vendredi 14 janvier 2011

Vu de Washington, Ben Ali ressemble à Trujillo, Diem et Noriega, des dictateurs devenus encombrants

Une phrase résonne dans les bureaux et officines situés à l’intérieur du Beltway, la « petite ceinture » de Washington, où les stratèges et les experts évaluent la meilleure manière de protéger les intérêts américains au Maghreb, en particulier en Tunisie.
Cette phrase a été prononcée il y a 50 ans par John Kennedy, confronté à la crise en République dominicaine, un pays dominé depuis des décennies par Rafael Leonidas Trujillo, symbole de la satrapie latino-américaine (et le « héros » du livre de Mario Vargas Llosa, La fête au bouc).
« Il y a trois possibilités en ordre descendant de préférence, avait alors déclaré le président américain. Un régime démocratique décent, une continuation du régime de Trujillo ou un régime castriste. Nous devrions viser la première possibilité, mais nous ne pouvons réellement renoncer à la deuxième que si nous sommes sûrs de pouvoir éviter la troisième ».
En 1961, après avoir exigé le départ de Trujillo et reçu sa réponse (« moi, on ne me sortira que sur un brancard »), Kennedy laissa libre cours à la CIA. Des militaires dominicains organisèrent l’assassinat du « président à vie » le 30 mai 1961. La République dominicaine ne devint pas castriste certes mais elle ne se transforma pas non plus en une démocratie…Il faudra pour cela attendre les années 1980.
Est-ce le sort qui attend Ben Ali ? Les similitudes sont réelles entre les deux régimes : le niveau de corruption, la paranoïa et la dureté de la répression. Les alternatives sont elles aussi très tranchées : soit la démocratie, fondée sur une société civile opprimée mais bien formée, soit une instrumentalisation de la crise par l’islamisme radical.
Ces dernières années, les Etats-Unis ont pratiqué une politique fluctuante à l’égard du Palais de Carthage, écartelés entre, d’un côté, le souci de préserver la stabilité dans une zone à risques et de disposer de la coopération des services de sécurité tunisiens dans la lutte contre le terrorisme, et, de l’autre, la conviction au sein du département d’Etat, que seule une ouverture du régime et une démocratisation contrôlée pourraient garantir à terme la stabilité recherchée.
Les câbles diplomatiques révélés par Wikileaks ont démontré que Washington ne nourrissait aucune illusion sur la nature du régime, décrit comme une mafia brutale. A plusieurs reprises, également, les Etats-Unis ont entrepris des démarches à Tunis pour réclamer davantage de liberté, avec d’ailleurs souvent plus d’audace et de clarté que nombre de pays européens.
Si le clan Ben Ali dispose, dans sa bibliothèque, de bons livres d’histoire, il sait que les Etats-Unis peuvent lâcher leurs alliés lorsqu’ils deviennent trop encombrants, et parfois même participer à leur renversement, afin de mieux maîtriser les conditions du changement. Ce fut le cas avec Trujillo en 1961. Le même scénario fut actionné en 1963 contre Diem au Vietnam et contre Manuel Noriega à Panama à la fin des années 1980.
De nouveau, rien n'est fait mais rien n'est exclu non plus. Toutes les options sont sur la table, comme disent les stratèges qui préparent "de mauvais coups". A suivre de très près.


