samedi 30 mai 2009

Casse-toi, pauv' canon!

« L’homme de la place Tienanmen », seul face à une colonne de tanks. Cette photo a fait le tour du monde et elle incarne, plus encore que la « déesse de la démocratie », le printemps démocratique chinois de 1989 et son écrasement dans le sang par l’armée rouge.
Le sinologue et journaliste français Adrien Gombeaud vient de consacrer un excellent livre à cet homme, à ce soldat inconnu de la démocratie, dont on ignore aujourd’hui encore le sort qui lui fut réservé après son extraordinaire face à face, le 5 juin 1989, avec les chars de Deng Xiao Ping (L’homme de la place Tienanmen, Editions du Seuil, collection Médiathèque, mai 2009, 121 pages).
L’homme à la chemise blanche et aux sacs en plastic intervient à la fin de l’opération de « nettoyage » effectuée par l’armée rouge. Après l’intervention des tanks contre les tentes plantées sur la place et après les massacres qui se sont déroulés dans les rues adjacentes, dans d’autres quartiers de Pékin, et dans d’autres villes chinoises. Avant la « normalisation », les procès et les condamnations.
C’est un immense et désespéré « casses-toi, pauv’con » qu’il adresse aux camarades tankistes, des « appelés » venus des provinces et persuadés par la propagande officielle qu’ils se trouvaient devant des hordes de traîtres contre-révolutionnaires et anti-chinois.
Comme le signale l’auteur, le pouvoir aurait pu dégager la place à l’auto-pompe. Non, il fallait faire usage d'une force disproportionnée, il fallait casser, briser, tuer, pour que la population comprenne qu’il était interdit de défier le pouvoir. Le peuple chinois, éternel sujet, devait rentrer dans le rang et accepter la nouvelle voie indiquée par le parti communiste : la prospérité sans la liberté, la croissance sans l’égalité.
Cet « homme » est la dernière figure de la rébellion. Et son geste « fou » est devenue un emblême parce qu’il incarne à la fois la fin d’un rêve, le climax d’une tragédie et le début d’une longue traversée du désert.
L'"homme" est devenu une icône parce qu'il réveille des symboliques chinoises, celles de la personne sacrifiée, mais aussi universelles, le héros seul, David devant Goliath.
« Retourne chez toi, casse-toi », semble-t-il dire au tankiste. Et celui-ci, qui est le deuxième acteur de la photo, hésite, tente de le contourner. Ce jour-là, sur l’immense avenue qui borde la place Tienanmen, deux hommes se regardent, se toisent et respectent leur commune humanité, l’un par sa colère, l’autre par son esquive. Il y a un deuxième homme sur la place Tienanmen, dont on ne connaît pas le nom ni le sort et qui, pendant quelques instants, ne remplit pas l'ordre qui lui a été donné, fait un acte de désobéissance et contribue ainsi à cette extraordinaire et inoublibale choréographie de la liberté.
Dans ce très beau livre, Adrien Gombeaud rappelle aussi qu’il y eut cinq regards sur cet « homme face aux chars ». Quatre journalistes et un caméraman de CNN qui, tous, auraient voulu être le seuls à « signer » cette photo historique. Et qui, tous, sont restés marqués, dans un étonnat anonymat, par cet "instant décisif, comme l'aurait Henri Cartier-Bression, de la photo qui devient davantage que le reflet de la réalité pour créer son propre univers.
La réflexion de l'auteur sur ces images de Tienanmen rappellent l’importance du journalisme dans la mémoire collective des événements du monde. Comme le signale Simon Leys, implacable décrypteur des illusions et des fabrications du communisme chinois, « Pour les communistes chinois, écrit-il, le massacre a toujours constitué une méthode de gouvernement…La seule nouveauté des massacres, c’est qu’ils se sont déroulés sous les yeux de la presse et de la télévision étrangères ».
Un livre, bien écrit, cultivé. A lire. Pour mieux approcher cet « homme seul » qui, pendant quelques secondes, représenta la Chine de la dignité et qui, aujourd’hui, appartient à l’éternité.

mercredi 27 mai 2009

Le contrôle au faciès: illégal et inefficace, selon un rapport de l'Open Society Institute

Une nouvelle étude de l'Open Society Institute démontre que la police en Europe cible excessivement les minorités et que ces méthodes de "contrôle au faciès", appelées "profilage ethnique ou religieux", utilisées notamment dans le cadre de la lutte antiterroriste, non seulement violent les lois sur la non-discrimination, mais sont carrément inefficaces et contreproductives.

