mardi 31 mars 2009

Le décès d'un homme de bien

Raul Alfonsin, le premier président démocratique après la brutale dictature militaire qui terrorisa l’Argentine entre 1976 et 1983, est mort à Buenos Aires à l’âge de 82 ans. Chef de file de l’Union civique radicale, partisan de la « gauche du possible », cet homme digne, épris de liberté, attaché à l’Etat de droit, s’opposa courageusement à la Junte militaire durant son règne assassin. Avocat, il prit la défense des militants de gauche enlevés par les sbires du régime.
Arrivé à la Casa Rosada après le choc provoqué par la défaite de l'armée argentine dans la guerre des Malouines (Nda: en 1982, l'invasion des îles Falklands, sous contrôle britannique, démontra que l'armée argentine savait mieux assassiner des civils désarmés que combattre des soldats de sa Majesté), il annula le décret d’auto-amnistie que s’étaient offerts les militaires, il promut la création de la Commission nationale sur les disparus (Conadep) dirigée par l’écrivain Ernesto Sabato. Il amena également les hauts-gradés devant les tribunaux, donnant ainsi un appui exceptionnel à la lutte mondiale contre l’impunité.
Ce démocrate convaincu, cet homme de convictions fortes et d’instincts modérés, fut assailli lors de sa présidence par les puissantes institutions qui avaient permis la dictature : l’armée qui, par l’intimidation prétorienne, le força à passer les lois du Point final et de l’Obéissance due, remettant en cause les poursuites entamées contre les dirigeants et exécutants de la dictature ; l’Eglise catholique qui combattit bien plus sa loi sur le divorce qu’elle ne s’opposa aux tueurs et aux tortionnaires de la Junte.
L’arrêt des jugements fut vivement critiquée à l’époque par les démocrates. Sa politique économique, accablée par le poids de la dette accumulée par la junte, fut confrontée aux protestations attisées par des syndicats péronistes beaucoup moins remuants sous l'ancienne dictature.
Toutefois, l’Argentine démocratique passa très vite l’éponge sur ces « incidents » d’un parcours par ailleurs éminemment respectable.
« Sous son gouvernement, déclarait hier le CELS, l’une des plus importantes organisations de défense des droits humains, le jugement des militaires a marqué une étape décisive dans la lutte pour la justice et la vérité et a représenté un exemple pour le monde entier dans le combat contre les crimes de lèse-humanité ».
« Raul Alfonsin mérite toute notre reconnaissance, a renchéri Estela Carlotto, de l’Association des grands-mères de la Place de Mai. Il nous a écoutées, il a constamment collaboré avec nous pour que nous puissions retrouver la trace de nos enfants et petits-enfants. Aujourd’hui est un jour d’une grande tristesse ».

lundi 23 mars 2009

Desmond Tutu sauve l'honneur de l'Afrique du Sud

Jusqu’en 1994, l’Afrique du Sud était un Etat paria. Et des millions de personnes de par le monde s’étaient mobilisées pour dénoncer le régime d’apartheid et défendre ceux qui le combattaient.
On aurait pu croire que la « nouvelle Afrique du Sud », dirigée par des hommes politiques issus de cette lutte pour la liberté et la justice, devienne une « patrie des droits de l’Homme ». Hélas, en dépit de la grandeur de Nelson Mandela et de sa contribution exceptionnelle aux combats pour le droit et la dignité, l’Afrique du Sud apparaît depuis des années comme un Etat insensible au sort des victimes de l’oppression ailleurs dans le monde et comme un « monstre froid » soucieux avant tout de ne pas vexer les pays autoritaires avec lesquels il commerce.
Sous Thabo Mbeki, l’Afrique du Sud a protégé la satrapie de Robert Mugabe au Zimbabwe, elle s’est opposée sur la scène internationale à des résolutions demandant une attitude plus résolue de la communauté internationale au Darfour ou en Birmanie.
Aujourd’hui, Pretoria s’est alignée sur la Chine en refusant un visa d’entrée au Dalai Lama, qui avait été invité à participer à une grande conférence sur la paix, dans la perspective de l’organisation de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud en 2010.
Le gouvernement sud-africain a déclaré sans fioritures que la Chine était un partenaire commercial important et qu’il ne fallait pas que le Dalai Lama détourne l’attention de la World Cup.