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jeudi 13 janvier 2011

Tunisie: les réalistes ont la gueule de bois

Les réalistes ont donc eu tort. Ceux qui prétendaient qu’il fallait soutenir Ben Ali parce qu’il était un gage de stabilité dans une région convulsée se retrouvent aujourd’hui aussi perplexes que leur « ami très cher».
Ils bafouillent car l’histoire bégaie. Gageons que, derrière leurs appels au calme, ils espèrent surtout que le régime policier ramène un peu d’ordre dans tout ça. C’était si bien avant. Avant que la rue ne rappelle le principe de réalité aux réalistes qui s’étaient laissé convaincre par le modernisme du pays et le technocratisme de ses dirigeants. Réalistes ?
Certes, les jeux sont loin d’être faits et les paris restent ouverts. Mais les observateurs les plus avisés se souviennent quand même des grands effondrements qui ont marqué l’histoire des dictatures.
La fuite de Somoza au Nicaragua, la chute de Marcos aux Philippines, la fin du régime Ceaucescu en Roumanie : les exemples abondent de régimes que l’ « on » disait solides, voire même amicaux, et qui se sont affaissés comme un fruit de supermarché.
« On » ? Qui se cacherait donc derrière ce mot ? Ceux qui, aujourd’hui, toussotent en buvant un verre de rouge de Carthage : les présidents d’amicales politiques égarées, les diplomates désinformés par leurs fréquentations de cocktails compassés, les hommes d’affaires de mèche avec les kleptocrates d’un régime corrompu, la cohorte de courtisans avides d'hospitalité officielle et de tapis rouge.
« On » ? Oui, le terme est suffisamment vague pour que l’ »on » oublie ceux qui depuis des années fournissaient une autre information et dénonçaient les complaisances de démocrates avec des autocrates ; les défenseurs des droits de l’Homme, des journalistes, des bloggeurs, des avocats.
« On » les traitait de naïfs, voire de complices des terroristes ou des islamistes, alors qu’ils étaient les plus proches des valeurs dont « on » se réclame en Europe.
Aujourd’hui, l’histoire s’emballe. Les institutions qui auraient dû user de leur influence pour préparer l’avenir démocratique de la Tunisie, à l’instar de l’Union européenne, ont enfin ouvert le dictionnaire des droits de l’homme pour rédiger leurs communiqués. Mais ils ânonnent encore leurs mises en garde.
Trop peu, trop tard ?
Le réalisme, en tout cas, a la gueule de bois.

mercredi 12 janvier 2011

Les libéraux européens mettent la Hongrie sur la sellette

L’audition sur la Hongrie organisée mardi 11 janvier au Parlement européen par le groupe libéral (ALDE) a connu un succès inédit. Des dizaines de journalistes, de parlementaires, de représentants d’ONG et de diplomates se sont entassés dans une salle bien trop petite pour contenir ceux que préoccupe l’adoption en décembre dernier d’une loi sur la presse éminemment contestable.
(Lire à ce sujet la lettre adressée au premier ministre Viktor Orban par le Comité de protection des journalistes de New York, www.cpj.org).

Présidée par Guy Verhofstadt, cette session a donné la parole à des adversaires de la loi mais aussi à un partisan du gouvernement hongrois et à la Commission européenne, gardienne des traités, appelée à juger de la compatibilité de cette loi avec la législation européenne.
Le témoignage de György Konrad a ouvert la séance. Célèbre dissident de l’époque communiste, écrivain, G. Konrad a dénoncé l’émergence d’un régime de « démocrature », mélange inquiétant de démocratie et de dictature. Il a aussi mis en garde contre le retour du paternalisme, de l’étatisme et du nationalisme, à contrecourant de la démocratie libérale.

Miklos Haraszti, ancien représentant de l’OSCE sur la liberté des médias, a décrit cette loi comme « le sommet de l'iceberg d’un projet politique visant à démanteler systématiquement les garanties constitutionnelles et la séparation des pouvoirs ».
Un peu isolé au milieu de cet environnement libéral, György Schöpflin, député européen du Fidesz (le parti au pouvoir à Budapest) et membre du Parti populaire européen, a tenté de répondre aux dénonciateurs de la "dérive hongroise". Mais au lieu de tacler point par point les assertions des orateurs, il s’est obstiné à vitupérer un complot anti-hongrois ourdi par l’opposition hongroise et la presse d’Europe de l’ouest !

Neelie Kroes, commissaire européenne pour l’agenda digitale et membre du parti libéral hollandais de droite (VVD), n’a pas esquivé ses responsabilités. Après avoir évoqué la directive audiovisuelle qui pourrait avoir été violée par Budapest, elle a souligné le risque d’une remise en cause de valeurs fondamentales de l’Union européenne. Elle s’est engagée également à étudier avec le plus grand sérieux la loi hongroise, en exprimant le souhait que la Hongrie « prendra toutes les mesures pour que la nouvelle loi sur les médias s’applique dans le respect entier des valeurs européennes relatives à la liberté de la presse et des lois européennes correspondantes ».