Pour en savoir plus:

Contact: Luis Montero, +44 (20) 70311704, +44 (77) 98737516, luis.montero@osf-eu.org (Europe)
Rachel Hart, +1 (212) 548-0378, +1 (917) 543-1126, rhart@sorosny.org (Etats-Unis)

Bruxelles, 27 mai 2009. Le recours généralisé aux stéréotypes ethniques et religieux par les forces de l’ordre en Europe entravent les efforts visant à combattre la criminalité et le terrorisme, révèle un rapport publié aujourd’hui par l’Open Society Justice Initiative.
Ce « profilage ethnique » se manifeste le plus souvent dans la sélection des personnes que la police interpelle, interroge, fouille et, parfois, arrête. Or, rien ne prouve que le profilage ethnique prévienne réellement le terrorisme ou diminue les taux de criminalité.
« Trop de responsables gouvernementaux confondent la sécurité avec un contrôle sévère des communautés minoritaires par la police», a déclaré James A. Goldston, directeur exécutif de l’Open Society Justice Initiative. « A l’approche des élections pour le Parlement européen, le monde politique devrait dénoncer le profilage ethnique et plaider pour une plus grande collaboration entre les minorités et la police ».
Partout en Europe, les minorités et les communautés immigrées font état d’un traitement discriminatoire de la part de la police. Recourant à des fouilles massives de données ou à des contrôles d’identité intimidants, le profilage ethnique est plus souvent une opération de relations publiques qu’une réponse véritable à la criminalité. Le rapport décrit un recours généralisé à cette pratique en Allemagne, en France, en Italie; aux Pays-Bas et dans d’autres Etats membres de l’UE.
« En se fondant sur l’apparence physique comme d’un code qui révélerait une propension au crime, le profilage ethnique inverse la présomption d’innocence », a ajouté James A. Goldston. « Les tactiques actuelles non seulement aliènent les communautés dont la coopération est la plus essentielle, elles sapent également les efforts de la lutte anti-terroriste partout en Europe. Heureusement, de bien meilleures alternatives existent ».
En 2006-2007, l’Open Society Justice Initiative a coopéré avec la police municipale de Fuenlabrada, une ville située à la périphérie de Madrid, dans le cadre d’un projet pilote qui a obtenu d’excellents résultats en évitant le recours au profilage ethnique. Au cours d’une période de six mois, la police de Fuenlabrada a réduit de moitié ses interpellations, notamment parmi les personnes issues de groupes minoritaires, et elle a accru de 6 à 28% le nombre d’interpellations qui ont permis de découvrir un crime ou une autre infraction.

L’Open Society Justice Initiative, un programme opérationnel de l’Open Society Institute, mène des activités de réforme juridique fondées sur la protection des droits humains et contribue au développement des capacités juridiques en vue de promouvoir des sociétés ouvertes dans le monde entier. Cette initiative a recours à des procédures légales, au plaidoyer juridique, à l’assistance technique et à la diffusion des connaissances afin de progresser dans les secteurs prioritaires suivants : la lutte contre la corruption, l’égalité et la citoyenneté, la liberté d’information et d’expression, la justice internationale, et la justice pénale nationale. Elle dispose de bureaux à Abuja, Budapest, Londres, New York et Washington DC.
www.justiceinitiative.org

