont plus aussi sûrs et la colère gronde à l’égard de la chancelière. Ce sont, en effet, les pressions exercées par Berlin qui ont amené, mardi, l’Union européenne à lever l’embargo sur les armes qui avait imposé à l’Ouzbékistan, pays autoritaire d’Asie centrale, à la suite du massacre d’Andijan en 2005.
L’Allemagne a traditionnellement suivi avec intérêt l’Asie centrale, mais cette attention s’est accrue ces dernières années en raison des investissements de l’industrie allemande en Ouzbékistan et de la volonté de diversifier les approvisionnements énergétiques (par rapport à la Russie surtout).
L’Allemagne dispose également d’une base militaire importante (à Termez, dans le sud du pays) qui sert à ravitailler le contingent allemand déployé en Afghanistan.
Officiellement, pour l’Union européenne, le gouvernement ouzbèke a fait des progrès sensibles dans le domaine des droits de l’homme. Un constat rejeté par l’ensemble des ONG qui dénoncent la poursuite de la répression, la censure et la torture ainsi que le recours au travail des enfants (2 millions d’entre eux, selon l’International Crisis Group, sont forcés de travailler à la récolte du coton).
En privé, les diplomates européens rejoignent l’avis des ONG, mais la raison d’Etat a primé. Et l’Union européenne, une nouvelle fois, a fait montre de son double langage. Selon que vous serez faible ou puissant…
Bruxelles a annoncé un embargo sur les armes destinées à la Guinée, où 150 personnes ont été assassinées par l’armée. Elle vient de lever celui imposé à l’Ouzbékistan, où l’armée à tué au moins 187 personnes. A votre avis, quel pays a du pétrole ?

mercredi 21 octobre 2009

Chine et Guinée: ne fais pas aux autres...

L’accord de coopération économique signé entre la Chine et le gouvernement militaire au pouvoir en Guinée a été très mal reçu par l’Union européenne, les Etats-Unis et la Communauté des pays d’Afrique de l’Ouest.
Annoncé quelques jours après le massacre par l’armée d’au moins 150 personnes dans le stade de Conakry, ce contrat a suscité l’indignation de l’opposition guinéenne et de l’ensemble des organisations de défense des droits de l’homme.
Il ressemble aussi à une provocation. Pékin déclare urbi et orbi que la volonté ou la prétention de l’UE et des Etats-Unis de fonder les relations internationales sur un socle minimal de respect des droits de l’homme sont illusoires et que ceux qui s’en réclament sont des naïfs ou des hypocrites.
La Chine envoie constamment deux messages à la communauté internationale : d’un côté, elle exprime son souci d’apparaître comme un partenaire fiable et respectable ; de l’autre, elle applique, au nom du dogme du respect de la souveraineté nationale des pays partenaires, une politique étrangère qui appuie les régimes parias, du Soudan à la Birmanie.
Les pays européens et les Etats-Unis ont évidemment des raisons de se tortiller lorsqu’ils maugréent face à la politique chinoise. Ils ont de plus en plus adopté ces derniers mois une attitude conciliation à l’égard de Beijing, en raison notamment de l’importance cruciale de l’économie chinoise pour sortir de la crise. Et ils sont loin d’appliquer à la lettre les principes qui, rhétoriquement, guident leurs politiques. Les « doubles standards » restent la règle et les pays semoncés par l’UE sont en général des pays sans grande importance économique ou stratégique.
Le respect des droits de l’homme, toutefois, n’est pas seulement le souci des « belles âmes ». La brutalité des militaires guinéens représente un danger non seulement pour leur population, mais aussi pour l’ensemble d’une région extrêmement fragile, l’Afrique de l’Ouest, qui subit de plein fouet la crise économique mondiale et qui est rongée par l’explosion du trafic de drogue, en provenance d’Amérique latine et en direction de l’Europe.
En d’autres termes, les violations des droits de l’homme en Guinée représentent aussi un enjeu de nature stratégique et il serait judicieux que la Chine se concerte avec l’UE, les Etats-Unis et l’Afrique pour éviter que ses initiatives commerciales n’attisent les tensions et n’accélère l’effondrement d’un Etat.
Si la Chine veut mériter la réputation amène dont elle se targue, si elle veut aussi éviter d’être perçue par les démocrates guinéens comme une nouvelle puissance coloniale aussi arrogante que la vieille Europe, elle doit cesser de se comporter comme si l’on était encore au XIXe siècle, temps des concessions et de la canonnière sur le Yang Tsé. Sinon, elle pourrait être la cible, en Afrique, d’une « révolte des Boxers ».
Le nationalisme africain n’est pas différent du nationalisme chinois : il se nourrit lui aussi de l’humiliation et du ressentiment provoqués par la domination, l’exploitation et l’oppression. Le trésor des proverbes chinois ne contiendrait-il pas celui qui dit: "ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse?"

jeudi 15 octobre 2009

Vite, des visas pour les journalistes iraniens menacés

La répression s’est durement abattue sur les protestataires iraniens et, en particulier, sur les journalistes. Une vingtaine d’entre eux sont en prison. Plusieurs journaux ont été fermés et, selon Mahmoud Shamsolvaezin,près de 2000 « travailleurs des médias » ont perdu leur emploi. Des dizaines de journalistes cherchent à quitter le pays pour éviter d’être arrêtés.
Ceux qui ont réussi à s’échapper se trouvent actuellement en exil dans le Kurdistan irakien ou en Turquie. Mais, selon Nazila Fathi, du New York Times, beaucoup de ces exilés n’ont pas signalé leur présence car ils craignent des représailles contre leur famille restée en Iran. Ils craignent aussi d’être la cible des services secrets iraniens qui opèrent dans la région.
Selon Reporters sans frontières, le nombre de journalistes qui ont choisi de quitter l’Iran est le plus élevé depuis la Révolution islamique de 1979.
Il est dès lors urgent d’assurer la sécurité de ces journalistes, notamment en leur délivrant des visas qui leur permettent de s’installer dans des pays où ils sont hors d’atteinte de la répression.
L’attitude des pays européens doit être claire, sans procrastination. On ne peut proclamer avec emphase qu’on est du côté des démocrates iraniens et leur refuser un refuge. Comme le dirait Casamayor, il vaut mieux avoir le cœur sur la main que la main sur le cœur...
Selon nos sources, certains pays comme la France et la Belgique auraient répondu positivement aux demandes des organisations internationales de défense de la liberté de la presse, mais d’autres membres de l’Union se montrent plus réticents.
Nous ne voulons pas faire du "corporatisme" et ne penser qu'à nos collègues, mais ces journalistes et blogueurs ont pris des risques immenses pour nous informer sur la fraude électorale et les violences. Ils méritent une totale solidarité.