L’exemple de Desmond Tutu
L’archevêque Desmond Tutu et l’ancien premier ministre F.W. De Klerk se sont désolidarisés de leur gouvernement et ont annoncé qu’ils ne participeraient pas à la conférence. Leur attitude sauve l’honneur de l’Afrique du Sud et la mémoire de ceux qui s’étaient battu pour la liberté et l’égalité.
Le mouvement des droits de l’Homme a pour mission de se battre pour les droits essentiels de tous, même pour ceux qui, demain, après leur libération, violeront ces droits. Il ne garde l’espoir, toutefois, qu’en pensant qu’il n’aide pas seulement des opportunistes, mais aussi des personnalités animées de principes inébranlables.
Desmond Tutu est l’un de ces grands noms. La liberté qu’il a acquise, grâce à ses combats mais aussi grâce à la solidarité internationale, est mise au service des dissidents et des victimes, partout dans le monde. C’est grâce à son exemple qu’on ne peut pas désespérer totalement de l’Afrique du Sud.

samedi 21 mars 2009

Pauvre Mexique, si près de CNN

Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près de CNN. La semaine dernière, le site Internet de la chaîne de télévision américaine n’a relayé que des informations macabres sur cet immense pays de 100 millions d’habitants qui partage 3.200 kilomètres de frontière avec les Etats-Unis.
Les titres se sont succédé comme autant de rafales de mauvaises nouvelles.
Lundi : 7.000 soldats et policiers patrouillent dans la ville de Ciudad Juarez pour restaurer la sécurité.
Mardi : la chambre des représentants américaine s’inquiète du risque de débordement de la violence mexicaine.
Mercredi : le gouverneur du Texas demande que la garde nationale soit déployée le long de la frontière.
Jeudi : un baron mexicain de la coke fait son apparition dans la liste des milliardaires établie par le magazine Forbes.
Vendredi : des ados mexicains, arrêtés à Laredo au Texas, avouent qu’ils sont des tueurs à gages à la solde des narcos mexicains. Samedi : neuf cadavres non identifiés sont trouvés dans un fossé au sud de Ciudad Juarez.
Comme si ces infos ne suffisaient pas, elles sont systématiquement encadrés par un rappel des faits qui renforce l’image d’un pays qui part en vrille. L’année dernière, cette guerre de la drogue a fait 6000 personnes. Un millier de personnes ont été assassinées au cours des premiers 51 jours de 2009. L’année dernière, il avait fallu attendre 113 jours pour atteindre ce score.

Assez, Basta !
Le Mexique ne serait-il que cet empilement de cadavres, cet entrelacs de brutalités et de complicités ?
Jeudi dernier, dans un article de Courrier International, l’écrivain Enrique Serna exprimait tout son désarroi face à ce regard borgne. « Depuis que les têtes se sont mises à rouler sur les pistes de danse et que les exécutions en masse de narcotrafiquants, de policiers ou de maçons sont devenues partie intégrante de notre routine quotidienne, écrivait-il, l’image du Mexique s’est effondrée dans l’opinion mondiale ».
Et il ajoutait, s’en prenant aux voyeurs étrangers. « Dans les cercles intellectuels du premier monde, la décomposition de la société mexicaine suscite une curiosité malsaine et exerce un attrait considérable sur nombre d’amateurs de sensations fortes qui en ont assez de vivre dans des endroits où il ne se passe jamais rien, dans ces sociétés européennes où tout est règlementé jusqu'à l’asphyxie ».

Un autre Mexique
Comme tout autre pays rétréci par la loi d’airain de l’information, le Mexique voudrait qu’on le regarde autrement. « J’aimerais tant, me confiait un ami mexicain, que le reste du monde, qui fait mine de s’indigner de la barbarie de nos narcos, accorde autant d’attention à ceux qui, chez nous, se battent contre la violence et la corruption ».
Au Mexique, il n’y a pas que des tueurs et des victimes. Empêtrés dans un système où parfois tout s’emmêle - le droit et le crime, les policiers et les braconniers -, des représentants de l’autorité et des magistrats résistent, malgré tous les risques, aux intimidations. Au sein de la société, des milliers d’activistes, de journalistes, dénoncent, agissent. A l’exemple de Lydia Cacho, journaliste à Cancun qui se bat contre les mafias pédophiles ou d’Esther Chavez, qui, depuis des années, à Ciudad Juarez, « la ville où l’on tue les femmes », lutte contre l’impunité.
Aujourd’hui, désemparés face à tant de violence, des Mexicains cherchent à l’étranger la preuve que ce « pays meilleur » qu’ils incarnent existe bel et bien, qu’il n’est pas une dernière et futile illusion face à la furie qui se déchaîne. « Oublions l’image que vous donnez de nous, demandait Mauricio Tenorio, puisque nous habitons tous ensemble la même maison, hantée par les mêmes fantômes, ensorcelée par les mêmes sortilèges ».
Le reste du monde, les Etats-Unis, en particulier, pourraient aider le Mexique à sortir de cette spirale infernale. Barack Obama a promis d’accroître l’assistance apportée aux forces de l’ordre mexicaine, mais les 400 millions de dollars accordés jusqu’ici font pâle figure face au chiffre d’affaires des narcos, estimé à 15-20 milliards de dollars par an. Shannon O’Neil, du Council on Foreign Relations, soulignait récemment que les Etats-Unis pourraient d’abord « mettre de l’ordre dans leur propre maison », en réduisant leur consommation de drogue, en réprimant sérieusement le blanchiment de l’argent sale et en interdisant la vente d’armes de guerre dans les milliers d’armureries qui se sont installées le long de la très lucrative frontière avec le Mexique.

