dimanche 30 novembre 2008

Obama en Amérique latine: vers une politique du bon voisinage?

Après 8 années d’une calamiteuse administration Bush, Barack Obama n’hérite pas seulement de deux guerres, en Irak et en Afghanistan, et d’une crise économique et financière majeure. L’accostage, le 25 novembre, d’une flotte militaire russe dans le port de La Guaira, près de Caracas, donne une idée des défis qui attendent le président Barack Obama, dans son jardin arrière, au sud du Rio Grande, la frontière qui sépare les-Unis du Mexique.
Obsédé par la guerre contre la terreur, George Bush avait largement négligé l’Amérique latine. Sa politique à l’égard de ce continent considéré depuis la déclaration Monroe de 1823 (L’Amérique aux Américains) comme une chasse gardée des Etats-Unis, s’était limitée à appuyer le président colombien Uribe et à tenter, très malhabilement, de « sortir » Hugo Chavez de son palais de Miraflores.
Washington a perdu une bonne part de son influence. Le passage à gauche de la moitié du continent a traduit une profonde remise en cause de la politique néolibérale qui avait dominé les années 80 et 90. La crise financière actuelle, dont les répercussions commencent à se faire sentir du Mexique à l’Argentine, n’a fait qu’aggraver ce rejet du « consensus de Washington » et renforcer le sentiment que les "gringos", une nouvelle fois, sont les premiers responsables du malheur latino-américain.
Plusieurs pays de la région ont adopté une politique extérieure indépendante de celle des Etats-Unis. Le Brésil bâtit peu à peu son « pôle d’influence », en lien avec les autres nations émergentes comme l’Inde ou la Chine. Tandis que Lula, calmement, sobrement, se pose en rival à long terme des Etats-Unis, d’autres, Hugo Chavez en tête, ont carrément choisi l’hostilité et courtisent les «ennemis de l’Amérique », la Russie, la Biélorussie, l’Iran…
Sur le plan international, la Chine et la Russie profitent de l’absence américaine pour avancer leurs pions économiques et stratégiques dans la région. Les échanges commerciaux ont quadruplé entre la Chine et l’Amérique latine depuis 2000 et les accords à caractère militaire ou sensible, notamment dans le domaine nucléaire, se multiplient, en particulier avec la Russie.
Que pourra faire Barack Obama ? Pourra-t-il, à l’image de Franklin Roosevelt dans les années 30, proposer une « politique du bon voisinage » ? Le futur président bénéficie d’un énorme capital de sympathie en Amérique latine, mais les tendances lourdes risquent de très vite l’entamer. La crise qui frappe les Etats-Unis risque de se traduire par des restrictions de l’immigration, par la chute des transferts, de ces fameuses remesas qui, dans certains pays, constituent l’une des principales ressources en devises et la bouée de sauvetage de millions de familles. Elle risque aussi de provoquer une diminution des prix des matières premières, dont l’Amérique latine dépend encore trop largement.
La chute du pétrole réduit, certes, la capacité d’influence de Hugo Chavez, qui avait pratiqué une pétro-démocratie très active pour appuyer ses partisans du Nicaragua à Cuba, de la Bolivie à l’Argentine, mais elle pourrait saper encore davantage le modèle néolibéral et libre échangiste et attiser la volonté de l’Amérique latine de faire cavalier seul, de revendiquer un « nouvel ordre économique mondial et de s’affronter aux Etats-Unis…et à l’Union européenne.

mercredi 26 novembre 2008

Obama: l'opportunité d'une nouvelle politique des droits de l'homme

L’administration Bush termine son contrat de bail à la Maison blanche sur une faillite économique. Mais la crise dans laquelle s’enfoncent les Etats-Unis ne doit pas faire oublier que ces huit dernières années ont été tout autant une banqueroute éthique. Si presque tout le monde peste aujourd’hui contre l’irresponsabilité des autorités de (dé)régulation financière américaines, il n’en reste pas moins que l’impopularité qui accablait jusqu’ici les Etats-Unis provenait essentiellement de leur politique étrangère.
Les mensonges de la guerre en Irak, les photos de torture d’Abou Ghraib, la prison de Guantanamo, les vols secrets de la CIA, le refus de participer aux institutions internationales comme la Cour pénale internationale à La Haye ou le Conseil des droits de l’Homme à Genève, ont gravement ébréché la réputation des Etats-Unis et leur prétention d’être un phare de la démocratie et des libertés.
Quel sera l’impact de la crise économique sur la politique internationale des Etats-Unis ? Certains estiment que la politique des droits de l’homme offre au futur président Obama l’un des seuls fronts sur lesquels il peut clairement marquer sa différence. Fermer la prison de Guantanamo, comme il s’y est à plusieurs reprises engagé, restaurer les garanties constitutionnelles, interdire la torture en toutes circonstances, renouer avec les institutions des droits de l’homme des Nations unies :toutes ces mesures sont relativement indolores et bon marché. Elles pourraient, toutefois, démontrer aux Américains et au reste du monde que l’ère Bush est terminée et que les Etats-Unis redeviennent un citoyen du monde respectueux des lois et des conventions internationales.
Oui, mais les organisations de défense des droits de l’homme, comme Human Rights Watch et Amnesty International, attendent bien davantage du nouveau président. Ils ont lu attentivement ses livres et ses discours de campagne et ils en ont tiré la conclusion qu’il fallait demander à Barack Obama de faire des droits de l’homme un « pilier central de la politique, intérieure et extérieure, américaine ».