P.S. A lire, l'article de Delphine Minoui, correspondante du Soir à Beyrouth, sur le sort de Fariba Pajooh, une blogueuse iranienne emprisonnée.(Le Soir mercredi 4 octobre)

lundi 12 octobre 2009

Brésil, du sang, de la sueur et des larmes

La victoire du Brésil au Comité international olympique nous a donné les larmes du président Lula et les explosions de joie des Cariocas.
Mais le défi est immense, aussi grand que celui auquel doit faire face l’Afrique du sud, hôte de la Coupe mondiale de football.
La ville de Rio pose, en effet, des problèmes de sécurité gigantesques aux organisateurs. Jon Lee Anderson en dresse un portrait glaçant, du sang, de la sueur et des larmes, dans l’un des derniers numéros de l’hebdomadaire The New Yorker.
Son reportage au cœur des favelas, les « banlieues » de Rio, donne une idée des difficultés qui attendent le gouvernement brésilien. Il y aurait aujourd’hui plus de mille favelas à Rio. Trois millions de personnes sur les 14 millions d’habitants de Rio y vivent, très souvent au milieu d’une violence attisée par le trafic de drogue, hors d’atteinte de l’autorité et des services de l’Etat..
Rio de Janeiro est la ville plus violente au monde, note l’auteur. 5000 meurtres ont été enregistrés l’année dernière, la moitié d’entre eux liés au trafic de drogue. Chaque jour, aussi, la police de Rio, gangrenée par l’arbitraire et la corruption, tue trois personnes, généralement « parce qu’elles résistaient à leur arrestation », soit 1.188 personnes en 2008. « En guise de comparaison, ajoute l’auteur, la police américaine tue 370 personnes par année sur tout le territoire américain».
Les journalistes ne pénètrent plus dans un certain nombre de favelas, car ils sont considérés comme des espions ou des ennemis par les gangs, les groupes paramilitaires, les escadrons de la mort et les forces de police qui se battent pour le contrôle du territoire. Plusieurs d’entre eux ont été assassinés.
Le gouvernement brésilien pourra-t-il changer en 6 ans ce qu’il n’a pu résoudre en deux siècles d’indépendance ? Les inégalités sociales, en dépit de la présence d’un président issu de la gauche, restent extrêmes et alimentent la « dictature de la délinquance ».
Rien ne prouve, non plus, que le boom économique attendu des Jeux olympiques profitera aux populations marginalisées ou si, au contraire, il aggravera leur exclusion.
En 1968, le Mexique avait rêvé de faire des J.O. un levier contre la pauvreté et le mal-développement. Il n’en fut rien.
Le Brésil va devoir prouver que ses milieux dirigeants sont différents, qu’ils considèrent les J.O. non pas comme le signe de leur puissance émergente sur la scène internationale, mais comme une occasion de rompre avec un modèle économique et social qui fabrique l’injustice et la violence..

dimanche 11 octobre 2009

L'extrême droite U.S. Combien de divisions?

Un certain nombre de lecteurs nous ont demandé ce que représentait vraiment « cette Amérique qui fait peur », que nous avons décrite et dénoncée dans notre chronique du Soir, le 6 octobre. Nous y évoquions en effet une extrême droite « minoritaire mais non pas marginale ».
John Nichols, correspondant à Washington de l’hebdomadaire de gauche The Nation, nous apporte un début de réponse. Prenant pour cibles les « brailleurs médiatiques, comme Glenn Beck sur Fox News, Rush Limbaugh ou Sean Hannity, il les crédite d’une audience bien plus minuscule que celle dont ils se réclament pour affirmer qu’ils représentent la « seule, la vraie Amérique » : 2%, voire 5% pour le plus connu d’entre eux, Rush Limbaugh.
Il est vrai que l’ « extrême extrême droite », incarnée par les partis nazis, les groupes de suprématie blanche ou les « milices » ne constituent qu’un pourcentage minime de la population américaine. Mais toutes les associations et institutions chargées de les surveiller estiment que ce caractère assez groupusculaire ne leur enlève pas leur dangerosité. Les extrémistes de droite s’infiltrent en effet au sein des institutions publiques, notamment les forces armées, comme l’a reconnu un rapport officiel américain, et dans des groupes religieux fondamentalistes, qui disposent d’un réel pouvoir électoral et médiatique.
Plusieurs questions découlent de ces constats. Comment ces extrémistes arrivent-ils à s’imposer sur la scène médiatique, voire à imposer les thèmes et le ton du débat politique ? Dans quelle mesure, le parti républicain, de plus en plus contrôlé par sa frange la plus conservatrice, sert-il de canal à des discours politiques agressifs ?
Comme il y a eu en France une « lepénisation des esprits », dans la même mesure aussi où les discours intégristes religieux (chrétiens, musulmans, juifs, hindouistes…) colorent en partie l’ensemble des communautés que ces factions extrémistes prétendent représenter, le danger se trouve à l’intersection des mouvements extrémistes et des partis traditionnels.
Et c’est ce rôle d’interface que jouent les « brailleurs » médiatiques. Ils prennent des idées sur leur extrême droite en uniformes bruns et leur mettent un costume-cravate pour entrer dans les living rooms des « good Americans » et dans les bureaux des Républicains conservateurs.
En relayant certains discours, en soulignant certains thèmes, en adoptant le ton agressif typique de l’extrême droite, en côtoyant en public des groupes extrémistes, certains dirigeants du Parti républicain jouent à la roulette russe. Soit ils se mettent en dehors du débat respectable pour une génération, ce qui serait souhaitable pour la sérénité de la scène politique américaine, soit ils légitiment en partie l’extrémisme et s’en rendent complices.
A suivre.

lundi 5 octobre 2009

Lula-Obama: 1-0

La victoire de Rio de Janeiro sur Chicago est bien plus que le résultat d’une joute sportive entre le premier président métis des Etats-Unis et le premier président ouvrier d’Amérique latine.
Le Brésil l’a emporté en raison du dossier qu’il a introduit auprès du CIO, mais bien davantage encore parce qu’il représente une puissance émergente qui a convaincu le monde de son bon droit.
Contrairement à la Chine, le Brésil ne suscite pratiquement aucune controverse : les droits humains n’y sont pas toujours respectés, notamment dans les favelas de Rio, en Amazonie ou dans les étendues misérables du Nordeste, mais le pays connaît depuis le début des années 80 une démocratie vibrante et peu de pays oseraient lui faire la leçon.
Au cours de son « règne », le président Lula a réussi à tirer parti de l’énorme potentiel économique, démographique et géographique de son pays. Paradoxalement, ce militant syndicaliste longtemps combattu par l’Establishment brésilien a été celui qui aura réussi à réellement placer le Brésil sur la carte de la puissance mondiale.
Certes, Lula est revenu sur ses promesses de campagne et a modéré sa politique sociale. Des mesures d’assistance très actives ont bénéficié aux populations les plus pauvres mais elle n’ont pas remis en cause le système inégalitaire extrême qui affecte le pays. Une partie de la gauche a rompu les rangs mais cette marque de déception n’a pas réellement entaché la popularité du président au sein d’une majorité de la population.
Lula a joué finement pour placer le Brésil au cœur des plus grands enjeux internationaux. Il a pris la tête des producteurs agricoles du Sud contre les Etats-Unis et l’Union européenne. Il a développé une diplomatie active dans le cadre des opérations de maintien de la paix de l’ONU, principalement en Haïti, et tissé des liens avec les autres puissances émergentes démocratiques, l’Inde et l’Afrique du Sud.
Lula a également lancé des ponts en direction de l’Afrique qui lui a permis de dominer les relations entre les deux continents, comme l’a illustré le sommet Afrique/Amérique du Sud qui s’est tenu fin septembre sur l’île de Margarita au Venezuela.
En Amérique latine, précisément, Lula a réussi à se présenter comme l’alternative raisonnable à la fois à l’hégémonie des Etats-Unis et à l’aventurisme du président Hugo Chavez. Est-ce un hasard si le président renversé du Honduras, Manuel Zelaya, se trouve réfugié dans l’ambassade du Brésil à Tegucigalpa alors qu’il est accusé par ses adversaires d’être la marionnette de Chavez ?
Jusqu’où le Brésil pourra-t-il suivre cette voie royale ? En Amérique du Sud, certains critiquent en sourdine la « domination brésilienne » et reprochent à Lula de couper l’herbe sous le pied de la « révolution bolivarienne chaviste ». D’autres estiment que le modèle brésilien reste fragile car il dépend trop de l’ « empire vert », de son agro-industrie d’exportation.
Mais l’heure aujourd’hui est à l’optimisme. De Gaulle qui avait proclamé avec ironie: « Le Brésil est un pays d’avenir et il le restera » pourrait devoir réviser son pronostic. Dans un monde multipolaire, face à une Amérique fragilisée par la crise financière et les guerres en « AfPak », le Brésil a sa chance.