Rendre confiance
Toutefois, lorsqu’un pays a atteint un tel niveau de désarroi et de désespérance, ces mesures techniques ne suffisent pas. Il est tout aussi essentiel de redonner confiance à une société qui doute de tout, de rassurer cet Autre Mexique qu’il existe bien. Qu’il n’est pas condamné à se laisser réduire aux stéréotypes dont on l’accable.
La semaine dernière, en faisant du Mexique l’invité d’honneur de la Foire du livre de Paris, la France a fait davantage que rendre hommage à des écrivains exceptionnels, elle a réconforté une nation engagée dans sa lutte pour la dignité et la survie. Elle l’a fait en décrivant un Mexique surgi de l’immense héritage des civilisations aztèque et maya, de l’hymne au métissage, d’un art et d’une littérature qui relient superbement le particulier à l’universel.
Un Mexique qui refuse les fatalités dans lesquelles on l’enferme. « L’homme, l’inventeur des idées et des objets, crée sans cesse des ruines, écrivait en 1993 Octavio Paz. L’univers est innocent, même quand il enterre un continent. Le mal est exclusivement humain. Mais si le mal a fait son nid dans la conscience de l’homme, c’est là aussi que réside le remède. Lutter contre le mal, c’est lutter contre nous-mêmes ».
Quand on renvoie au Mexique cet « autoportrait » qui exalte ses créateurs et ses héros, qui reconnaît aussi la fortitude de l’immense majorité de sa population, on ne travestit pas la réalité. On en reflète des étincellements et des lumières essentiels sans lesquels notre regard serait mutilé et l’avenir du Mexique désespéré.

lundi 9 mars 2009

Darfour: la danse macabre

Les images du président soudanais dansant devant ses supporters à Khartoum et El-Fasher (Darfour) sont un sommet d’indécence. Inculpé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale, le chef de l’Etat soudanais a eu recours à l’arme classique des satrapes et des tueurs : le nationalisme, la dénonciation des comploteurs étrangers, la stigmatisation de l’Occident. Et la plupart des pays africains ou arabo-musulmans ont choisi de le rejoindre dans sa sarabande macabre.
Dès l’instant où l’accusateur est dénoncé comme un blanc (alors que la CPI est une institution des Nations unies), la victime n’a plus droit à aucun égard. Une partie de l’Afrique officielle défend ainsi le droit des Etats à massacrer, réprimer, violer leurs peuples. Heureusement, quelques illustres Africains ont élevé la voix, et parmi eux, Mgr Desmond Tutu, qui a qualifié l’attitude de l’Union africaine de « honteuse ».
Le mandat d’arrêt était justifié par les crimes commis au Darfour. Il l’est confirmé par la riposte que lui a opposée le régime soudanais. Non seulement, le président Béchir a mené une brutale campagne de contre-insurrection qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de civils (300.000 selon les Nations unies), mais en expulsant les organisations humanitaires, il a pris son peuple en otage. Et il a trouvé des alliés au sein de dizaines d’Etats prêts à dégrader leur souveraineté nationale en réclamant l’immunité pour l’inhumanité.
.Au delà de ces événements, la communauté internationale devrait aborder de front les doutes et les accusations qui se sont croisés au cours de ce pitoyable épisode. Le fait que la CPI se soit jusqu’ici intéressée à des chefs d’Etat africains pose un réel problème, d’autant plus que certaines diplomaties occidentales protègent leurs ressortissants et ceux de leurs pays amis. La justice doit non seulement être impartiale, mais elle doit aussi paraître impartiale.
Les rapports entre les organisations de la société civile doivent également être clarifiés. A la tension entre les ONG de paix ou de médiation de conflit et les associations de défense des droits de l’homme s’est ajoutée cette fois la rancœur des groupes humanitaires et médicaux, accusés par Khartoum d’avoir informé la CPI.
Les malentendus se sont accumulés ces dernières années entre ces différentes organisations, en grande partie parce que leurs mandats sont différents et parfois même concurrents. En partie aussi parce que les membres de ces groupes sont convaincus de la primauté de leur mandat et de la plus grande justesse de leur cause.
Les conflits auxquels doivent faire face les ONG sont de plus en plus complexes. Les prétentions de représenter des valeurs intangibles s’entrechoquent. Il est temps de mettre autour de la table toutes ces organisations dont l’action est le plus souvent admirable et l’engagement incontestable.

