Attention, si vous vous rendez à la Foire du Livre, prenez vos précautions, vous pourriez être victimes d’une agression sournoise. Les livres sont dangereux car ils font réfléchir et rêver. Certains même, plus dangereux encore, brisent des tabous, bousculent des convenances, défient des pouvoirs.
Un peu partout, devant ces risques innommables dont il faut protéger le peuple, des ministères de la peur ou des ligues de vertu se mobilisent. A droite, à gauche, des administrations publiques et des associations privées pourchassent inlassablement de leur courroux purificateur des romans et des essais censés diffuser de « mauvaises idées », insulter la nation ou diffamer la religion.
Subversif Harry Potter
Les censeurs frappent même au cœur des pays qui proclament leur amour et leur respect de la liberté. Aux Etats-Unis, Harry Potter est mis à l’index dans des bibliothèques locales parce qu’ « il ferait l’apologie de la sorcellerie ». Des chefs d’œuvre et des classiques de la littérature américaine suscitent l’ire des obsédés de l’autodafé. La liste des livres « contestés » ou « interdits » établie par l’Association américaine des bibliothèques est édifiante : Des souris et des hommes de John Steinbeck, Beloved de Toni Morrison, Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll Sorcières de Roald Dahl.
A l’instar des salles de jeu de Wall Street, les tables et les étagères des librairies américaines regorgeraient donc de produits hautement toxiques et certains n’hésitent pas, au fin fond de l’Amérique profonde de la Bible Belt, à brûler les livres. Comme si elle n’avait pas peur du ridicule. En 1929 déjà, la ville de Los Angeles avait interdit les livres de Tarzan car le héros vivait avec Jane sans être unis par les liens du mariage…
Les risques de l'écriture
Ces exemples pourraient presque faire sourire car les Etats-Unis disposent de lois libertaires et de puissantes organisations de défense de la liberté d’expression, mais ils dénotent la constance de l’instinct de censure, même au pays du Free Speech et du Premier amendement (célèbre texte de la Constitution américaine qui interdit au Congrès de restreindre la liberté d’expression).
Dans un grand nombre de pays, le risque est beaucoup plus grand que l’exclusion d’une bibliothèque. Etre écrivain signifie courir des risques et prendre des coups, être jeté en prison ou contraint de prendre les routes de l’exil. Comme Taner Akcam, cet historien turc, auteur d’une étude magistrale du génocide arménien (Un Acte Honteux, Denoël, 2008), menacé de mort et condamné à enseigner à l’université du Minnesota. Comme Dejan Anastasijevic, auteur de Out of War, qui a dû fuir la Serbie à la suite des menaces lancées contre lui et sa famille et qui a trouvé à Bruxelles « une ville internationale de refuge ». Comme Liu Xiaobo, ancien président de l’Independent Chinese Pen Center et l’un des auteurs de la Charte 08, un appel au respect de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il a été arrêté et assigné à résidence par le régime de Pékin.
Le 19 janvier, une vingtaine d’éminents écrivains, parmi lesquels Umberto Eco, Homero Aridjis, Paul Auster, J.M. Coetzee, Michael Ondaatje et Wole Soyinka, ont écrit au gouvernement chinois pour demander la libération de Liu Xiaobo. Des milliers de personnes ont signé une pétition en sa faveur.
Lorsque vous entrerez dans le hall de la Foire du Livre, souvenez-vous que la littérature est, dans certains pays, un acte de courage. Et signez toutes les pétitions qui, on l’espère, circuleront en faveur des écrivains persécutés.
Atlantic notes (1)
Il y a 7 ans