samedi 3 octobre 2009

L'Empire state building pour l'Empire du Milieu

L'immeuble le plus célèbre de la "skyline" new-yorkaise, l'Empire State Building,a choisi le 30 septembre de s'illuminer aux couleurs de la République populaire de Chine.
Cette décision, cependant, a été prise sans l'assentiment des locataires. Or, parmi ceux-ci, aux 34ème et 35ème étages, il y a...Human Rights Watch, la principale organisation américaine de défense des droits de l'homme. Human Rights in China, une ONG critique du régime chinois, y a également son siège.
On imagine que le consul chinois, qui reçoit chaque semaine des communiqués des deux organisations, s'est trompé sur la signification de l'expression : "renvoyer l'ascenseur..."
"Nous n'avons aucune objection à honorer la Chine comme une nation et une grande civilisation, a estimé Carroll Bogert, directrice adjointe de Human Rights Watch, mais le 30 septembre commémore l'arrivée au pouvoir du Parti communiste, qui est responsable de nombreuses violations des droits de l'homme".
L'Empire du Milieu pense avoir réussi l'un de ses plus gros coups de publicité, illuminant la ville où se joue le sort de ses milliards de dollars en bons du trésor américains. Mais la publicité qu'il s'est octroyée a été récupérée par ceux qui le critiquent. L'illumination de l'immeuble a permis de faire la lumière sur la nature autoritaire du gouvernement chinois...Comme le dit un (nouveau) proverbe chinois: "la lampe torche révèle autant celui qui la manie que celui qu'elle éclaire".

mardi 29 septembre 2009

L'ennuyé ennuyeux

Retour d’une suite de missions à l’étranger. Trop peu de temps pour consulter mes journaux préférés sur Internet. Une masse d’infos, surtout belges, passeront donc à la trappe.
Peut-être vais-je découvrir dans quelques mois que le gouvernement a décidé une nouvelle taxe puis l’a supprimée puis l’a restaurée. A moins qu’il n’ait acheté une nouvelle banque avec l'argent de la privatisation de la poste.
Dans les journaux qui s’empilent sur la table du salon, des pépites surgissent : un reportage du Soir sur le voile, des débats musclés mais légitimes sur ce bout de tissu qui nous déchire.
Des scories aussi tombent des pages. Commme cette interview d’un certain écrivain français qui avoue s’ennuyer et parle de sa consommation de cocaïne. Je ne vous donnerai pas son nom de crainte de vous amener à acheter un de ses livres et à vous ennuyer vous aussi.
Cet illustre personnage a dû être en mission au fin fonds de son être las, au cœur de son nombrilisme. Il a donc dû rater les infos en provenance d’Amérique latine. N’est pas Antonin Artaud qui veut.
Aujourd’hui, faut-il le rappeler, sniffer de la coke revient à se rendre complice des violences qui ravagent des pays comme le Mexique, la Colombie ou le Guatemala. Sans parler des ghettos ethniques aux Etats-Unis.
Je propose à notre ennuyeur ennuyé de se rendre à la frontière mexicaine, à Ciudad Juarez par exemple, où plus de 1400 personnes ont été tuées depuis le début de l’année. Non, ils n’étaient pas tous des criminels happés dans des règlements de compte. Parmi les victimes de l’assuétude cocaïnée, il y a aussi des journalistes, des membres des forces de l’ordre, de simples citoyens.Il y a aussi un pays qui s'effondre encore plus dans la violence.
Peut-on être progressiste et prendre de la coke? Non.

jeudi 13 août 2009

Bannissons l'anonymat des commentaires internet!

Ils s’appellent Winning Tickets, Tanguero, Obedient Servant. Ils pourraient se nommer Grand Maigre ou Petit Gros. Et ils commentent avec beaucoup de parti pris et peut-être de mauvaise foi, un article sur Obama et le Honduras publié sur le site américain Common Dreams.
Qui sont-ils ? Qui représentent-ils ? Le visiteur du site n’a aucun moyen de le savoir. Sauf peut-être s’il signale « un abus » et contacte le responsable du site.
Cette tolérance de l’anonymat sur la planète web est l’une des dérives les plus agaçantes et les plus troublantes du journalisme. Elle rompt avec une tradition qui, dans les « vieux médias », imposait aux responsables du courrier des lecteurs de mentionner le nom et le prénom du correspondant et parfois même de vérifier l’identité de cette personne afin d’éviter cet anonymat si propice non seulement aux insultes et aux insinuations mais aussi aux sottises et aux élucubrations.
L’ouverture des pages Internet à des commentaires protégés par des pseudos est une négation de principes éthiques essentiels du journalisme. La déontologie la plus élémentaire nous rappelle que le recours à l’anonymat doit être exceptionnel et ne se justifie que pour protéger une source qui a requis ce privilège dans le cadre de dossiers d’intérêt public ou pour assurer sa sécurité.

Une dégradation du forum public
Cette pratique du « pseudo » contribue par ailleurs le plus souvent à dégrader le discours démocratique. Elle accorde une prime aux extrémistes et aux délateurs et cultive une culture obscène qui rappelle les excès de la presse de caniveau des années d’entre deux-guerres.
Si la liberté de commenter et de critiquer doit être la plus large possible, elle ne peut en aucun cas se faire sous un masque. L’agora démocratique ne peut tolérer des cagoules.
Le moment n’est-il pas venu d’instaurer de nouvelles règles pour les commentaires accueillis sur les sites d’information et en particulier sur ceux des médias « conventionnels » ?
Il ne peut y avoir des « doubles standards » dans le journalisme, l’un pour le média classique, que ce soit un quotidien, une radio ou une télévision, l’autre pour son propre site Web. Car nous sommes bien ici dans la sphère du journalisme et non pas dans celle de la place publique ouverte à tous vents.
Un média qui se réclame du journalisme est un tout et doit respecter les principes du journalisme dans tous ses recoins et sous toutes ses formes. Il doit être prêt, dans cet esprit, à se priver du "trafic" Internet (le mot n'est pas indifférent) créé par ce laxisme dont seuls bénéficient les "commentateurs" les moins fréquentables. J'avoue que parfois je me sens mal d'avoir pour "co-lecteurs" de mes médias favoris ces personnes anonymes qui grognent et grommèlent. D'ailleurs, sont-ils vraiment des "co-lecteurs" ou juste des "chasseurs de primes", sautant d'un média à l'autre juste pour décharger, anonymement, leur Colt.
Ce respect des normes fondamentales devrait permettre de départager, sur Internet, ce qui relève du journalisme et ce qui appartient au forum public.
Hommage donc aux médias qui ont déjà fait ce choix de la transparence. Hommage à leurs « correspondants » qui ont choisi, dans cette jungle, de se présenter sous leur vraie identité.