Le cas hongrois est un test pour l’Union. Comme le signalait Sophie In ‘t Veld, parlementaire européenne de D66 (libéraux de gauche hollandais), « il ne s’agit pas d’une question technique de conformité avec une directive, mais bien des valeurs mêmes de l’Union ».
Selon Maroun Labaki, du Soir, citant des sources proches de la présidence de la Commission, Jose Manuel Barroso voudrait trouver au plus vite une solution car il craint que ce dossier n'entrave la présidence hongroise de l'Union. Il aurait également dit à M. Orban lors d'une rencontre vendredi à Budapest,qui "si cette loi n'était pas une erreur juridique (M. Barroso ne préjuge pas de l'enquête de la commission), elle était déjà une erreur politique".

La semaine prochaine, le premier ministre hongrois sera à Strasbourg pour présenter les priorités de sa présidence européenne. Gageons que les défenseurs de la liberté de la presse et les tenants d’un projet européen fondé sur des valeurs démocratiques l’attendront de pied ferme.

L'entourage de Cathy Ashton et les chrétiens d'Orient

La situation des chrétiens d’Orient semble diviser l’Union européenne. Selon Nicolas Gros-Verheyde, du blog Bruxelles2 (www.bruxelles2.eu), l’entourage de Cathy Ashton conseillerait de « ne pas stigmatiser des Etats musulmans qui ont toujours protégé les communautés chrétiennes ». La note fait référence surtout à l’Egypte.
Certes il est fondamental de ne pas instrumentaliser les attentats contre les chrétiens pour lancer « une nouvelle croisade ». Il ne faudrait pas non plus que seuls des Etats chrétiens, à l’instar de la France, de la Hongrie, de la Pologne et de l’Italie, cosignataires d’un appel commun le 5 janvier, ou des formations conservatrices prennent la défense des chrétiens d’Orient.
Il ne s’agit pas, comme nous le soulignions dans notre chronique du Soir mardi 11 janvier (Sarkozy, Jaurès et les chrétiens d’Orient), de s'engager dans une cause communautariste, "occidentaliste" ou cléricale.
La défense des chrétiens d'Orient doit s'inscrire dans un combat pour les droits de l’Homme et pour la laïcité des Etats, qui a, d'ailleurs, pour corollaire de défendre les droits des musulmans et d'autres minorités religieuses en Europe. Ce combat devrait concerner toutes les forces démocratiques.
L’analyse prudente de « l’entourage de Mme Ashton » ne semble pas tenir compte du constat réalisé au sein même de l’Union européenne. Le rapport 2010 sur les droits de l’homme en dehors de l’Union souligne, en effet, les atteintes à la liberté religieuse dans un certain nombre de pays musulmans, dont l’Egypte.
En voici le résumé, tel que publié sur le site du Parlement européen.
Liberté de religion ou de conviction : les députés rappellent que la liberté de religion et de conviction constitue, parmi tous les droits de l'homme, un droit essentiel et fondamental. Ils appellent dès lors le Conseil et la Commission à mettre en œuvre des mesures concrètes visant à combattre l'intolérance religieuse et à faire figurer ce thème parmi les priorités du SEAE (Service européen d'action extérieure). Dans ce contexte, les députés se disent préoccupés par le fait que de nombreux pays continuent de priver de leurs droits des personnes appartenant à certaines communautés religieuses, comme la Corée du Nord, l'Iran, l'Arabie saoudite, la Somalie, les Maldives, l'Afghanistan, le Yémen, la Mauritanie, le Laos, l'Ouzbékistan, l'Érythrée, l'Irak, le Pakistan, l'Égypte et la Chine.. Les députés condamnent encore la criminalisation de l'apostasie au Proche-Orient ou en Afrique du Nord;