Pas de retour au "clintonisme"
Ces organisations, dont beaucoup de militants et sympathisants se sont mobilisés pour le « candidat du changement », ne se contenteront pas d’un simple retour au statu quo, c’est-à-dire d’une version actualisée des années Clinton. Elles espèrent, en particulier, que l’administration démocrate défendra beaucoup plus résolument le principe de la « responsabilité de protéger » et qu’elle exprimera davantage ses réticences à l’encontre des régimes autoritaires, et en particulier de ceux qui se situent dans la camp occidental, comme l’Egypte ou la Colombie.
L’engagement de Barack Obama pour les droits de l’homme risque d’être sapé par l’urgence de la crise économique. Le spectre de la dépression « a changé le changement » et modifié le slogan « yes we can » en « yes we’ll do what we can ». L’attention du nouveau Président sera absorbée par la nécessité de rétablir les grands équilibres économiques et cette volonté de calmer le jeu imposera de négocier avec des pays-clés comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, très réticents à l’idée d’une « ingérence » des Etats-Unis dans le domaine des droits de l’homme.
Les contraintes de l’économie risquent, par ailleurs, de restreindre la marge de manœuvre de l’administration dans ses relations avec les pays producteurs de pétrole ou détenteurs de bons du Trésor américains, particulièrement dans le monde arabe ou en Asie centrale.
Les répercussions de la crise économiques se feront également sentir dans le domaine de la sécurité nationale. Selon le directeur des renseignements nationaux aux Etats-Unis, Mike McConnell, les tendances qui se dessinaient depuis un certain temps déjà – instabilité régionale, perte d’influence de l’Occident – « sont accélérées par la crise financière globale ». L’Economist Intelligence Unit prévoit de son côté que si la crise financière débouche sur une récession prolongée, elle renforcera l’attrait du modèle du capitalisme autoritaire à la chinoise et 48 pays connaîtront des risques très élevés de troubles sociaux ». « L’arrêt observé dans la vague démocratique pourrait se transformer en retraite », prévient l’agence de renseignement de la revue The Economist.

Etats faillis
Ces dernières semaines, le monde a pu se rendre compte du danger que représentent les « crises oubliées ». L’effondrement d’Etats apparemment dénués de toute importance économique a des conséquences globales. La piraterie navale au large des côtes de la Somalie lance un défi à l’ensemble du commerce mondial et insécurise le marché pétrolier. L’explosion de narco-violence au Mexique menace de transformer ce pays en un « nid de guêpes » pour les Etats-Unis et l’Amérique centrale.
La crise économique porte en elle un accroissement des risques d’instabilité et de terrorisme. Au Pakistan, un pays confronté à des rebellions violentes et à la misère, « une crise économique, note Joby Warrick, du Washington Post, pourrait déclencher une période d’instabilité généralisée qui renforcerait les extrémistes et menacerait le gouvernement démocratiquement élu, avec des conséquences potentiellement graves pour la région et peut-être pour la planète tout entière ». Le Pakistan a des dents nucléaires…


Insécurité et liberté
Ces dernières semaines, la plupart des services de renseignement ont rehaussé leur niveau d’alerte car tout indique que les réseaux terroristes voient dans la crise économique une preuve de vulnérabilité de l’Occident. « La propagande d’Al-Qaeda, note Bruce Hoffman, professeur à l’Université Georgetown (Washington) et ancien intellectuel de la CIA, proclame que l’économie américaine est au bord du précipice et que c’est la forces des Jihadistes qui l’y précipitera ».
Or, le sentiment d’insécurité est rarement une bonne nouvelle pour les libertés. La « politique de la peur » correspond souvent à l’adoption de mesures qui, au nom de l’intérêt national ou de l’urgence, font des droits de l’homme une note de bas de page de l’action gouvernementale.
C’est le défi d’Obama : prendre le contrepied de la politique adoptée par George Bush après les attentats du 11 septembre en démontrant qu’une politique attachée au respect des droits de l’homme et favorable à la coopération internationale est bien plus efficace que l’unilatéralisme et l’exemptionalisme.