lundi 2 mars 2009

Foire du Livre de Bruxelles: attention, danger, écrivains au travail

Attention, si vous vous rendez à la Foire du Livre, prenez vos précautions, vous pourriez être victimes d’une agression sournoise. Les livres sont dangereux car ils font réfléchir et rêver. Certains même, plus dangereux encore, brisent des tabous, bousculent des convenances, défient des pouvoirs.
Un peu partout, devant ces risques innommables dont il faut protéger le peuple, des ministères de la peur ou des ligues de vertu se mobilisent. A droite, à gauche, des administrations publiques et des associations privées pourchassent inlassablement de leur courroux purificateur des romans et des essais censés diffuser de « mauvaises idées », insulter la nation ou diffamer la religion.

Subversif Harry Potter
Les censeurs frappent même au cœur des pays qui proclament leur amour et leur respect de la liberté. Aux Etats-Unis, Harry Potter est mis à l’index dans des bibliothèques locales parce qu’ « il ferait l’apologie de la sorcellerie ». Des chefs d’œuvre et des classiques de la littérature américaine suscitent l’ire des obsédés de l’autodafé. La liste des livres « contestés » ou « interdits » établie par l’Association américaine des bibliothèques est édifiante : Des souris et des hommes de John Steinbeck, Beloved de Toni Morrison, Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll Sorcières de Roald Dahl.
A l’instar des salles de jeu de Wall Street, les tables et les étagères des librairies américaines regorgeraient donc de produits hautement toxiques et certains n’hésitent pas, au fin fond de l’Amérique profonde de la Bible Belt, à brûler les livres. Comme si elle n’avait pas peur du ridicule. En 1929 déjà, la ville de Los Angeles avait interdit les livres de Tarzan car le héros vivait avec Jane sans être unis par les liens du mariage…

Les risques de l'écriture
Ces exemples pourraient presque faire sourire car les Etats-Unis disposent de lois libertaires et de puissantes organisations de défense de la liberté d’expression, mais ils dénotent la constance de l’instinct de censure, même au pays du Free Speech et du Premier amendement (célèbre texte de la Constitution américaine qui interdit au Congrès de restreindre la liberté d’expression).
Dans un grand nombre de pays, le risque est beaucoup plus grand que l’exclusion d’une bibliothèque. Etre écrivain signifie courir des risques et prendre des coups, être jeté en prison ou contraint de prendre les routes de l’exil. Comme Taner Akcam, cet historien turc, auteur d’une étude magistrale du génocide arménien (Un Acte Honteux, Denoël, 2008), menacé de mort et condamné à enseigner à l’université du Minnesota. Comme Dejan Anastasijevic, auteur de Out of War, qui a dû fuir la Serbie à la suite des menaces lancées contre lui et sa famille et qui a trouvé à Bruxelles « une ville internationale de refuge ». Comme Liu Xiaobo, ancien président de l’Independent Chinese Pen Center et l’un des auteurs de la Charte 08, un appel au respect de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il a été arrêté et assigné à résidence par le régime de Pékin.
Le 19 janvier, une vingtaine d’éminents écrivains, parmi lesquels Umberto Eco, Homero Aridjis, Paul Auster, J.M. Coetzee, Michael Ondaatje et Wole Soyinka, ont écrit au gouvernement chinois pour demander la libération de Liu Xiaobo. Des milliers de personnes ont signé une pétition en sa faveur.
Lorsque vous entrerez dans le hall de la Foire du Livre, souvenez-vous que la littérature est, dans certains pays, un acte de courage. Et signez toutes les pétitions qui, on l’espère, circuleront en faveur des écrivains persécutés.