lundi 10 janvier 2011

La crétinisation et la crapulisation des esprits

La tuerie de Tucson a déchaîné l’industrie du spin aux Etats-Unis. Placés sur la défensive, les Républicains tentent d’éteindre le feu de prairie qui menace d’embraser leur réputation d'Américains probes, travailleurs et vertueux.
La gauche, les « libéraux » et les démocrates, en général, pointent du doigt, en effet, le discours violent de nombre de représentants ou de sympathisants du Grand Old Party.
« Rien ne prouve que le tueur ait été influencé par les campagnes de Sarah Palin ou du Tea Party », notent les Républicains, qui soulignent le dérangement psychologique de l’assassin.
Sans doute, mais les Républicains doivent réfléchir à leurs actes. En parrainant Sarah Palin pour en faire sa colistière en 2008, John McCain a introduit le loup dans la bergerie et cautionné un courant politique extrémiste.
Les Républicains doivent aussi réfléchir à leurs discours. Fondés sur le manichéisme le plus caricatural, émaillés de références guerrières, flattant l’ignorance abyssale et l’intolérance butée de leurs électeurs, ils ont trop souvent contribué à dégrader gravement la qualité et la tonalité de la démocratie.
Insulter ses adversaires, les diffamer, utiliser à leur encontre des analogies propres aux méthodes expéditives du Far West, les traiter d’antipatriotes, créent inévitablement une atmosphère dangereuse, un air vicié, que respirent à pleins poumons toutes les personnes paranoïaques ou dérangées.
Ces dernières années, des auteurs et des personnalités politiques respectables avaient mis en garde contre ces dérives. Ce n’est pas un hasard si l’ancien vice-président Al Gore a intitulé son essai paru en 2006, "L’assaut contre la raison », et que l’une des meilleures analystes de l’état d’esprit de l’Amérique, Susan Jacoby, dénonçait dans un récent livre "L’âge de la déraison américaine ».
Les Etats-Unis ne sortiront pas de cette tragédie en décrétant des mesures techniques de protection des politiciens ou en augmentant leur surveillance des groupes et individus extrémistes. Le président Obama ne peut se limiter à en appeler à l’union nationale. Celle-ci n'est pas crédible si elle n'exige pas une réflexion de fond sur ce vitriol, comme le disait le sheriff de Tucson, qui ravage la vie politique américaine, particulièrement dans l'Etat d'Arizona.
La tuerie de Tucson démontre qu’il faut mettre en œuvre une politique portant sur des questions fondamentales : la législation insensée sur les armes, la tolérance de l’incitation directe à la haine, la crétinisation et la crapulisation des esprits par une industrie médiatico-populiste d’une vulgarité sans bornes.

samedi 8 janvier 2011

Gabby Giffords, la haine tue.

Gabrielle Giffords est aujourd’hui entre la vie et la mort dans un hôpital de Tucson, en Arizona. La jeune députée démocrate a été atteinte d’une balle tirée à bout portant par un tueur fou. Six personnes au moins ont perdu la vie dans ce carnage et 13 autres ont été blessées. L’auteur des faits a été arrêté mais les raisons de ce massacre restent imprécises. La personne arrêtée semble, toutefois, proche de l’extrême droite.
Pour les commentateurs modérés et « libéraux », ce crime est la conséquence directe des discours de haine et des mensonges diffusés par les républicains les plus excités.
Gabby Giffords, relèvent-ils, était sur la liste des "hommes à battre" publiée par Sarah Palin lors de la campagne pour les élections à mi-parcours de novembre dernier. L’ancienne candidate républicaine à la vice-présidence avait établi une carte, marquée par la visée d’un fusil, désignant les démocrates à vaincre lors du scrutin.
Gaby Giffords avait mis en garde contre cette liste, en prévenant que ce type de propagande agressive pouvait avoir des conséquences graves. Les Etats-Unis ne sont pas le seul pays à doté d'une frange dingo-extrémiste mais celle-ci est d’autant plus dangereuse dans ce pays qu’elle peut disposer librement d’armes de guerre et que le discours de haine (hate speech) y est toléré jusque dans ses formulations les plus brutales.
La montée en puissance du Tea Party a été la baromètre de la dégradation du discours politique aux Etats-Unis. Le simplisme, allié à la haine et aux frustrations, est un mélange détonant qui annonce inévitablement de grands drames.
La tuerie de Tucson rappelle que les mots ont des conséquences, que les mensonges, les stéréotypes et les insultes créent peu à peu un climat délétère qui, à tout moment, peut dégénérer. A méditer partout.

jeudi 6 janvier 2011

Pauvre CD&V, si près de la N-VA, si loin de Dieu...

