jeudi 30 octobre 2008

Autriche: une "Adolf" assemblée

Le télescopage est saisissant. Au moment où j’entamais ce matin la lecture d’un dossier spécial du Vif/L’Express sur la traque des derniers nazis, Le Soir m’annonçait que les parlementaires autrichiens avaient élu un néo-nazi à la vice-présidence de leur auguste, pardon, de leur Adolf, assemblée.
Martin Graf, note Le Soir, « appartient depuis sa prime jeunesse à la sinistre Olympia, une Burgenschaft (corporation) nostalgique du Troisième Reich, « pangermaniste, antisémite et négationniste ».
S’il a été élu, c’est grâce aux votes des démocrates chrétiens et des socialistes. Ceux qui connaissent l’histoire se rappelleront que les démocrates-chrétiens allemands ouvrirent la voie à Hitler en 1933. Et que le chancelier démocrate-chrétien Schlüssel avait fait alliance avec Haider.
Mais cette fois, les socialistes se sont mis de la partie et n’ont pas donné de consigne de vote à leurs parlementaires…
Seuls les Verts ont protesté. Et quelques intellectuels et journalistes, dont Der Standard, un des espaces de raison et de liberté dans ce pays qui décidément n’arrive pas à se débarrasser de ses vieilles frusques nazies.
Dans le fond, l’Autriche, c’est où ? Ce pays qui a déjà réussi à presque nous faire croire qu’Adolf Hitler était né allemand et que Beethoven était né autrichien se trouve au centre géographique de l’Europe, au point de nous faire craindre qu’il est proche, très proche, du cœur, de l’âme de l’Europe.
Rassurez-nous, vous qui nous parlez toujours des valeurs européennes, vous les chefs d’Etat et les commissaires européens.
Rassurez-nous : scandalisez-vous. Mais le Parlement européen n’est-il pas dominé par les forces politiques, démocrates-chrétiennes et socialistes, qui ont rendu l’ignominie autrichienne possible ?
Si Barack Obama est élu président des Etats-Unis, cette Europe-là, celle des néonazis en costume-cravate et de leurs « idiots utiles », démocrates-chrétiens défroqués et sociaux-démocrates dévoyés, va prendre un terrible coup de vieux.
C’est ainsi que l’on assassine le rêve européen, bien plus définitivement, bien plus dangereusement, que le refus du traité de Lisbonne.

dimanche 26 octobre 2008

Idéologies toxiques et pensées molle

Cet article publié dans Le Soir du 7 octobre a suscité pas mal de réactions, aussi bien à droite qu'à gauche. Pour ceux qui l'auraient raté.


