mercredi 24 février 2010

Daniel Ortega, hostile à l'avortement en toutes circonstances et membre de l'Internationale socialiste

Le refus des autorités nicaraguayennes d’accorder un traitement médical à une femme enceinte et atteinte du cancer a provoqué de vives réactions au niveau international. Ce refus, notent la plupart des associations médicales ou féministes, condamne la mère à une mort certaine.
Amalia (son nom a été modifié), âgée de 27 ans, est enceinte de 10 semaines. Le 2 février 2010, on a diagnostiqué chez elle un cancer qui a peut-être déjà atteint le cerveau, les poumons et les seins.
Les autorités du Nicaragua dissuadent les médecins de lui administrer un traitement contre le cancer pendant sa grossesse, car le personnel médical s'exposerait à des poursuites pénales s'il causait du tort au fœtus, même involontairement, lors du traitement.
En dépit des protestations, le gouvernement sandiniste du président Ortega est resté intransigeant. Il applique mécaniquement la législation qu’il avait fait voter en 2008, interdisant l’interruption de grossesse en toutes circonstances, même en cas de viol ou de risque pour la mère.
En 2009, Amnesty International avait déjà condamné la politique adoptée par le Nicaragua. « L’interdiction totale de l'avortement au Nicaragua met en danger la vie de femmes et de jeunes filles, les privant de soins médicaux qui pourraient leur sauver la vie, empêchant les professionnels de santé de pratiquer une médecine efficace et contribuant à l'augmentation de la mortalité maternelle dans le pays, avait conclu Amnesty International dans un rapport publié le 27 juillet 2009.
Selon des chiffres officiels, 33 femmes et jeunes filles sont mortes au cours de leur grossesse depuis le début de l'année 2009, contre 20 sur la même période en 2008. Amnesty International estime que ces chiffres sont en-deçà de la réalité, le gouvernement lui-même ayant reconnu que le taux de mortalité maternelle est sous-évalué.
« Il est choquant que le Nicaragua prive une patiente atteinte d'un cancer de soins qui pourraient lui sauver la vie au motif qu'elle est enceinte, a déclaré Esther Major, responsable des recherches sur l'Amérique centrale à Amnesty International.
« La situation d'Amalia illustre clairement les répercussions de cette loi draconienne et montre à quel point il est urgent de l'abroger, car elle empêche de prodiguer des soins en temps voulu et fait obstacle à un jugement médical éthique. Chaque jour compte pour les chances de survie d'Amalia et les autorités nicaraguayennes doivent prendre immédiatement des mesures afin qu'elle reçoive tous les soins nécessaires au traitement de son cancer. »


PETIT RAPPEL

Le gouvernement du Nicaragua est qualifié de « régime de gauche » en Amérique latine. Par ailleurs, le Front sandiniste fait partie de l’Internationale socialiste.
Que pasa ? C’est pour ce genre de parti opportuniste que des millions de gens s’étaient mobilisés dans les années 80 ? Quelle est la réaction du leader du socialisme du XXIème siècle, Hugo Chavez, face à cette situation ? Et que sera l’attitude de l’Internationale socialiste et surtout de ses organisations féministes face à cette attitude du gouvernement nicaraguayen, plus proche de Pie XII que de Leon Blum ?
Dans les années 1970, le Front sandiniste de libération nationale avait suscité l’enthousiasme dans tous les milieux progressistes d’Europe et d’Amérique latine. La « petite armée folle » des héritiers du héros libéral et nationaliste des années 30, Augusto Cesar Sandino, s’était lancée à l’assaut d’un des régimes les plus brutaux et corrompus d’Amérique centrale, la satrapie des Somoza.
Après la Victoria en 1979, le même enthousiasme avait animé tous ceux qui pensaient trouver à Managua un nouveau modèle révolutionnaire, plus démocratique et moins aligné que celui de Cuba.
Dès les premiers mois, certains avaient décelé les errements sandinistes, les dérives de leurs dirigeants, leur alignement et leur autoritarisme, mais ils s’étaient tus le plus souvent car ils craignaient d’apporter des munitions à l’administration Reagan et aux Contras, issus de l’ancienne dictature et de la droite nicaraguayenne.
En 1990, la défaite du FSLN fut largement attribuée à l’épuisement provoqué par la guerre menée à partir de Washington. Les fautes des sandinistes furent le plus souvent minimisées ou ignorées.
Et puis le Nicaragua disparut des écrans. Le Front sandiniste se déchira, se divisa et Daniel Ortega, qui avait présidé le régime sandiniste lors des années de pouvoir et de guerre, entama une longue marche qui le conduisit à remettre en cause tous les grands principes de la Révolution. Il se rapprocha de politiciens de droite corrompus, s’allia à la très conservatrice Eglise catholique, mena une campagne virulente contre la presse indépendante et les ONG dérangeantes..
Sa réélection avec un bon tiers de voix seulement en 2006 fut interprétée par des observateurs borgnes comme un nouvel exemple du « virage à gauche » de l’Amérique latine, alors que le régime « orteguiste » bafoue les principes les plus essentiels du progressisme. Il ne suffit pas en effet d’être anti-américain pour être de gauche (Mussolini était anti-américain...) et l’alliance avec des tyrans comme Ahmadinejad n’est pas, que je sache, un gage de progressisme.
Le régime nicaraguayen est un modèle d’autoritarisme et de népotisme qui rappelle davantage Somoza que Sandino.
Quand tirera-t-on le rideau sur la prétention du Front sandiniste de se présenter sous la bannière des valeurs de gauche ?