Le nationalisme, lors de cette nouvelle phase des interminables négociations communautaires, l’a donc emporté sur le christianisme. Le CD&V se retrouve guidé non pas par les principes chrétiens dont il prétend s’inspirer mais bien par le régionalisme ou le nationalisme qui en sont, largement, la négation.
Rik Torfs, éminent professeur de la KUL, doit être le premier à se rendre compte de la contradiction. La doctrine démocrate-chrétienne qui est, théoriquement, à la base du CD&V défend, en effet, la solidarité bien davantage que l’identité, la charité bien plus que l’égoïsme, l’ouverture bien plus que le repli. Mais la loi du parti s’impose inévitablement à la raison académique. A l’image de l’Eglise catholique, aux prises avec ses scandales, la schizophrénie semble être le destin philosophique du CD&V.
Que doit en penser Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, qui avait défendu l’année dernière le personnalisme, la philosophie forgée par Emmanuel Mounier entre les deux guerres et à l’origine de la revue Esprit ? Ce courant de pensée serait très étonné d’inspirer un parti qui s’écarte autant de son principe essentiel, qui est de placer la personne humaine au cœur de l’action politique ou sociale.
Que doit en penser Wilfried Martens, président du Parti populaire européen ? Déjà affecté par son allié italien (Berlusconi) et par son affilié hongrois (Viktor Orban), il doit aujourd’hui s’inquiéter de la partition périlleuse jouée par son propre parti, qui contribue à saper l’unité d’un pays situé au cœur du projet européen et qui a démontré durant sa présidence de l’Union son réel engagement europhile ?
Que doit en penser Yves Leterme, qui après avoir introduit le loup dans la bergerie, s’est découvert ces derniers mois une réelle vocation européenne et a parlé le plus souvent comme un homme d’Etat?

Un Texan disculpé par un test ADN. Quand la science aide la conscience

Les JT de la RTBF et de France 2 ont mis en exergue mercredi soir la libération à Dallas, au Texas, de Cornelius Dupree. Condamné à 75 ans de prison et incarcéré depuis 30 ans pour "un vol à main armée", cet homme africain-américain âgé de 51 ans a été disculpé par un test ADN.
Imaginons que Cornelius Dupree eut été condamné à mort, il aurait certainement été exécuté. Les bredouillements du juge annonçant son exonération sont un morceau d’anthologie du cafouillage et de la dangerosité de la justice pénale américaine.
Cette affaire relance le débat sur la peine de mort aux Etats-Unis, dans la mesure où les condamnations sont souvent fondées sur des témoignages douteux, mais aussi, comme le soulignent de nombreux rapports, sur la persistance du racisme au sein des forces de police et de la justice.
Si cette victoire doit beaucoup à la science, elle est aussi le résultat de la volonté humaine. Sans l’engagement résolu d’une poignée de juristes membres de l’association Innocence Project, Cornelius Dupree et des centaines d’autres personnes injustement condamnées seraient encore en prison ou dans une tombe.
L’Innocence Project a été créé en 1992 par Barry C. Scheck et Peter J. Neufeld, professeurs à l’école de droit de la Yeshiva University (New York), afin d’assister les prisonniers dont l’innocence peut être prouvée par le test ADN. Depuis sa création, leur travail a permis de disculper 265 personnes, dont 17 qui attendaient l’exécution de leur sentence dans le couloir de la mort.
Cette initiative remarquable est soutenue par des dizaines de facultés de droit aux Etats-Unis, regroupées au sein de l’Innocence Network.
Elle est relayée depuis 1999 au sein de la prestigieuse Northwestern University (Etat de l’Illinois) par la Medill School of Journalism. Menés par leur professeur David Protess, les étudiants de l’école de journalisme ont pour mission d’enquêter sur des cas contestés de condamnations à la peine capitale. Leurs investigations ont déjà permis d’innocenter 11 personnes et elles ont convaincu le gouverneur de l’Etat de décréter un moratoire des exécutions capitales.
L’affaire Dupree démontre que la liberté est gagnante quand la science et la conscience s’unissent.