L’ultralibéralisme est le grand perdant du Katrina financier qui a rompu les digues de Wall Street. Parce qu’il en est le grand responsable. Tous ceux qui dans les années 1980 applaudirent la Révolution conservatrice reaganienne, sa rage détaxatoire, sa dérégulation effrénée et sa célébration des privilèges, sont aujourd’hui mis au pilori. Avec raison. Cette idéologie était toxique.
Mais ces ultralibéraux, disciples de Friedrich Hayek ou de Milton Friedman, ne sont pas les seuls coupables. L’histoire des trente dernières années est aussi celle d’un extraordinaire brouillage des repères dans les milieux intellectuels et politiques dont on attendait qu’ils protègent davantage les principes de décence, d’équité et de raison.
La victoire absolue de l’individualisme sur la notion de l’intérêt public a été le trait majeur de ces décennies de l’argent fou. Le tour de passe-passe fut magistral. Des mesures qui étaient essentiellement des leviers d’enrichissement personnel furent présentées comme des outils d’une modernisation économique qui bénéficierait à tous. La marée haute de l’ultralibéralisme lèverait tous les bateaux, les yachts et les radeaux.
Une partie de la gauche se laissa séduire par ces théories économiques qui critiquaient, non sans raison, la sclérose et les failles de la social-démocratie. Aux Etats-Unis, c’est sous un président démocrate, Bill Clinton, que furent démantelées des mesures adoptées par les Démocrates à l’époque du New Deal, après la grande crise de 1929, pour empêcher l’aventurisme bancaire. Au Royaume uni, Tony Blair « gentrifia » un Labour décrépit qui incarnait toutes les tares d’un travaillisme otage de syndicats archaïques. Mais si, grâce à ce lifting, il gagna les élections, il appliqua aussi une politique économique et sociale dont on paie aujourd’hui les dérives : l’explosion des inégalités sociales et la fragilisation des contrôles nécessaires au comportement sensé du secteur privé. Compagne de route du libéralisme économique, la « Troisième voie » suivie par Blair, Schroeder, Jospin ou Prodi était une pensée molle pour époque dorée.
L’économiste keynésien John Kenneth Galbraith, dont la pensée n’était pas molle mais forte et modérée et dont on retrouve aujourd’hui toute la pertinence, avait insisté sur l’importance des « pouvoirs compensateurs » dans la sphère économique, à l’image de la séparation des pouvoirs sur la scène politique. Qu’ils aient été impuissants ou complices, nombre de Démocrates américains et de socialistes européens n’ont pas opposé assez de checks and balances au rouleau compresseur des ultralibéraux.
Dans son récent livre The Predator State, James Galbraith, le fils du célèbre économiste, n’épargne pas ceux qu’il appelle les « perroquets du conservatisme ». Est-ce pur hasard que deux des dirigeants les plus importants du système économique mondial, viennent du Parti socialiste français : Pascal Lamy à l’Organisation mondiale du Commerce et Dominique Strauss-Kahn au Fonds monétaire international ? Un FMI dont Barack Obama, un centriste, disait, dans son livre L’audace de l’espoir, « qu’il avait imposé d’énormes épreuves aux peuples du Sud et des remèdes que, nous Américains, aurions de grandes difficultés à ingurgiter ».
John K. Galbraith avait également défendu le bien commun comme socle de l’action politique. Cette notion dont se réclame traditionnellement la démocratie chrétienne européenne a été emportée elle aussi au cours de ces trois décennies d’égoïsme généralisé. Sous la houlette de Wilfried Martens, le Parti populaire européen s’est agrandi en sapant ses valeurs fondatrices. En intégrant les Berlusconiens et les Thatchériens, il s’est converti, à quelques exceptions, en une coalition des droites européennes, très éloignées de la notion de l’intérêt général. La Commission européenne, de son côté, est devenue, dans une large mesure, la Mecque de l’ultralibéralisme, plus intégriste désormais que Wall Street.
L’une des conséquences les plus agaçantes de ces abandons est d’avoir redonné du tonus à une autre idéologie toxique. Marx est de retour, titrait récemment Courrier international. En Amérique latine, les désastres sociaux d’une globalisation débridée ont porté au pouvoir des mouvements qui, dans certains pays, tendent à mettre dans le même sac l’ultralibéralisme économique et le libéralisme politique. En Allemagne, Die Linke, nouvel avatar, aux côtés des déçus du SPD, de l’ancien parti stalinien de la République démocratique allemande, marque des points.
Que faire ? Surtout pas, au delà des mesures d’urgence, recourir à l’argent public pour permettre à terme aux brahmanes du secteur privé de retrouver leurs marges et leurs privilèges, comme le voudraient les ultralibéraux. Surtout pas non plus se ruer sur les recettes rouillées du socialisme d’Etat, comme en rêvent certains marxistes « nés de nouveau ».
« Il arrive que l’Histoire récompense ceux qui s’obstinent, écrivait Emmanuel Mounier, le fondateur de la revue Esprit, et qu’un rocher bien placé corrige le cours d’un fleuve ». Qui sera ce rocher ? Le défi est de retrouver les audaces mais aussi les principes qui présidèrent au sauvetage de l’économie américaine sous la houlette de Franklin Roosevelt, d’exprimer une pensée forte et raisonnée, au carrefour de l’efficacité économique et de la justice sociale. Au cœur aussi des valeurs de liberté.
La crise n’est pas qu’économique. Il est minuit moins quart pour la démocratie. Déboussolée, insécurisée, la population est à la recherche de boucs émissaires. Pour certains, l’alternative, aujourd’hui, est le néo-populisme à la Haider ou à la Sarah Palin. Demain, si tout dérape, elle pourrait être pire encore.
Pour préserver le libéralisme politique, il faut civiliser le libéralisme économique.