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Criminels de guerre nazis: la Belgique en catégorie X

La Belgique se retrouve parfois en étrange compagnie. Je viens de lire, avec plusieurs mois de retards, le rapport 2009 publié en avril dernier par le Centre Simon Wiesenthal sur l’Opération dernière chance, la campagne menée pour trouver et juger les derniers criminels de guerre nazis.
Et à ma grande surprise, après avoir lu les notes positives sur l’action des Etats-Unis (classés en catégorie A) et sur les initiatives de l’Espagne, de l’Allemagne et de la Serbie (catégorie B), je découvre que la Belgique fait partie de la catégorie X, c’est-à-dire des pays « qui n’ont mené aucune action pour enquêter sur des personnes soupçonnées d’êtres des criminels de guerre nazis durant la période en revue ».
La Belgique est en compagnie de quelques pays respectables, mais aussi à côté de pays qui ont, comme l’Argentine, le Paraguay ou la Bolivie, pas mal de choses à nous raconter sur les milliers d’anciens SS qui trouvèrent refuge sur leurs terres à la fin de la Deuxième guerre mondiale.
Voici le texte exact du rapport.

Category X: Failure to submit pertinent data
Those countries which did not respond to the questionnaire, but clearly did not take any action whatsoever to investigate suspected Nazi war criminals during the period under review.
X: Argentina, Belarus, Belgium, Bolivia, Bosnia-Herzegovina, Brazil, Chile, Colombia, Costa Rica, Czech Republic, France, Great Britain, Luxemburg, Paraguay, Romania, Russia, Slovakia, Slovenia, Uruguay, Venezuela

dimanche 9 août 2009

Le diable est dans les détails...

Le diable est dans les détails, dans les lapsus linguae et les paroles à chaud. Samedi, Le Soir a publié un très intéressant et très inquiétant article de son correspondant à Vienne, Maurin Picard. Le journaliste y décrit les attaques « au fusil, au cocktail Molotov et à la grenade », contre la communauté rom de Hongrie (800.000 personnes sur 10 millions d’habitants). Six Roms ont déjà été assassinés.
Ces actes de terrorisme sont commis par des groupes d’extrême droite, qui se croient tout permis depuis les récentes élections européennes, au cours desquelles le parti ultranationaliste Jobbik a remporté près de 15% des voix.
Le maire d’une petite ville touchée par cette vague de violence s’est dit scandalisé par ces attaques, mais il a eu cette petite phrase qui trahit l’ambiance hongroise dans laquelle se développe le racisme anti-rom. « Nous n’avions jamais eu de tels incidents, a-t-il déclaré. Pas même une gifle n’avait été échangée entre un Rom et un Hongrois ».
Un Rom et un Hongrois ? Mais les Roms de Hongrie ne sont-ils pas hongrois ?
Cette phrase rappelle celle de l’ancien premier ministre français Raymond Barre après l’attentat du 3 octobre 1980 contre la synagogue de la rue Copernic à Paris. « Cet attentat odieux qui voulait frapper les Juifs se trouvant dans cette synagogue a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic», avait-il déclaré.
Des Français ? Les Juifs qui fréquentaient cette synagogue n’étaient-ils pas aussi français que Raymond Barre ? Des Français innocents ? Les Juifs étaient-ils par essence coupables ? On apprit bien plus tard que le "centriste" Raymond Barre, si souvent célébré en Belgique pour sa modération toute démocrate-chrétienne, ne trouvait rien à redire contre le collaborateur Maurice Papon, condamné pour crimes contre l'humanité…et qu'il trouvait même des vertus au leader du Front national, Bruno Gollnisch.

Et même la BBC
Ce matin, le site de la BBC s’est lui aussi laissé piéger par le choix des mots. Relatant une manifestation d’extrême droite à Birmingham qui a débouché sur des bagarres avec des contre-manifestants du Front antifasciste, la BBC note que les « blancs » marchaient contre le « fondamentalisme islamique ».
En reprenant les justifications de ces manifestants, le journaliste leur donne en fait l’avantage sémantique, c’est-à-dire politique, de prétendre qu’ils luttent contre une forme d’extrémisme - et qui ne serait pas contre « le fondamentalisme islamique » ? -, alors que la véritable raison de cette manifestation était de stigmatiser les musulmans en général.
Le diable est dans les détails. Dans "les détails de l'histoire", comme les avait, indignement, définis Jean-Marie Le Pen.

samedi 1 août 2009

Les vacances du contre-pouvoir

Une trentaine de manifestants le 17 juillet sur la Place de la Liberté pour protester contre l’assassinat de Natalya Estemirova, une centaine de personnes le 25 juillet devant l’ambassade d’Iran : le mouvement des droits de l’Homme éprouve beaucoup de mal à mobiliser lors des mois d’été.
Le système institutionnel fonctionne pourtant, les chercheurs d’Amnesty, de HRW ou de la FIDH réagissent, les dénonciations et les alertes n’attendent pas, mais beaucoup de militants et de sympathisants sont en vacances et les médias, relais essentiels, sont eux aussi en mode estivale.
Les "hommes forts" et leurs hommes de main le savent et c’est en toute connaissance de cause qu’ils choisissent, si possible, de frapper pendant les vacances. Les bureaux des ministères des Affaires étrangères, des parlements, des partis politiques et des mouvements sociaux, sont dépeuplés. « Avec un peu de chance », les experts sont absents et les procédures de décision sont grippées.
Voyez le faible écho qu’a reçu l’arrestation le 24 juillet du défenseur des droits de l’Homme, e Golden Misabiko, en RDC. Ou l’attaque de l’armée nigériane contre une secte « talibane » au cours de laquelle de graves violations des droits de l’homme auraient été perpétrées.
Dans les régimes autoritaires, il n’y a jamais de vacance du pouvoir. Il va falloir dès lors trouver une manière d’éviter la vacance du contre-pouvoir.

vendredi 31 juillet 2009

Obama n'est pas Américain? Le Daily Show démonte la campagne des "birthers"

Les médias ultraconservateurs et populistes américains ont l'art (ce terme est trop aimable) de saisir la moindre occasion pour révéler leur racisme et leur niaiserie.
Dernière folie médiatique en date, l'accusation selon laquelle Obama n'aurait jamais montré son certificat de naissance "parce qu'il serait né au Kenya" et "occuperait donc illégalement la Maison Blanche".
L'humour de Jon Stewart, présentateur du Daily Show sur la chaine Comedy Central, est dévastateur. Et il nous livre une belle leçon de journalisme.
Le problème évidemmen est que le Daily Show est regardé par ceux qui, dès le départ, ne croyaient pas à cette fumisterie. Et que les Américains les plus susceptibles de croire au "complot d'un faux Président" se terrent dans les cavernes médiatiques les plus ultras, sur Internet ou sur Fox news.

