dimanche 14 mars 2010

Jean Ferrat et la Rafle du Vel' d'Hiv

Pourquoi nous a-t-il fait ça ? Partir, nous quitter, alors que sur les écrans de France et de Navarre, des dizaines de milliers de personnes séchaient leurs larmes en regardant un film, la Rafle, qui rappelait si tragiquement l’une de ses chansons les plus graves et les plus émouvantes ?
Nuit et brouillard sur le Vel d’Hiv et les camps du Loiret.
« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent ».

Jean Ferrat était né Jean Tenenbaum et son père est mort à Auschwitz. Il était l’un de ces « indésirables », l’une de ces « vermines », dont la France de la bonne conscience confite et de l’eau bénite voulait se débarrasser.
Jean Ferrat, le « métèque », l’ « étranger », a contribué par ses chansons, sa tendresse, son engagement, à la grandeur d’un pays qui a toujours été le sien non seulement parce qu’il y était né mais surtout parce qu’il a incarné l’esprit de la France éternelle, c’est-à-dire l’expression en français d’une conception universelle de l’humanité.

Honte à la France officielle, celle des pétainistes et des suivistes. Dans la Rafle, elle apparaît dans toute sa bassesse: l'épicière qui ne vend que des produits aryens, le gendarme qui donne "sa parole d'officier français" que les raflés ne quitteront pas la France, les vautours qui se ruent sur les biens juifs abandonnés, les fonctionnaires qui font consciencieusement et immoralement leur boulot et qui, à la Libération, seront promus pour leur zèle.

Cette France-là, cette France tout aussi éternelle des racistes et des frontistes, n’aurait jamais pu chanter que « la montagne est belle », elle était incapable «d’aimer à perdre la raison », elle se serait moquée de « que serais-je sans toi ».

Honte à ceux qui pendant des années imposèrent le silence sur cette ignominie, en prétendant que toute la France avait été résistante.
« Les Allemands guettaient du haut des miradors, chante Jean Ferrat.
La lune se taisait comme vous vous taisiez,
En regardant au loin, en regardant dehors,
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers. »

La Rafle nous rappelle, et à beaucoup elle apprend, qu’il y avait aussi des Français qui guettaient du haut des miradors, que les 4000 enfants du Vel d'Hiv furent aussi poussés par des mains françaises, celles des gendarmes, dans les camions et les trains de la mort.

Honte à ceux qui protégèrent les tueurs et les collabos, comme ce René Bousquet qui apparaît dans ce film comme le complice misérable de la barbarie nazie.
Honte au « vichysto-résistant » François Mitterrand, qui protégea cet assassin.

Comme le déclara Pierre Moscovici, du parti socialiste, lorsqu’il apprit les liens entre Bousquet el celui qui avait incarné les rêves de la gauche. « Ce qui me choque c’est qu’il ait pu frayer avec quelqu’un qui a été un outil de l’antisémitisme d’État et un complice de la solution finale du Reich. On ne peut pas tolérer d’être tolérant envers le mal et, pour moi, René Bousquet c’était le mal absolu ».

Allez voir la Rafle, écoutez les chansons de Ferrat.
« On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours,
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour,
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire »,

Rappelez-vous quand même qu'il y eut des Justes, des Français qui cachèrent des Juifs et dont le film rappelle furtivement l'action.

Au moment où l’Italie fiche les Roms, au moment où le populisme d’extrême droite progresse en Flandre, aux Pays-Bas, en Autriche ou en Hongrie, refusons l’oubli et le pardon.
Pour éviter que Serge Reggiani ne chante : « Les loups, les loups, sont entrés dans Paris. »