dimanche 12 octobre 2008

Avec Horacio Verbitsky, de Bruxelles à Buenos Aires

Cette semaine a été d’une rare intensité. Grâce à la conférence sur les défenseurs des droits de l’homme organisée par la Commission européenne, le Parlement européen et l’ONU les 7 et 8 octobre, j’ai rencontré une collection incroyable de gens tellement remarquables qu’il m’a fallu plusieurs jours pour « absorber » les conversations et les échanges.
Le dimanche, c’est aussi cela : le moment où les fébrilités de la semaine retrouvent leur place, où l’on lit des textes « réservés », où l’on surfe sur des sites d’information et d’opinion du bout du monde.
Ce matin, bercé par les notes de Stan Getz et la voix magique d’Astrud Gilberto, je me suis envolé vers l’Amérique du Sud. Je me suis assis à la terrasse d’un café de Buenos Aires, en face d’un kiosque à journaux. Je m’y suis procuré l’édition dominicale de Pagina 12, le principal journal de centre-gauche du pays, l’un des seuls aussi qui n’aura jamais à s’excuser d’avoir appuyé une dictature. Merveilles d’Internet. Télescopage des continents. Le monde est là, à un clic de souris d’ordinateur.
L’un des plus illustres chroniqueurs du quotidien, Horacio Verbitsky, y parlait de Fortis et de Dexia. Et pour cause, il venait de passer 3 jours à Bruxelles, invité à présider un panel sur le rôle des journalistes défenseurs des droits de l’Homme, dans le cadre de la célébration du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Avec un brin de surréalisme, alternant entre la conférence et "la rue", Horacio réussissait à donner un sens à ce "choc des civilisations", humaniste ou financière.

Une stylistique du respect
Lors de cette conférence, il n’avait pas cessé d’écrire dans un petit carnet. Les yeux pétillants, aux aguets, ce capteur des bruits et chuchotements du monde n’avait rien perdu du spectacle. Ni la beauté - et l’arrogance - de Rama Yade, secrétaire aux droits de l’Homme du président Sarkozy, ni la grandeur morale de Stéphane Hessel, éternel résistant et l’un des auteurs de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ni le courage de Lydia Cacho, superbe journaliste mexicaine, aux prises avec les réseaux de pédophilie et de corruption de son pays. Ni la lucidité de Mohammed Ali Atassi, journaliste et dissident syrien collaborateur du grand quotidien libanais An-Nahar. Ni l’ironie mordante d’Andrey Lipksky, rédacteur en chef adjoint de Novaia Gazeta, le journal auquel collaborait Anna Politkovskaiai, assassinée deux ans plus tôt, jour pour jour, à Moscou.

Horacio avait pour ces « journalistes défenseurs » le regard respectueux de celui qui a connu et combattu la répression. Et qui a pris des risques immenses pour informer et protéger. Journaliste clandestin durant la dictature militaire qui terrorisa l’Argentine entre 1976 et 1983, Horacio est aussi le président du CELS (Centre d’études légales et sociales), l’une des plus importantes organisations de défense des droits de l’Homme du pays. Membre du comité d’experts de la division Amériques de Human Rights Watch, il est aussi l’auteur de livres implacables sur le régime militaire et sur ses complices, en premier lieu l’Eglise catholique. A l’issue d’un déjeuner sur la place Jourdan, à l’ombre du Parlement, il m’a offert son dernier ouvrage, La violence évangélique, avec en couverture, le général Videla (qui vient d’être renvoyé en prison par la justice) aux côtés d’un évêque argentin. Et Dieu dans tout ça ?, aurait dit Jean-Pol Hecq. Dans cette Argentine livrée aux tueurs officiels, Dieu était mieux défendu par des incroyants ou des infidèles que par les bigots du national-catholicisme argentin.