http://www.alternet.org/media/141685/how_lou_dobbs_scared_rush_limbaugh_off_the_birther_story/?page=2

mercredi 22 juillet 2009

La roulette russe

L’assassinat de Natalya Estemirova a choqué ceux qui avaient eu le privilège de la rencontrer et surtout ceux qui attendaient tant d’elle, de ses enquêtes, de ses dénonciations, de ses démarches.
Lors du week end, j’ai publié sur le site du CPJ (Committee to Protect Journalists) un article qui avait pour titre « On ne tue pas un sujet en tuant un journaliste ». Et Ron Koven, le représentant à Paris du World Press Freedom Committee, tout aussi choqué que nous tous, a réagi en estimant que les salauds qui ont tué Natalya ne se préoccupaient pas de l’opinion internationale et que finalement le « système » avait obtenu ce qu’il voulait : écarter de la Tchétchénie tous les empêcheurs de tuer en rond.
L’association à laquelle Natalya appartenait, Memorial, a décidé de suspendre ses activités à Grozny. Et dans les médias, la décision d’envoyer quelqu’un en reportage à Grozny ressemble à une véritable roulette russe.
Et pourtant, les tueurs ne pourront crier victoire que si les protestations s’éteignent et que s’installe ce sentiment d’impuissance et d’impunité qui satisfait tant les tyrans.
Les vacances troublent les solidarités : les parlementaires sont en « recess », les journalistes sont en roue libre, les militants prennent du champs.
Il faudra donc qu’en septembre, la rentrée soit forte et déterminée. Le Parlement européen, le Conseil de l’Europe, l’OSCE, doivent être harcelés par tous ceux qui refusent que le crime paie.
L’assassinat de Natalya ne concerne pas que la Russie. Il est un message envoyé par les dictateurs et leurs tueurs à l’ensemble du mouvement des droits de l’homme, partout dans le monde. Si l’impunité règne en Russie, elle prospérera ailleurs. Dans ce monde interconnecté, tout se tient.

lundi 6 juillet 2009

Les oubliés de la crise

J’ai été touché par une séquence du JT de ce lundi. Lors d’un reportage sur les nouveaux passeports biométriques, un photographe indépendant nous a rappelé que plusieurs milliers de ses collègues ont du fermer boutique à la suite des chambardements technologiques qui ont bousculé leur métier. « Ils sont aussi nombreux que les ouvriers licenciés par Renault Vilvorde », a-t-il ajouté.
Et c’est là que le problème se pose car personne n’a protesté. Il n’y a pas eu de « procédure Renault », il n’y a pas eu de manifestations européennes contre les délocalisations et les pertes d’emplois. Non, il n’y a eu que le silence. Ou plutôt le bruit du volet qui se ferme une dernière fois sur une petite entreprise. Sur une vie.
Le sort des petits indépendants n’intéresse pas beaucoup les milieux progressistes. Les « boutiquiers » sont tous, par principe, par métier, suspects d’être poujadistes, accusés d’être des individualistes et donc responsables de leur propre détresse.
Il n’intéresse pas beaucoup non plus les milieux ultralibéraux : trop petits, trop modestes. On préfère défendre les patrons de banques que les épiciers ou les artisans.
Et si les progressistes commençaient à s’intéresser à ces indépendants « licenciés »?
Contrairement à une certaine vulgate de gauche, le progressisme n’est pas lié au salariat. Il se définit par l’attention qu’il porte aux personnes victimes du système économique, de ses chocs et de ses injustices. Ces milliers d’indépendants méritent notre attention, tout autant que les ouvriers d’Arcelor ou les employés de Fortis.

samedi 20 juin 2009

Welcome back, David and Tahir!

Il n’y a pas que de mauvaises nouvelles. Vendredi, le journaliste du New York Times, David Rohde, et son assistant, le reporter Tahir Ludin, ont réussi à s’échapper à leurs geôliers talibans. Ils avaient été arrêtés le 10 novembre dernier dans les environs de Kaboul et emmenés dans un sanctuaire islamiste, dans le Waziristan, a région nord-ouest du Pakistan.
Après avoir franchi le mur d’enceinte, les deux journalistes ont été aidés par un éclaireur de l’armée pakistanaise qui les a conduits dans une base militaire et de là, ils ont été transférées dans la base américaine de Bagram, en Afghanistan.
Contrairement aux affaires hyper-médiatisées de l’enlèvement de Florence Aubenas ou de Georges Malbrunot et Christian Chesnot, cette prise d’otages est complètement passée sous silence. Le New York Times a estimé en effet que pour assurer la sécurité des deux journalistes, il fallait imposer le secret. Tous les médias et toutes les organisations de défense des journalistes qui avaient été mises au courant, à l’exemple du Committee to Protect Journalists de New York, ont respecté le pacte.
David Rohde est l’un des journalistes américains les plus prestigieux, l’un des plus courageux aussi. Je l’avais rencontré en 1996 dans les bureaux de Human Rights Watch à Bruxelles lorsqu’il enquêtait sur le massacre de Srebrenica. Il venait de quitter le Christian Science Monitor pour rejoindre le New York Times. On lui doit un des livres les plus importants sur la guerre en Bosnie et la passivité des démocraties face au génocide (Endgame : the betrayal and fall of Srebrenica).
Deux fois primé par le Prix Pulitzer, David Rohde est un personnage discret, courtois, qui incarne la meilleure tradition du journalisme américain. Une passion pour la vraie information, c’est-à-dire, selon la célèbre formule d’un patron de presse londonien, pour « cette chose que quelqu’un veut cacher, le reste n’étant que publicité », une réelle audace, une empathie avec les populations broyées par la guerre, un souci de soumettre tous les pouvoirs et en particulier celui de son propre pays au test de la vérité.
Welcome back, David and Tahir.

lundi 15 juin 2009

Ahmanidejad, Chavez et le prolétarisme primaire

Les élections en Iran ont fourni une réponse à ceux qui hésitaient encore sur les convictions politiques de Hugo Chavez. Non content d’avoir envoyé ses encouragements au président Ahmadinejad lors de la campagne électorale iranienne, le chef de l’Etat vénézuélien a félicité la « grande victoire » du candidat officiel à l’issue du scrutin. Il a été l’un des seuls dirigeants élus à oser se prononcer dans ce sens. Dis-moi qui sont tes amis, je te dirai qui tu es…
Peut-être va-t-on voir Daniel Ortega prêter lui aussi son appui au tyran de Téhéran. Le président « sandiniste » du Nicaragua ne rate aucune occasion pour donner à la gauche une mauvaise réputation. Surveillons aussi les envois de fleurs de Corée du Nord et de Birmanie.
Une certaine gauche va-t-elle enfin ouvrir les yeux et cesser de confondre le populisme et l’anti-américanisme avec le progressisme ? Bien sûr, le « petit peuple » iranien semble préférer Ahmadinejad à Moussavi, mais ce « prolétarisme primaire » a déjà donné à l’histoire une belle cohorte de satrapes, des S.A. aux GIA..

lundi 8 juin 2009

Libérez Laura Ling et Euna Lee!