dimanche 21 février 2010

A LIRE

Le premier budget militaire du prix Nobel de la Paix

Une étude fouillée de Luc Mampaey, chercheur au GRIP (Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité)

En voici le résumé rédigé par le GRIP
Selon le projet présenté le 1er février 2010 par Robert Gates, le budget militaire des États-Unis devrait dépasser les 700 milliards de dollars pour l’année fiscale 2011. Malgré ce chiffre impressionnant, les deux premiers budgets présentés par l’administration Obama marquent une nette rupture par rapport à ceux de George W. Bush, et témoignent d’une réelle volonté d’endiguer les dérives financières de plusieurs grands programmes d’armements, jusqu’alors réputés intouchables. Toutefois, il semble que ce retour à l’orthodoxie financière n’a été possible qu’au prix d’une sous-estimation de certaines dépenses et de reports d’investissements pourtant nécessaires. De plus, Barack Obama doit compter avec l’inertie et la cohésion d’un système militaro-industriel bien décidé à défendre ses positions et conforté par le climat de guerre permanente qui s’est installé depuis 2001. Dans ce contexte, il est illusoire d’attendre une inflexion déterminante de la trajectoire des dépenses militaires des États-Unis.

www.grip.org

samedi 20 février 2010

Le rapport annuel du Comité de protection des journalistes

Le CPJ, Committee to Protect Journalists, vient de publier son rapport annuel, intitulé Attacks on the Press. Mardi, quatre chercheurs ou conseillers du CPJ (Nina Ognianova, Elisabeth Witchel, Borja Bergareche et Jean-Paul Marthoz) sont venus à Bruxelles pour présenter les principaux résultats du rapport et demander à l'Union européenne de prendre la défense des journalistes et de la liberté de la presse partout dans le monde.
L’association, basée à New York et appuyée par les représentants les plus prestigieux du journalisme américain, estime à 71 le nombre de journalistes qui sont morts l’année dernière dans l’exercice de leur profession.
Philippines, Russie, Chine, Cuba, Tunisie, Somalie, Colombie, etc. Le rapport détaille la situation qui prévaut dans de nombreux pays qui se distinguent par l’insécurité dans laquelle travaillent les journalistes.
Il identifie aussi des tendances lourdes : le nombre de plus en plus important des journalistes freelances, le lourd tribut payé par les journalistes locaux généralement les plus exposés, le développement du journalisme en ligne et la répression dont il fait l’objet.
Des chapitres régionaux abordent des thématiques spécifiques : l’impunité des tueurs en Russie, l’espionnage des journalistes et de leurs sources en Colombie, la condamnation à l’exil des reporters africains, l’impact des conflits armés en Asie sur la sécurité des journalistes.
Mais le rapport n’est pas seulement une longue liste d’abus et de brutalités. Il démontre aussi que la mobilisation des journalistes en faveur de leurs collègues peut être efficace, que des gouvernements soumis à la critique font des concessions, qu’ils libèrent des reporters emprisonnés, comme Maziar Bahari en Iran, ou rouvrent des dossiers négligés.
Si la grande presse souffre d’une crise économique inédite, des milliers de blogueurs et de citoyens s’échinent à faire circuler l’information, et surtout l’information qui dérange les satrapes et les tyrans. Comme l’écrit Joel Simon, le directeur exécutif du CPJ, en dépit des bouleversements que traverse la planète média ou peut-être grâce à eux, la tactique du « name and shame » est plus que jamais efficace.
Le rapport nous rappelle aussi que la répression des journalistes ou leur exclusion des zones de conflits ne sont pas une affaire corporatiste. C'est l'ensemble de la société qui est affectée par la censure. Et l'absence d'images ou d'infos laisse les individus et les sociétés à la merci des dictateurs et des tueurs.