mercredi 20 mai 2009

Birmanie: rendez vous à Beijing et New Delhi

L’administration Obama avait annoncé il y a quelques semaines qu’elle avait l’intention de revoir sa politique à l’égard de la Birmanie, jugeant que le recours à l’isolement et aux sanctions n’avait débouché sur aucun résultat concret.
Les organisations de défense des droits de l’homme s’étaient inquiétées de cette annonce et avaient argumenté que les généraux birmans allaient interpréter tout changement comme une licence pour continuer à opprimer et à réprimer.
Le procès surréaliste intenté à Aung San Suu Kyi est venu clore un débat qui s’annonçait très difficile entre le nouveau président américain et le « lobby des droits de l’homme ». En s’en prenant de nouveau à la chef de file de l’opposition démocratique, la Junte a démontré qu’elle n’a pas du tout l’intention d’ouvrir la scène politique birmane parce qu’elle n’a pas du tout l’intention d’ouvrir un dialogue avec la communauté internationale.
Les militaires birmans sont persuadés en effet que cette « communauté » ne représente qu’une frange du monde, essentiellement des pays occidentaux qu’il est facile de stigmatiser sous l’accusation d’impérialisme et d’occidentalisme et qui ne constituent pas des acteurs essentiels à la survie de leur régime.
La Junte dispose de sa propre autonomie financière, grâce aux royalties des firmes pétrolières (dont Total) et aux revenus retirés de trafics en tout genre. Elle est protégée également par la Chine, puissance désormais dominante dans la région, mais aussi par l’Inde, beaucoup plus discrète mais tout aussi compromise.
Ces deux pays sont aujourd’hui ciblés par les organisations de défense des droits de l’homme. Toutefois, le travail de plaidoyer qu’elles mènent à l’intention des gouvernements démocratiques censés relayer leurs protestations auprès de la Chine et de l’Inde est insuffisant. Il s’agit désormais de promouvoir à l’intérieur de ces deux pays une « base » constituée de groupes et d’individus « nationaux » qui plaident pour une politique étrangère plus « éthique ».
Plus facile en Inde où le système démocratique permet la liberté des médias et l’action de la société civile, cette approche n’est pas impossible en Chine. Elle passe notamment par la multiplication des contacts avec les centres d’études politiques ou stratégiques basés en Chine, qui sont conscients des risques de backlash (retour de bâton) pour la Chine si la politique extérieure de Beijing se confond avec le pillage des ressources naturelles d’un pays ou la caution accordée à ses tyrans. Déjà, des experts chinois se sont dits préoccupés par les rancoeurs auxquelles doivent faire face les investisseurs et travailleurs chinois en Afrique, accusés de concurrence déloyale et de « prédation ».
Les milieux de la diaspora chinoise sont aussi des acteurs importants car ils sont sensibles à la nécessité de promouvoir une image positive de leur « mère-patrie » à l’extérieur de ses frontières.
Face à l’intransigeance des « royaumes ermites », comme la Birmanie, l’enjeu chinois est de plus en plus crucial. Et il requiert que les défenseurs des droits de l’homme développent des stratégies appropriées.

samedi 9 mai 2009

Des journalistes contre la liberté

Les célébrations sont terminées, les discours sont parqués sur les disques durs. Rendez-vous au 3 mai de l’année prochaine, autre ville, mêmes participants, même heure.
La journée internationale de la liberté de la presse est un moment privilégié pour les organisations de défense de la liberté d’expression et, surtout, pour les journalistes de pays autoritaires qui s’y voient reconnus et célébrés.
Mais cette communion solennelle des vertueux et des preux ne doit pas nous faire oublier qu’il y a des journalistes ennemis de la liberté qui appuient et justifient la répression et la censure.
Le hasard a voulu que je lise, à l’approche de cette date symbolique du 3 mai, l’extraordinaire enquête du journaliste écrivain Francisco Goldman sur l’assassinat en 1998 de Mgr Gerardi, évêque de Guatemala et figure de proue de la lutte pour les droits de l’homme. Son livre The Art of Political Murder, considéré comme l’un des meilleurs du genre et salué par l’ensemble de la critique littéraire, ne dénonce pas seulement les réseaux occultes enkystés au sein des services de police et de renseignements d’une prétendue « démocratie » rongée par l’arbitraire et l’impunité. Il jette également un regard cru sur les manipulations et la malfaisance de médias et de journalistes qui ont choisi le camp des assassins.
La défense de la liberté de la presse s’exerce au bénéfice de tous les journalistes, que l’on partage ou non leurs points de vue, mais elle ne doit pas empêcher de juger avec sévérité les dérives de certains journalistes qui se comportent comme des sténographes de pouvoirs autoritaires ou de camarillas meurtrières.
Il y a bien sûr des journalistes condamnés par (presque) tous : les brailleurs génocidaires de Radio Télévision des Mille Collines au Rwanda en 1994, les caporaux des radiotélévisions officielles lors des guerres balkaniques. Mais le monde de la « grande presse » comporte aussi des éditorialistes, des éditeurs, des reporters qui ne souffrent pas de cet opprobre alors qu’ils manipulent l’information en faveur des dictatures, qu’ils diffament les démocrates et qu’ils cautionnent les attaques contre les journalistes « insolents ».
« Nous sommes dans la même profession, mais nous ne faisons pas le même métier », avait déclaré fameusement l’ex-rédacteur en chef du Monde et fondateur du site Mediaparts, Edwy Plenel. Du journal chilien Mercurio qui défendit la dictature du général Pinochet à la presse nationaliste turque, des journaux français qui, durant la guerre d’Algérie, défendirent la torture, aux éditorialistes américains qui, après le 11 septembre, accusèrent de trahison leurs collègues les plus indépendants, la profession compte un bon nombre de gens qui, chaque jour, trahissent ses principes les plus fondamentaux.
La journée du 3 mai ne devrait pas seulement célébrer la liberté de la presse, elle devrait réserver ses louanges aux plumes de la liberté et à eux seuls. Elle devrait rompre avec le corporatisme en osant dénoncer ceux qui exhibent leurs cartes de presse pour mieux cacher la muselière qu’ils veulent imposer à leurs collègues mal-pensants.