Laura Ling et Euna Lee, les deux journalistes américaines arrêtées en mars dernier par des garde-frontières nord-coréens, viennent d’être condamnées à 12 ans de travaux forcés par un tribunal de Pyongyang.
Ces deux reporters de Current TV, la chaîne de télévision fondée par l’ancien vice-président Al Gore, sont les victimes expiatoires du durcissement des relations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord et elles pourraient bien servir de « monnaie d’échange » dans le bras de fer « nucléaire » qui se déroule actuellement entre l’Etat ermite et le reste du monde.
Laura Ling et Euna Lee enquêtaient sur l’exode de citoyens nord-coréens en direction de la Chine, un sujet tabou en Corée du Nord. Accusés « d’actes hostiles » et d’entrée illégale, rien ne prouve, toutefois, qu’elles aient franchi la frontière entre les deux pays. Le procès s’est déroulé sans la présence d’observateurs étrangers.
Comment contribuer à leur libération ? Le Département d’Etat, assisté par l’ambassade de Suède, a multiplie les démarches, mais il semble bien que le régime de Kim il Jung, engagé dans une délicate phase de succession, cherche à susciter la visite d’une haute personnalité américaine pour négocier leur mise en liberté. Certains ont évoqué un voyage d’Al Gore, mais son entourage n’a pas confirmé.
Peser sur un régime fermé est l’un des défis les plus difficiles pour les organisations de défense des droits de l’Homme. Pyongyang apparaît inatteignable et insensible à toutes les demandes humanitaires.
Il serait peut-être judicieux dès lors de demander aux « amis de la Corée du Nord » de se mobiliser. Dans la plupart des pays européens, en effet, des associations se sont constituées pour défendre les points de vue de Pyongyang. Certains de ces « amis » appartiennent même à des organisations sociales et des partis politiques établis. C’est le moment de leur demander des comptes.
Vous pouvez écrire par exemple à info@korea-is-one.org , un groupe présent notamment en France, en Belgique et en Suisse. Ou encore contacter l’Association d’amitié franco-coréenne, au +33 (0)1 40950510 ou à amitiefrancecoree@gmail.com
Sans oublier le Comité international de liaison pour la réunification et la paix en Corée (CILRECO), présidé par l’ancien sénateur-maire communiste d’Antony, André Aubry, et géré par le secrétaire général Guy Dupré.
Le site du CILRECO mentionne, parmi ses membres belges Willy Burgeon, président de la section PS de Leval-Trahegnies et ancien président honoraire du Parlement wallon, qui fut fameusement « piégé » par l’émission Striptease en 2000, et Paulette Pierson-Mathy, professeur honoraire à l’Université libre de Bruxelles et, récemment, membre fondatrice du Tribunal Russel sur la Palestine.

samedi 30 mai 2009

Casse-toi, pauv' canon!

« L’homme de la place Tienanmen », seul face à une colonne de tanks. Cette photo a fait le tour du monde et elle incarne, plus encore que la « déesse de la démocratie », le printemps démocratique chinois de 1989 et son écrasement dans le sang par l’armée rouge.
Le sinologue et journaliste français Adrien Gombeaud vient de consacrer un excellent livre à cet homme, à ce soldat inconnu de la démocratie, dont on ignore aujourd’hui encore le sort qui lui fut réservé après son extraordinaire face à face, le 5 juin 1989, avec les chars de Deng Xiao Ping (L’homme de la place Tienanmen, Editions du Seuil, collection Médiathèque, mai 2009, 121 pages).
L’homme à la chemise blanche et aux sacs en plastic intervient à la fin de l’opération de « nettoyage » effectuée par l’armée rouge. Après l’intervention des tanks contre les tentes plantées sur la place et après les massacres qui se sont déroulés dans les rues adjacentes, dans d’autres quartiers de Pékin, et dans d’autres villes chinoises. Avant la « normalisation », les procès et les condamnations.
C’est un immense et désespéré « casses-toi, pauv’con » qu’il adresse aux camarades tankistes, des « appelés » venus des provinces et persuadés par la propagande officielle qu’ils se trouvaient devant des hordes de traîtres contre-révolutionnaires et anti-chinois.
Comme le signale l’auteur, le pouvoir aurait pu dégager la place à l’auto-pompe. Non, il fallait faire usage d'une force disproportionnée, il fallait casser, briser, tuer, pour que la population comprenne qu’il était interdit de défier le pouvoir. Le peuple chinois, éternel sujet, devait rentrer dans le rang et accepter la nouvelle voie indiquée par le parti communiste : la prospérité sans la liberté, la croissance sans l’égalité.
Cet « homme » est la dernière figure de la rébellion. Et son geste « fou » est devenue un emblême parce qu’il incarne à la fois la fin d’un rêve, le climax d’une tragédie et le début d’une longue traversée du désert.
L'"homme" est devenu une icône parce qu'il réveille des symboliques chinoises, celles de la personne sacrifiée, mais aussi universelles, le héros seul, David devant Goliath.
« Retourne chez toi, casse-toi », semble-t-il dire au tankiste. Et celui-ci, qui est le deuxième acteur de la photo, hésite, tente de le contourner. Ce jour-là, sur l’immense avenue qui borde la place Tienanmen, deux hommes se regardent, se toisent et respectent leur commune humanité, l’un par sa colère, l’autre par son esquive. Il y a un deuxième homme sur la place Tienanmen, dont on ne connaît pas le nom ni le sort et qui, pendant quelques instants, ne remplit pas l'ordre qui lui a été donné, fait un acte de désobéissance et contribue ainsi à cette extraordinaire et inoublibale choréographie de la liberté.
Dans ce très beau livre, Adrien Gombeaud rappelle aussi qu’il y eut cinq regards sur cet « homme face aux chars ». Quatre journalistes et un caméraman de CNN qui, tous, auraient voulu être le seuls à « signer » cette photo historique. Et qui, tous, sont restés marqués, dans un étonnat anonymat, par cet "instant décisif, comme l'aurait Henri Cartier-Bression, de la photo qui devient davantage que le reflet de la réalité pour créer son propre univers.
La réflexion de l'auteur sur ces images de Tienanmen rappellent l’importance du journalisme dans la mémoire collective des événements du monde. Comme le signale Simon Leys, implacable décrypteur des illusions et des fabrications du communisme chinois, « Pour les communistes chinois, écrit-il, le massacre a toujours constitué une méthode de gouvernement…La seule nouveauté des massacres, c’est qu’ils se sont déroulés sous les yeux de la presse et de la télévision étrangères ».
Un livre, bien écrit, cultivé. A lire. Pour mieux approcher cet « homme seul » qui, pendant quelques secondes, représenta la Chine de la dignité et qui, aujourd’hui, appartient à l’éternité.

mercredi 27 mai 2009

Le contrôle au faciès: illégal et inefficace, selon un rapport de l'Open Society Institute

Une nouvelle étude de l'Open Society Institute démontre que la police en Europe cible excessivement les minorités et que ces méthodes de "contrôle au faciès", appelées "profilage ethnique ou religieux", utilisées notamment dans le cadre de la lutte antiterroriste, non seulement violent les lois sur la non-discrimination, mais sont carrément inefficaces et contreproductives.