mercredi 5 janvier 2011

Hongrie: George Soros et les failles du projet européen

La controverse suscitée par la nouvelle loi de la presse en Hongrie me rappelle une conversation avec George Soros, le 26 octobre dernier à Bruxelles. Lors d’un déjeuner, avenue Louise,en compagnie de quelques journalistes internationaux, le célèbre financier et philanthrope d’origine hongroise avait tenu à mettre en exergue la nécessité de profiter de la présidence hongroise de l'Union européene pour améliorer la situation des Roms en Europe.
Au cours de la conversation, qui avait très vite dévié vers la crise de l’Euro, George Soros avait toutefois souligné une ambiguïté de la construction européenne. « Le seul moment où l’Europe peut réellement faire avancer les choses dans un pays, déclarait-il, c’est quand celui-ci est encore candidat à l’adhésion ».
En d’autres termes, l’Union européenne a beaucoup de mal à faire adopter parmi ses Etats-membres les principes et critères qu’elle exige des pays tiers, notamment lorsque ceux-ci négocient leur intégration européenne.
Cette thèse est confirmée par les cas de la Roumanie et de la Bulgarie. L’adhésion de ces deux pays, presque tout le monde en convient, a été prématurée. Bruxelles peine aujourd’hui à corriger les « failles » (corruption, criminalité, etc.) décelées lors du processus d’adhésion.
Lors de ce déjeuner, George Soros s’était également inquiété de l’avenir de l’Europe en tant que « société ouverte ». Le succès électoral du parti hongrois d’extrême droite, Jobbik, montre que le national-populisme a exploité bien mieux que les partis progressistes ou modérés les sentiments de frustration et d’angoisse provoqués par l’insécurité économique et sociale.
C’est dans ce contexte et en tenant compte de ces sombres perspectives qu’il faut aborder la question de la loi de la presse en Hongrie. Il ne s’agit pas d’un « combat corporatiste » de journalistes, mais le test des valeurs européennes. La Commission européenne, gardienne des traités, ne pourra s’en tirer cette fois par une pirouette ou un communiqué exprimant sa « préoccupation ».

mardi 4 janvier 2011

Egypte-Union européenne: derrière le discours officiel, une réelle inquiétude

Dans une lette au président égyptien Hosni Moubarak, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a exprimé en des termes très vifs son indignation et sa condamnation des attentats contre l’Eglise copte d’Alexandrie, qui a fait plus de 20 morts.
Catherine Ashton, vice-présidente de la Commission et Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité, est allée un peu plus loin que la condamnation en exigeant une réelle protection pour les Coptes, ce qui pourrait être interprété comme une critique « diplomatique » de la politique gouvernementale égyptienne.
Le langage protocolaire européen empêche, toutefois, d’aller au-delà des condoléances adressées aux familles des victimes et de dire clairement ce qui se raconte dans les bureaux et les corridors du Conseil et de la Commission.
Publiquement, l’Union européenne s’interdit de mettre le doigt sur le contexte qui a rendu possible ces attentats terroristes : la montée d’al-Qaeda, la radicalisation islamiste mais aussi une politique, cautionnée par le gouvernement, de discrimination à l’égard des minorités chrétiennes.
Elle n’indique pas non plus quelles mesures elle pourrait adopter afin de promouvoir un meilleur respect par l’Egypte de ses obligations aux termes du droit international dans le domaine de la liberté religieuse et de l’égalité entre tous ses citoyens.
Mais personne n’est vraiment dupe et nombre de hauts fonctionnaires expriment en privé leurs critiques et leurs craintes à propos d’un pays en pleine transition politique et au bord de la crise de nerf.
Il reste dès lors au Parlement européen de mettre les points sur les « i » en osant sortir du discours diplomatique. Le groupe socialiste est, dans une certaine mesure, le premier concerné, car le parti officiel égyptien, le Parti National démocratique, fait partie de l’Internationale socialiste.