Ces discussions avec Horacio, Lydia ou Mohammed m'ont une nouvelle fois convaincu de l'urgence d'un journalisme engagé pour les libertés, non seulement pour la liberté de la presse, mais aussi pour les libertés de tous. Comme me le rappella Horacio, nombreux furent les journalistes argentins qui choisirent d'appuyer la dictature ou de se taire. Et qui se montrent aujourd'hui beaucoup plus durs à l'encontre d'un gouvernement élu démocratiquement qu'à l'égard de putschistes assassins. On est peut-être tous dans la même profession, on ne fait pas nécessairement le même métier...

Droit au blasphème
Cette rencontre au Parlement européen m’a réconcilié avec l’Europe. La liberté de ton adoptée par Hélène Flautre, présidente de la sous-commission des droits de l’Homme et parlementaire des Verts (France), la conviction de Luisa Morgantini, vice-présidente du Parlement, étaient un bel exemple de démocratie pour les dizaines de défenseurs des droits humains venus d’Afghanistan, d’Algérie, de Tunisie, d’Angola. Pendant toute la séance, Jean Plantu et Ali Dilem illustraient les débats avec une insolence complice. Dans la salle, les représentants des ambassades douteuses avaient un air cramoisi. Les deux caricaturistes proclamaient le droit au blasphème. Pendant que Jacques Barrot, vice-président de la Commission, inaugurait la conférence (en reconnaissant d’ailleurs les failles de l’Union en matière de droits de l’Homme), Dilem projeta sur deux écrans géants un dessin où il était écrit : « Barrot inaugure la conférence. Y en a déjà qui dorment ».
Il est déjà 11 h 30. J’ai replié mon journal sur la table du kiosque de Buenos Aires. Mes pensées voguent vers ces amis qui dans les années 1970 se mobilisèrent pour la liberté en Argentine. Des exilés, comme Gregorio Selser, merveilleux chroniqueur du monde, des militants, comme Emilio Mignone, fondateur du CELS, des écrivains comme Ernesto Sabato ou Juan Gelman, des juristes engagés comme Eric David et Pierre Mertens. C’était une époque terrible, assassine. C’était aussi un extraordinaire moment de solidarité et d’humanité.
Horacio Verbitsky avait remué des souvenirs intimes, déclenché le déclic de la nostalgie. Mais, suscités par ce journaliste défenseur intransigeant des droits de l’homme, ces souvenirs n’étaient pas des excuses pour la passivité ou la rentrée dans le rang. Ils remettaient au centre de tout la nécessité de toujours regarder le monde avec acuité et indépendance. Pour continuer à agir.

jeudi 9 octobre 2008

Journalistes et défenseurs des droits de l'homme

La Commission européenne, le Parlement européen et les Nations unies ont eu l'excellente idée d'organiser à Bruxelles une grande conférence sur les défenseurs des droits de l'homme, les 7 et 8 octobre.
Les témoignages ont été bouleversants, les interpellations pressantes. Menés par Hélène Flautre (membre des Verts français), présidente de la sous-commission des droits de l'homme, les débats de la première journée ont été marqués par l'intervention de Stéphane Hessel, un extraordinaire et sémillant nonantenaire, et par l'analyse de Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch.
Le 8, j'ai présidé un panel d'une rare qualité et je vous livre ici le texte de mon discours qui a introduit leurs interventions.

La plume dans la plaie

Il y a deux ans, le 7 octobre 2006, Anna Politkovskaia était assassinée à Moscou. Comme l’écrit si bien Galia Ackerman de RFI, « elle était la conscience incarnée d’une Russie honnête qui lançait un défi à notre humanité et nous appelait au secours ».