Pour en savoir plus:

Contact: Luis Montero, +44 (20) 70311704, +44 (77) 98737516, luis.montero@osf-eu.org (Europe)
Rachel Hart, +1 (212) 548-0378, +1 (917) 543-1126, rhart@sorosny.org (Etats-Unis)

Bruxelles, 27 mai 2009. Le recours généralisé aux stéréotypes ethniques et religieux par les forces de l’ordre en Europe entravent les efforts visant à combattre la criminalité et le terrorisme, révèle un rapport publié aujourd’hui par l’Open Society Justice Initiative.
Ce « profilage ethnique » se manifeste le plus souvent dans la sélection des personnes que la police interpelle, interroge, fouille et, parfois, arrête. Or, rien ne prouve que le profilage ethnique prévienne réellement le terrorisme ou diminue les taux de criminalité.
« Trop de responsables gouvernementaux confondent la sécurité avec un contrôle sévère des communautés minoritaires par la police», a déclaré James A. Goldston, directeur exécutif de l’Open Society Justice Initiative. « A l’approche des élections pour le Parlement européen, le monde politique devrait dénoncer le profilage ethnique et plaider pour une plus grande collaboration entre les minorités et la police ».
Partout en Europe, les minorités et les communautés immigrées font état d’un traitement discriminatoire de la part de la police. Recourant à des fouilles massives de données ou à des contrôles d’identité intimidants, le profilage ethnique est plus souvent une opération de relations publiques qu’une réponse véritable à la criminalité. Le rapport décrit un recours généralisé à cette pratique en Allemagne, en France, en Italie; aux Pays-Bas et dans d’autres Etats membres de l’UE.
« En se fondant sur l’apparence physique comme d’un code qui révélerait une propension au crime, le profilage ethnique inverse la présomption d’innocence », a ajouté James A. Goldston. « Les tactiques actuelles non seulement aliènent les communautés dont la coopération est la plus essentielle, elles sapent également les efforts de la lutte anti-terroriste partout en Europe. Heureusement, de bien meilleures alternatives existent ».
En 2006-2007, l’Open Society Justice Initiative a coopéré avec la police municipale de Fuenlabrada, une ville située à la périphérie de Madrid, dans le cadre d’un projet pilote qui a obtenu d’excellents résultats en évitant le recours au profilage ethnique. Au cours d’une période de six mois, la police de Fuenlabrada a réduit de moitié ses interpellations, notamment parmi les personnes issues de groupes minoritaires, et elle a accru de 6 à 28% le nombre d’interpellations qui ont permis de découvrir un crime ou une autre infraction.

L’Open Society Justice Initiative, un programme opérationnel de l’Open Society Institute, mène des activités de réforme juridique fondées sur la protection des droits humains et contribue au développement des capacités juridiques en vue de promouvoir des sociétés ouvertes dans le monde entier. Cette initiative a recours à des procédures légales, au plaidoyer juridique, à l’assistance technique et à la diffusion des connaissances afin de progresser dans les secteurs prioritaires suivants : la lutte contre la corruption, l’égalité et la citoyenneté, la liberté d’information et d’expression, la justice internationale, et la justice pénale nationale. Elle dispose de bureaux à Abuja, Budapest, Londres, New York et Washington DC.
www.justiceinitiative.org

mercredi 20 mai 2009

Birmanie: rendez vous à Beijing et New Delhi

L’administration Obama avait annoncé il y a quelques semaines qu’elle avait l’intention de revoir sa politique à l’égard de la Birmanie, jugeant que le recours à l’isolement et aux sanctions n’avait débouché sur aucun résultat concret.
Les organisations de défense des droits de l’homme s’étaient inquiétées de cette annonce et avaient argumenté que les généraux birmans allaient interpréter tout changement comme une licence pour continuer à opprimer et à réprimer.
Le procès surréaliste intenté à Aung San Suu Kyi est venu clore un débat qui s’annonçait très difficile entre le nouveau président américain et le « lobby des droits de l’homme ». En s’en prenant de nouveau à la chef de file de l’opposition démocratique, la Junte a démontré qu’elle n’a pas du tout l’intention d’ouvrir la scène politique birmane parce qu’elle n’a pas du tout l’intention d’ouvrir un dialogue avec la communauté internationale.
Les militaires birmans sont persuadés en effet que cette « communauté » ne représente qu’une frange du monde, essentiellement des pays occidentaux qu’il est facile de stigmatiser sous l’accusation d’impérialisme et d’occidentalisme et qui ne constituent pas des acteurs essentiels à la survie de leur régime.
La Junte dispose de sa propre autonomie financière, grâce aux royalties des firmes pétrolières (dont Total) et aux revenus retirés de trafics en tout genre. Elle est protégée également par la Chine, puissance désormais dominante dans la région, mais aussi par l’Inde, beaucoup plus discrète mais tout aussi compromise.
Ces deux pays sont aujourd’hui ciblés par les organisations de défense des droits de l’homme. Toutefois, le travail de plaidoyer qu’elles mènent à l’intention des gouvernements démocratiques censés relayer leurs protestations auprès de la Chine et de l’Inde est insuffisant. Il s’agit désormais de promouvoir à l’intérieur de ces deux pays une « base » constituée de groupes et d’individus « nationaux » qui plaident pour une politique étrangère plus « éthique ».
Plus facile en Inde où le système démocratique permet la liberté des médias et l’action de la société civile, cette approche n’est pas impossible en Chine. Elle passe notamment par la multiplication des contacts avec les centres d’études politiques ou stratégiques basés en Chine, qui sont conscients des risques de backlash (retour de bâton) pour la Chine si la politique extérieure de Beijing se confond avec le pillage des ressources naturelles d’un pays ou la caution accordée à ses tyrans. Déjà, des experts chinois se sont dits préoccupés par les rancoeurs auxquelles doivent faire face les investisseurs et travailleurs chinois en Afrique, accusés de concurrence déloyale et de « prédation ».
Les milieux de la diaspora chinoise sont aussi des acteurs importants car ils sont sensibles à la nécessité de promouvoir une image positive de leur « mère-patrie » à l’extérieur de ses frontières.
Face à l’intransigeance des « royaumes ermites », comme la Birmanie, l’enjeu chinois est de plus en plus crucial. Et il requiert que les défenseurs des droits de l’homme développent des stratégies appropriées.