Note : Le rapport, préfacé par Fareed Zakaria, le célèbre chroniqueur de Newsweek et l'auteur de l’Empire américain et de L’avenir de la liberté, existe en version papier (360 pages). Il est téléchargeable sur le site du CPJ, www.cpj.org

Lu pour vous:

Elias SHAFAK, "Femme écrivain"
Dans l’édition de février de Time Out Istanbul, l’excellente Elias Shafak, auteure entre autres de La Bâtarde d’Istanbul, réfléchit sur le machisme des mots :
« En Turquie, le mot « femme écrivain » est souligné à tout bout de champ. Quand on est un « homme écrivain », personne ne vous appelle « homme écrivain ». Vous êtes un romancier. Ou un poète. Mais quand vous êtes une femme et romancière ou poétesse, vous êtes d’abord une femme et ensuite une romancière ou une poétesse. Comme le disait Virginia Woolf, notre plume doit être bisexuelle. Je ne crois pas à la littérature féminine au sens strict. Mais le fait d’être une femme affecte la manière dont je regarde le monde et certainement la manière dont le monde me regarde ».

Vladimir COSMA, compositeur français d’origine roumaine(Mariane, 13-19 février) a des choses à dire sur l’identité nationale
« Sarkozy, il voudrait être Johnny Halliday, mais il tiendra moins longtemps sur scène. Ce type s’est fait élire avec un slogan aussi vulgaire que « Travailler plus pour gagner plus » ! C’est innommable, travailler plus, pas pour vivre mieux, juste pour avoir plus d’argent, c’est sa seule valeur…C’est ça être un Français ?
Moi, je suis un émigré de 70 ans, né de parents roumains, qui travaille ici, depuis les années 50 ; avec leur définition (à Besson et Sarko, Ndlr.), je suis donc moins français que les Français…Je suis arrivé en France comme l’insecte attiré par la lumière, mais j’ai gardé mon âme roumaine, comme Igor Stravinski, qui était français mais est resté russe jusqu’à son dernier souffle. Il n’en a pas moins contribué au rayonnement de la culture française »..

dimanche 14 février 2010

Une Iranienne écrit à Mandela

J'ai reçu cette "lettre ouverte à Nelson Mandela". Son auteure, Azita Rahimpoor, est une démocrate iranienne résidant en Belgique. Avide de liberté et de bonheur pour son pays, elle assiste depuis des mois à la répression des dissidents et des opposants qui se mobilisent pacifiquement contre le régime.
A lire et à partager.

Bruxelles, le 11 février 2010
Monsieur Mandela,

Je vous écris cette lettre du cœur de l’Europe. Vous devez probablement en recevoir des milliers par jour. Ce n’est pas grave, j’ai envie de vous parler, de vous expliquer et surtout j’ai besoin de vous demander votre aide et vos conseils.
Aujourd’hui, cela fait exactement vingt ans que vous avez été libéré de prison et dix-neuf ans que l’apartheid a été aboli dans votre pays. Mais dans mon pays, Monsieur Mandela, qui fête aujourd’hui le 31e anniversaire de sa révolution, l’apartheid sévit toujours : un apartheid de classe, un apartheid entre une classe dirigeante incompétente et un peuple qui a perdu toute joie de vivre. Je vous écris car aujourd’hui encore j’ai été témoin, sur internet, d’actes de violence aveugle perpétrés à l’encontre d’un peuple qui revendique sa liberté pacifiquement et de façon légale dans les rues de Téhéran et d’autres grandes villes de mon pays natal.