L’exemple d’Anna nous rappelle, tragiquement, que l’histoire du journalisme, du grand journalisme, est intimement lié à celle des droits de l’homme.
Non seulement parce que la liberté d’expression est, comme aiment le dire ses défenseurs, la mère des autres libertés
Non seulement parce que le journalisme a le pouvoir de révéler et de dénoncer les atteintes aux libertés, et par cette action d’embarrasser les régimes autoritaires et d’amener les gouvernements démocratiques à agir pour les victimes.

L’histoire du journalisme est intimement liée à celle des droits de l’homme parce que souvent, ses plus belles pages ont été écrites par des plumes de la liberté, parce que les journalistes dont on se souvient, que l’on lit encore et que la société honore, ont été animés par un sens profond d’humanité et qu’ils ont pris des risques, même celui de la mort et de l’impopularité, pour dire la vérité. Et il n’y a souvent de vérité journalistique que dans l’information qui secoue les consensus commodes et dérange les pouvoirs.

Il y a une différence entre la politique et le journalisme. On peut faire du bon journalisme avec des bons sentiments, du moins si l’on entend par ces termes, l’aspiration à la liberté, l’indignation devant tout ce qui porte atteinte à la dignité de l’homme.

L’indignation ?
C’est Upton Sinclair qui, en 1905, dénonce les conditions de travail et d’hygiène épouvantables dans les abattoirs de Chicago et amène le président Théodore Roosevelt à adopter de nouvelles lois
C’est Albert Londres qui, dans les années 1920, enquête sur le bagne de Cayenne en Guyane et convainc la France de le fermer.
C’est George Orwell qui rend hommage à la Catalogne assassinée, Vassili Grossman qui parle « du grincement combiné des fils de fer barbelés de la taïga sibérienne et du camp d'Auschwitz »., Jean-Jacques Servan Schreiber, François Mauriac, Jacques Duquesne et quelques autres qui révèlent et condamnent l’utilisation de la torture lors de la guerre d’Algérie, Donald Woods qui tient tête au régime d’apartheid sud-africain, Adam Michnik, qui s’engage dans Solidarité.

Cette tradition de journalistes engagés n’a jamais cessé. Aujourd’hui, de la Tunisie à la Chine, du Mexique à Cuba, du Zimbabwe à la Birmanie, des journalistes participent au combat pour la liberté et la dignité, souvent au péril de leur vie, sous la menace constante de l’emprisonnement ou du bannissement. Et ils sont, de nouveau, les meilleurs professionnels de leur génération.

Tous les journalistes ne sont pas du côté des droits de l’homme. Comme l’a rappelé hier Mme Samayoa du Guatemala, il y a aussi une presse qui diffame les défenseurs des droits de l’homme. Une presse qui justifie la dictature et appuie la répression, une presse qui appelle au coup d’Etat, à l’épuration ethnique et au génocide.
« Le journalisme, écrit Marc Dugain, se meurt de tant de journalistes vivants que la vérité n’intéresse plus, habitués qu’ils sont au ronronnement de nos pays où le pouvoir de l’information n’inquiète plus les puissants. Il est devenu l’auxiliaire maladroit de la campagne de vaccination des citoyens contre une relation de la réalité qui déranger ».
J'ajouterai: on est peut-être dans la même profession, on ne fait pas le même métier.

Plus tard, alors que les sténographes du pouvoir, avec leurs convenances et leurs connivences, alors que les stars de l’information spectacle, avec leurs futilités et leurs frivolités, entreront peu à peu dans les oubliettes de l’histoire, ces journalistes défenseurs continueront à inspirer tous ceux qui sont convaincus que l’information n’est pas que commerce ou propagande, que les batailles pour la liberté d’expression, comme l’écrit Horacio Verbitsky dans son livre Un monde sans journalistes, « sont des épisodes significatifs d’une lutte beaucoup plus vaste pour la gouvernance démocratique et contre quelques unes de ses pires déformations : la corruption, l’insécurité juridique, la complaisance à l’égard des atrocités du passé récent, l’exclusion sociale ».