samedi 9 mai 2009

Des journalistes contre la liberté

Les célébrations sont terminées, les discours sont parqués sur les disques durs. Rendez-vous au 3 mai de l’année prochaine, autre ville, mêmes participants, même heure.
La journée internationale de la liberté de la presse est un moment privilégié pour les organisations de défense de la liberté d’expression et, surtout, pour les journalistes de pays autoritaires qui s’y voient reconnus et célébrés.
Mais cette communion solennelle des vertueux et des preux ne doit pas nous faire oublier qu’il y a des journalistes ennemis de la liberté qui appuient et justifient la répression et la censure.
Le hasard a voulu que je lise, à l’approche de cette date symbolique du 3 mai, l’extraordinaire enquête du journaliste écrivain Francisco Goldman sur l’assassinat en 1998 de Mgr Gerardi, évêque de Guatemala et figure de proue de la lutte pour les droits de l’homme. Son livre The Art of Political Murder, considéré comme l’un des meilleurs du genre et salué par l’ensemble de la critique littéraire, ne dénonce pas seulement les réseaux occultes enkystés au sein des services de police et de renseignements d’une prétendue « démocratie » rongée par l’arbitraire et l’impunité. Il jette également un regard cru sur les manipulations et la malfaisance de médias et de journalistes qui ont choisi le camp des assassins.
La défense de la liberté de la presse s’exerce au bénéfice de tous les journalistes, que l’on partage ou non leurs points de vue, mais elle ne doit pas empêcher de juger avec sévérité les dérives de certains journalistes qui se comportent comme des sténographes de pouvoirs autoritaires ou de camarillas meurtrières.
Il y a bien sûr des journalistes condamnés par (presque) tous : les brailleurs génocidaires de Radio Télévision des Mille Collines au Rwanda en 1994, les caporaux des radiotélévisions officielles lors des guerres balkaniques. Mais le monde de la « grande presse » comporte aussi des éditorialistes, des éditeurs, des reporters qui ne souffrent pas de cet opprobre alors qu’ils manipulent l’information en faveur des dictatures, qu’ils diffament les démocrates et qu’ils cautionnent les attaques contre les journalistes « insolents ».
« Nous sommes dans la même profession, mais nous ne faisons pas le même métier », avait déclaré fameusement l’ex-rédacteur en chef du Monde et fondateur du site Mediaparts, Edwy Plenel. Du journal chilien Mercurio qui défendit la dictature du général Pinochet à la presse nationaliste turque, des journaux français qui, durant la guerre d’Algérie, défendirent la torture, aux éditorialistes américains qui, après le 11 septembre, accusèrent de trahison leurs collègues les plus indépendants, la profession compte un bon nombre de gens qui, chaque jour, trahissent ses principes les plus fondamentaux.
La journée du 3 mai ne devrait pas seulement célébrer la liberté de la presse, elle devrait réserver ses louanges aux plumes de la liberté et à eux seuls. Elle devrait rompre avec le corporatisme en osant dénoncer ceux qui exhibent leurs cartes de presse pour mieux cacher la muselière qu’ils veulent imposer à leurs collègues mal-pensants.

samedi 18 avril 2009

Violence sexuelle au sein des forces armées U.S.

Helen Benedict vient de publier un livre choc, un livre choquant, sur la violence sexuelle dont sont régulièrement victimes les femmes qui servent dans les forces armées américaines en Irak.
Basé sur l’interview de 40 femmes, son essai - The Lonely Soldier : The Private War of Women Serving in Iraq - décrit une atmosphère angoissante de harcèlements, d’attouchements et de viols.
Sur ces 40 femmes interrogées, 28 ont été harcelées sexuellement, agressées ou violées.
Ces chiffres expriment mal les souffrances rencontrées par ces femmes le plus souvent isolées au sein d’unités largement dominées par les hommes. Les « incidents » sont rarement rapportés aux autorités et les coupables encore plus rarement inquiétés. « Je crains davantage mes compagnons d’armes que les tirs de mortiers », déclare l’une des femmes interviewées.
Selon des études officielles, 30% des femmes militaires ont été violées durant leur temps de service, 71% ont été sexuellement agressées et 90% ont été victimes de harcèlement.

Helen Benedict est journaliste, écrivain et professeur à l’Ecole de journalisme de l’Université de Columbia (New York). Son livre est publié chez Beacon Press.

mercredi 15 avril 2009

Etats-Unis: au secours, les néo-nazis reviennent

Le Département de la sécurité intérieure des Etats-Unis (l'entité chargée de lutter en particulier contre le terrorisme) s’attend à une résurgence des groupes d’extrême droite. Une note récemment publiée par son Bureau de renseignement et d’analyse (DHS/I&A) estime que plusieurs facteurs pourraient créer un terreau propice aux opérations de recrutement de l’extrême droite : la crise économique avec son cortège de pertes d’emploi, de faillites et de saisies immobilières ; l’élection du premier président afro-américain ; le retour d’anciens combattants bien entrainés de la guerre d’Irak ; des tentatives gouvernementales de restreindre la vente d’armes à feu, suite aux récents massacres et à l’explosion de violence liée au trafic de drogue dans les Etats frontaliers du Mexique.
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Si le Department of Homeland Security ne décèle aucun signe d’attentats imminents, il note une augmentation des achats et stockages d’armes ainsi qu’une participation accrue aux exercices d’entrainement organisés par des groupes paramilitaires.
Le service de renseignement rappelle que la situation actuelle ressemble à celle qui avait prévalu lors de la crise économique des années 90 et qui avait débouché notamment sur l’attentat terroriste d’Oklahoma City, perpétré par un membre d’une organisation d’extrême droite.
Ces facteurs, note le département, pourraient « déboucher sur l’émergence potentielle de groupes terroristes ou d’extrémistes isolés capables de mener à bien des attaques violentes ».
Peu présente sur la scène politique conventionnelle dominée par les deux grands partis Démocrate et Républicain, l’extrême droite dispose toutefois de groupes très bien organisés qui gravitent autour de « partis de la suprématie blanche », de mouvements racistes et de clubs de propriétaires d’armes à feu.
L’analyse des « conversations Internet » de l’extrême droite indique que trois groupes risquent d’être particulièrement visés : la communauté juive, cible traditionnelle des néo-nazis américains, accusée d’être à l’origine de la crise de Wall Street ; la communauté noire en raison de la présence de Barack Obama à la Maison Blanche ; les immigrés, en particulier les Mexicains, accusés de « prendre le boulot des Américains ».

La thèse du grand complot
S’il y a lieu de faire la différence entre les milieux conservateurs, notamment au sein de la mouvance chrétienne, et l’extrême droite, cette dernière chercherait aussi à mobiliser autour de « questions éthiques », comme la libéralisation de l’avortement et la reconnaissance des droits des homosexuels.
La profondeur de la crise économique attiserait par ailleurs les groupes « conspirationnistes » qui prédisent depuis des années l’effondrement des Etats-Unis et la chute de leur pays dans une guerre sociale et raciale totale. Cette paranoïa est renforcée par la montée en puissance de pays comme la Chine, le Brésil ou la Russie. Certains extrémistes estiment même que ce "déclin américain" est favorisé par des groupes et des personnes « cosmopolites » infiltrées au sein du gouvernement américain.
L'alerte est sérieuse: le Bureau de renseignement et d’analyse ajoute qu'Internet a rendu plus facile non seulement le cryptage des communications mais aussi l’acquisition de données sur la fabrication d’armes, les tactiques militaires ou l’identification des cibles. Il relève également que des groupes extrémistes néo-nazis, skinheads, se sont engagés au sein des forces armées américaines « pour y apprendre l’art de la guerre ».

Voir le document: Rightwing Extremism: Current Economic and Political Climate Fueling Resurgence in Radicalization and Recruitment.
Etats-Unis : danger extrême-droite
http://www.fas.org/blog/secrecy/2009/04/rightwing_extremism.html