dimanche 2 janvier 2011

Attentat d'Alexandrie, l'urgence de protéger les minorités en terre d'islam

La presse semble avoir pris la mesure de l’attentat d’Alexandrie contre la communauté copte. Dimanche soir au JT de la RTBF et ce lundi matin sur la Première, des correspondants ont donné du contexte et du sens à une information qui avait été ratatinée jusque-là à la seule dimension « comptable » de l’horreur terroriste.
Au-delà de cette réflexion sur la couverture médiatique d’un fait tragique, la question se pose, bien plus grave celle-là, de l’incapacité de la communauté internationale à protéger les minorités chrétiennes en terre d’islam.
« Nous sommes abandonnés par tout le monde », s’exclamait récemment un chrétien irakien.
La presse, en particulier, a-t-elle suffisamment parlé du sort réservé à ces communautés installées au Moyen-Orient des siècles avant les conquêtes musulmanes ? Tout mouvement de solidarité exige en effet une constance dans l’information. Il ne peut se développer si les médias ne couvrent qu’épisodiquement, à la suite d’un attentat par exemple, une situation permanente d’oppression et de répression.
Il dépend aussi de l’attention que lui accordent les gouvernements occidentaux, les plus importants « fixeurs d’agenda » de l’actualité. Si les ministères des affaires étrangères ou l’Union européenne ne relaient pas le travail d’information des journalistes, une cause ne peut que très difficilement prospérer.
Or, les pays européens et, dans une moindre mesure, les Etats-Unis, davantage tenus à l’œil par leurs groupes de pression chrétiens, sont embarrassés par cette dégradation de la situation des chrétiens d’Orient.
S’ils craignent à juste titre d’aggraver le cas de ces derniers en donnant des arguments aux islamistes toujours prêts à dénoncer les « nouveaux croisés », ils ont du mal également à semoncer des gouvernements avec lesquels ils entretiennent d’étroites relations économiques ou stratégiques.
Personne au sein des chancelleries occidentales n’est dupe. Les attentats sont certes perpétrés par des groupes terroristes hostiles aux satrapies arabes « modérées », mais la situation des chrétiens ne serait pas aussi difficile si les gouvernements arabes n’avaient pas mené des politiques de réislamisation et confirmé l’état de citoyens de seconde zone de leurs ressortissants chrétiens.
Le sort de ces derniers ne serait pas aussi désespérant si l’allié par excellence de l’Occident, l’Arabie saoudite, n’avait pas appuyé depuis des décennies des groupes religieux extrémistes dans l’ensemble du monde musulman.
Le risque est grand de se comporter aujourd’hui comme si les chrétiens en terre d’islam étaient une cause perdue. Comme si les pays arabes, incapables de diversité religieuse, étaient condamnés à se transformer davantage encore en un territoire réservé aux seuls musulmans.
Il est temps de se réveiller si l’on veut éviter que la thèse du « choc des civilisations », élaborée par Samuel Huntington, ne devienne une self-fulfilling prophecy. Ce combat concerne l’ensemble des partisans de la liberté et de l’égalité dans le monde. Il implique en premier lieu les pays musulmans qui, au-delà de leurs condamnations de ces attentats, doivent démontrer qu’ils sont capables d’accorder réellement la liberté de conscience et une réelle égalité à leurs minorités.
Le sort réservé par la plupart des pays arabes à leurs communautés juives dans les années 1950 fut un scandale. Il ne peut se répéter aujourd'hui avec les minorités chrétiennes.

Les JT, le réveillon et l'attentat d'Alexandrie

Il y a sans doute plusieurs manières de concevoir l’information internationale de service public. Samedi soir, les JT de la RTBF et de France 2 en ont présenté deux versions distinctes en accordant un traitement très différencié de l’attentat contre une Eglise copte à Alexandrie.
Cette information, en raison de sa gravité humaine (21 morts) et de son importance politique (la stabilité de l’Egypte, le risque de confrontations entre islam et chrétienté, l’étendue de la menace terroriste islamique), avait été placée plus tôt dans la journée à la « une » de la BBC et de nombreux autres médias internationaux. Impossible donc d’en sous-estimer l’importance.
A la RTBF, elle n’a été mentionnée que près de 20 minutes après l’ouverture du JT, dans la foulée de longues séquences sur le réveillon en Belgique et dans le monde.
France 2, qui n’est pas une chaîne particulièrement cérébrale ni ennuyeuse, en a fait son deuxième sujet, quatre minutes après le début du JT.
Comment expliquer ces différentes hiérarchies de l’information au sein de médias qui se réclament tous deux du service public et qui ont dès lors d’autres responsabilités que de simplement faire du chiffre et de l’audimat?
Serait-ce une dérive du journalisme de proximité ? Mais en quoi l’Egypte serait-elle plus proche de la France que la Belgique ?
Serait-ce une banalisation du terrorisme ? La peur du grand requin blanc, quelques jours plus tôt, sur les plages égyptiennes de la mer Rouge a, en effet, mérité plus d’attention que l’attentat d’Alexandrie.
Serait-ce dû à une incompréhension de la signification spécifique de cet attentat par rapport aux massacres terroristes récurrents qui ravagent l’Irak ou le Pakistan ?
Le journalisme n’est pas une science exacte mais il exige une remise à plat régulière de ses pratiques, et notamment de ses choix et de ses hiérarchies. On aimerait confronter les « meneurs de JT » de la RTBF et France 2 pour qu’ils s’expliquent sur la manière dont, samedi, ils ont vu et nous ont montré le monde.