Récemment encore, des journalistes ont payé de leur vie cet engagement : Anna, mais aussi Samir Kassir, Gibran Tuéni, Daniel Pearl, et beaucoup d’autres, moins connus, qui dans les faubourgs du monde ont pris le parti de la vérité et de liberté.

Cette conférence leur rend hommage. Ils continuent à vivre parmi nous par leur exemple et par leurs écrits.

« Le journalisme est le plus beau métier du monde », s’est un jour exclamé Gabriel Garcia Marquez. Hier, Stéphane Hessel nous a rappelé avec passion que la Déclaration universelle était aussi l’un des plus beaux textes du monde.

Nous accueillons aujourd’hui dans cette salle des journalistes qui partagent ces deux convictions

Nous accueillons tout spécialement à cette tribune
Horacio Verbitsky, Lydia Cacho, Mohammed Ali Atassi et Andrei Lypsky

Ils seront nos grands témoins.


Horacio Verbitsky est l’un des journalistes les plus célèbres de l’Amérique latine. Je vous réfère à sa biographie, d’ailleurs très succincte, reprise dans les documents de la conférence.
Il est chroniqueur au quotidien de centre gauche Pagina 12, symbole de la lutte pour la démocratie, et président du Centre d’études légales et sociales, qui a tant fait pour combattre l’impunité, obtenant en particulier la suppression des lois d’amnisties accordée aux membres de la junte militaire.
J’aimerais pour camper le personnage reprendre ses propres mots : « Le journaliste a des sources, il n’a pas d'amis, écrit-il dans Un monde sans journalistes. Il a le droit de critiquer tout et tout le monde. Il a le droit de verser du sel dans les blessures, de mettre des cailloux dans les chaussures, de dire le mauvais côté des choses, car du bon côté, les services de presse s’en chargent ».

Lydia Cacho
Lydia Cacho est journaliste, militante des droits des femmes et des enfants. Son action lui a valu de très nombreux prix, mais aussi de très nombreuses épreuves : les menaces, les procès, la prison.
« Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse », disait Albert Camus. Avec une journaliste de cette qualité, le Mexique a un avenir. Dans son livre, Mémoires d’une infamie, Lydia Cacho écrit : « Je crois avec ferveur que le Mexique peut se transformer, qu’un jour il connaîtra une vraie démocratie. Je crois au journalisme comme lanterne du monde, comme un droit de la société de savoir et de comprendre, je crois que les droits de l’homme ne sont pas négociables…Tant que je vivrai, je continuerai à écrire et grâce ce que j’ai écrit, je continuerai à vivre ».

Mohammed Ali Atassi
Mohammed Ali Atassi incarne l’aspiration à la liberté et à la raison dans une région du monde accablée par l’autoritarisme et la violence.
Collaborateur au supplément culturel du quotidien de référence An Nahar, il se bat pour l’ouverture politique de son pays, un pays où, écrivait-il, « les considérations de sécurité sont telles que le poète Adonis pourrait être convoqué par les services de sécurité pour expliquer le sens de ses poèmes, ou que le peintre syro-allemand Marwan Qassab pourrait être forcé d’expliquer la signification politique de son mélange de couleurs ».
Comme l’écrivait Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur, « tout qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude ».

Andrey Lipsky
"On ne tue pas une enquête en tuant un journaliste". Cette phrase du grand reporter américain Bob Greeene pourrait symboliser la lutte de Novaia Gazeta, auquel collaborait Anna Politkvoskaia.
Andrey Lipsky est le rédacteur en chef de ce journal, l’une des dernières voies indépendantes de Russie. Un journal qui se bat contre l’impunité, contre l’IMPOUTINITE comme ironisait hier Jean Plantu dans une de ses caricatures.
Un journal qui n’écrit pas des reportages Potemkine et qui pratique cette belle formule d’Albert Londres : Notre métier pas de faire plaisir ou de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».