lundi 15 août 2011

Bloc-notes 1: Cohn-Bendit, Guillebaud, Buffet, Serge et les autres

Bloc-notes (1)
Daniel Cohn-Bendit, Jean-Claude Guillebaud, Warren Buffett et Victor Serge : rien à voir, direz-vous, entre ces personnalités, sauf que je les ai rencontrées au cours de mes lectures vagabondes de l’été. Sauf que, dans leurs écrits, j’y ai trouvé des sujets de réflexion, des sources d’espoir et des rappels à l’ordre.
Dans Le Nouvel Observateur de cette semaine, Cohn-Bendit rend un très bel hommage à Altiero Spinelli et Ernesto Rossi, deux pères fondateurs de l’ « Europe que nous aimons », celle qui rime avec liberté, raison et solidarité. « La vision d’une Europe démocratique, débarrassée de ses aspirations impériales et de ses emprises totalitaires, mettant l’humain libre et autonome au cœur de ses fondements est apparue durant l’été 1941 », écrit le député vert européen, « quand ces deux intellectuels et militants antifascistes européens rédigèrent et commencèrent à diffuser clandestinement un long manifeste pour une Europe libre et fédéraliste ».
L’écologiste franco-allemand Daniel Cohn-Bendit forme avec le libéral belge Guy Verhofstadt l’un des couples les plus intéressants du Parlement européen. Tous deux sont des fédéralistes convaincus, partisans d’une solidarité continentale dégagée des nationalismes et des souverainismes. Leurs discours et leurs passions tranchent souvent avec la banalité et la platitude qui servent de novlangue à la politique européenne.
Mais quel type d’Europe ce fédéralisme doit-il servir ? Coïncidence, le même numéro du Nouvel Observateur nous offre, juste à côté de la chronique de Cohn-Bendit, une réflexion de Jean-Claude Guillebaud sur le décrochage entre la gauche européenne et le peuple européen. L’auteur y explique en substance comment la social-démocratie et les «libéraux-libertaires » ont abandonné la question sociale et livré, en partie, la classe ouvrière aux mouvements populistes. A-t-on besoin de plus d’Europe si celle-ci se confond avec l’ultralibéralisme, la dérégulation, les délocalisations ? Je vous laisse méditer sur ce télescopage stimulant.
Dans le New York Times, Warren Buffett, le célèbre milliardaire américain, apporte un début de réponse à ces interrogations sur la Question sociale. « L’année dernière, j’ai versé 6.938.744 dollars au fisc, écrit le gourou de la haute finance, mais ce n’est que 17,4% de mes revenus imposables ». C’est, ajoute-t-il, beaucoup moins, proportionnellement, que ce qu’ont payé mes employés.
« Je connais beaucoup de méga-riches, écrit-il, et la plupart sont des personnes décentes qui seraient prêtes à payer davantage d’impôts particulièrement quand tellement de leurs concitoyens souffrent ». Sa conclusion est sans détours : « Il est temps que les politiciens amis des milliardaires cessent de nous dorloter ». En clair, nous les super-riches, nous devons payer beaucoup plus d’impôts. Qui sera le premier milliardaire européen à oser s’inspirer de Warren Buffett et à faire campagne pour le patriotisme fiscal ? Les paris sont ouverts.
Finalement, en cette année où nos librairies croulent sous les livres qui célèbrent l’année Céline, je conseillerai comme antidote de relire l’article publié par Victor Serge en janvier 1938 dans la Wallonie . Cet esprit trotskyste mais libre, vagabond de la révolution mondiale, y parle de « l’obsession nouvelle, taraudante, hallucinante, abrutissante et par dessus tout écoeurante » de l’auteur de Bagatelles pour un massacre: « la haine du Juif ». « Rien de neuf ni d’original là-dedans, écrit-il, sinon la gageure d’en faire tant et tant de pages décousues, toutes les mêmes par un procédé si monocorde que le plus sec des gens de plume pourrait fabriquer du Céline ».
Un antidote ? Oui, tant il me semble parfois que l’intérêt que portent certains à Céline relèvent moins de la passion littéraire que de ces vieilles passions délétères et meurtrières qui entrainèrent l’Europe dans les désastres contre lesquels Altieri Spinelli et Ernesto Rossi se rebellèrent en 1941.