Nous nous sommes rencontrés en 1995, à Johannesburg. Vous ne vous en souvenez probablement pas car il y avait quelque 300 délégués à cette réunion où j’ai eu moi aussi l’honneur de vous serrer la main. C’est en pensant à cette rencontre et surtout après avoir lu un article sur le site de Human Rights Watch, publié également dans Times Live South Africa (*), que j’ai pensé à vous et à votre incontestable carrure morale. Egalement mon père a vécu et travaillé dans votre magnifique pays où il a malheureusement été victime de préjugés à l’époque de l’apartheid, étant donné que, au goût de certains de ses collègues vétérinaires blancs, il côtoyait trop le peuple noir…

Monsieur Mandela, que me conseillez-vous de faire pour faire revivre la joie dans le cœur du peuple iranien, surtout sa jeunesse qui a perdu toute perspective d’avenir, tout espoir, qui n’a plus d’horizon du tout et qui ne fait que buter sa tête et son corps entier contre un mur d’incompréhension liberticide ? Que faut-il faire Monsieur Mandela ?
J’aimerais vous demander d’utiliser votre autorité morale et d’intercéder en faveur de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’Homme et de l’état de droit auprès de la classe dirigeante iranienne actuelle qui a oublié ce qu’elle était censée faire pour son peuple : être un bon manager et gérer le pays en bon père de famille.

Vous êtes parvenu par votre intégrité exemplaire à vaincre une idéologie ségrégationniste et inhumaine. Pourriez-vous avoir la grande bonté d’intercéder en faveur du peuple iranien auprès de la classe dirigeante iranienne et également auprès du gouvernement sud-africain pour qu’il rappelle aux dirigeants iraniens leur rôle premier : permettre à des êtres humains de s’épanouir dans leur diversité en mettant à leur disposition tous les moyens, possibilités et outils disponibles pour faire surgir toutes leurs potentialités et donc de les accompagner sur leur propre chemin de vie dans la tranquillité et surtout en les encourageant à être eux-mêmes, tout simplement.
Monsieur Mandela, le peuple iranien a perdu sa joie de vivre, un peuple qui se nourrit de poésie, de musique et de beauté… Pourriez-vous intercéder en sa faveur pour qu’il soit à nouveau heureux ? Pourriez-vous également me conseiller d’autres démarches à entreprendre à cet effet ?

Dans l’attente de vous lire, je vous remercie d’avance et vous prie de recevoir, Monsieur Mandela, l’expression de ma plus haute considération.

Azita Rahimpoor bonjour.freedom@gmail.be

(***) Iran: South Africa Must Speak Out http://www.hrw.org:80/en/news/2010/02/10/iran-sa-must-speak-out

jeudi 4 février 2010

L'avenir du journalisme

Même si nous journalistes rêvons tous d’une prospérité raisonnable et de moyens appréciables, nous devrions nous rappeler que le journalisme et la liberté de la presse n’existent pas pour assurer l’emploi des journalistes ni les revenus des propriétaires de médias.
Toutefois, il nous faut bien parler d’économie et d’argent. L’ampleur de la crise économique actuelle est telle qu’elle met en cause l’essence même du journalisme et menace ainsi un des socles de la démocratie.
Cette affirmation fera sourire ou agacera ceux qui accusent la presse de faire partie du problème et de saper les fondements de la démocratie. Mais au-delà de l’aveu évident des failles et des dérives d’une profession qui n’est pas vertueuse, il serait inconscient de se réjouir de la crise de la presse ou de s’en laver les mains.
La démocratie ne dépend pas seulement de la liberté d’expression et d’opinion, telle qu’elle s’exprime sur Facebook ou dans les blogs. Son sort dépend aussi de l’exercice professionnel, oserais-je dire artisanal, de ces libertés par et dans le journalisme.
Sans tomber dans le corporatisme, il est important de rappeler que le journalisme donne corps et puissance à la liberté, du moins cette forme de journalisme qui croit à sa responsabilité de relayer les informations nécessaires à l’expression effective de la citoyenneté, qui croit à son devoir de révéler les informations qui permettent le contrôle des tentations et abus du pouvoir.
L’enjeu de cette crise pour le journalisme est de démontrer qu’il occupe une place unique, nécessaire, incontournable au sein de la société.
Le sort de notre profession dépendra certainement des idées que développent les gestionnaires et les spécialistes de la monétisation de l‘information sur Internet. Mais l’avenir du journalisme dépendra tout autant d’un retour à ces principes que l’on célèbre surtout lors des grands messes du métier, lors de la remise du Prix Pulitzer ou du Prix Albert Londres, mais qui ont été écornés tout au long de ces années de commercialisation et de frivolisation de l’information.
Le journalisme doit récupérer le terrain de l’investigation et de l’expertise qu’il a cédé à d’autres, aux ONG, aux centres d’études, aux blogueurs spécialisés.
Il doit restreindre l’espace immense qui est aujourd’hui occupé par la communication pour redevenir non seulement cette institution informelle qui valide les faits et arbitre entre les affirmations partisanes, mais aussi celle qui, en raison de ses connaissances et de son attachement à l’impartialité, acquiert le statut de référence et de pilier de l’information et du débat citoyen.
Comme un parlement qui peut être la chambre d’enregistrement du pouvoir exécutif ou l’expression plus remuante d’un véritable deuxième pouvoir qui contrôle, bride, rappelle à l’ordre le gouvernement, la presse peut se concevoir comme le porte-plume des pouvoirs ou comme un quatrième pouvoir. Mais plus que jamais, c'est ce dernier modèle qui est nécessaire, un journalisme se revendique comme le chien de garde des institutions, comme le petit caillou dans la chaussure des pouvoirs.
Face aux défis qui nous attendent (changement climatique, choc des incivilisations, guerres communautaires), il doit être le canari dans les boyaux de la mine qui nous met en garde contre les coups de grisou de la bêtise et de l’intolérance. Contre aussi « l’horreur économique » et les débordements de la cupidité et de l’inhumanité des tenanciers de tripots de l’ économie casino.
Il faut plus que jamais aller à contre-courant, « résister à l’air du temps » comme le disait Camus, « penser contre soi-même », comme renchérissait Edwy Plenel.
Le grand public ne plébiscite pas nécessairement la presse la plus exigeante et lui préfère les titres plus frivoles, mais c’est à l’aune de cette presse de qualité, exigeante, audacieuse, qu’elle juge le journalisme, sa crédibilité et sa légitimité au sein de la société.

La Cité, la nostalgie n'est plus ce qu'elle était

Très belle soirée, mardi, au Centre belge de la Bande dessinée. Nostalgique comme une linotype, chaleureuse comme un vieux Café de la Presse éthylique et enfumé.
Le CRISP et le CARHOP présentaient un livre sur le quotidien La Cité, une « feuille » disparue bien avant la vague d’angoisse existentielle qui étreint aujourd’hui une presse écrite bousculée par Internet, les évolutions culturelles du grand public et la crise économique.
Cette nostalgie était d’autant plus forte que la soirée se déroulait à 10 mètres des anciens bureaux de La Cité, dans ce quartier de la rue des Sables, qui fut jusque dans les années 70, la Fleet Street ou la rue Réaumur de la presse progressiste belge, avec le siège de La Cité et des quotidiens de la presse socialiste (Le Peuple, Le Monde du Travail).
Je n’ai pas encore lu tout le livre co-signé par Marie-Thérèse Coenen, Jean Heinen, Jean-François Dumont, Luc Roussel et Paul Wynants, mais dans son excellente post-face, Jean-Jacques Jespers, directeur de l’Ecole de journalisme de l’ULB, cherche à établir les responsabilités du décès d'un titre emblématique auquel collaborèrent de nombreux journalistes reconnus.
Son constat est, dans le fond, assez désespérant. Il mentionne les responsabilités de l’organisation qui « contrôlait » ce journal, le Mouvement ouvrier chrétien. Le MOC a eu ses raisons mais il s’est aussi, dans une certaine mesure, mis hors course et hors débat car la décision d’abandonner La Cité n’a pas débouché sur une réflexion et une réforme de fond qui auraient permis d’accroître l’influence de ce mouvement dans le débat public.
Aujourd'hui, quand la presse du MOC est populaire, elle est beaucoup trop corporatiste (syndicaliste, mutualiste, etc). Quand elle propose des réflexions plus intellectuelles, elle est trop confidentielle.
La multitude de ses titres ne contribue que très marginalement à la bataille des idées sur l’agora de la citoyenneté. La même remarque pourrait s’appliquer à la presse socialiste, elle aussi défunte.
Le terrain de la « guerre des idées »a été d’une certaine manière concédé à la presse grand public, à leurs pages débats ou forum, aux interventions sur les plateaux de la RTBF ou de RTL et à une politique de communication d’organisation. Au même moment, l’idéologie conservatrice voire ultralibérale se dotait d’une politique d’information, de communication et de réflexion de nature stratégique.
Vaste discussion bien sûr, mais elle n’a pas été abordée mardi soir. Comme si les anciens de La Cité se contentaient de la chaleur des retrouvailles et n’osaient plus rêver d’une presse progressiste. Ou comme s’ils avaient déclaré forfait et se satisfaisaient par procuration des expériences de la presse française de gauche, comme Le Monde diplomatique, ou « différente », comme Le Canard enchaîné ou XXI.
Comme le dit un quotidien « de la place », « le débat est ouvert ».