La Commission européenne, le Parlement européen et les Nations unies ont eu l'excellente idée d'organiser à Bruxelles une grande conférence sur les défenseurs des droits de l'homme, les 7 et 8 octobre.
Les témoignages ont été bouleversants, les interpellations pressantes. Menés par Hélène Flautre (membre des Verts français), présidente de la sous-commission des droits de l'homme, les débats de la première journée ont été marqués par l'intervention de Stéphane Hessel, un extraordinaire et sémillant nonantenaire, et par l'analyse de Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch.
Le 8, j'ai présidé un panel d'une rare qualité et je vous livre ici le texte de mon discours qui a introduit leurs interventions.
La plume dans la plaie
Il y a deux ans, le 7 octobre 2006, Anna Politkovskaia était assassinée à Moscou. Comme l’écrit si bien Galia Ackerman de RFI, « elle était la conscience incarnée d’une Russie honnête qui lançait un défi à notre humanité et nous appelait au secours ».
L’exemple d’Anna nous rappelle, tragiquement, que l’histoire du journalisme, du grand journalisme, est intimement lié à celle des droits de l’homme.
Non seulement parce que la liberté d’expression est, comme aiment le dire ses défenseurs, la mère des autres libertés
Non seulement parce que le journalisme a le pouvoir de révéler et de dénoncer les atteintes aux libertés, et par cette action d’embarrasser les régimes autoritaires et d’amener les gouvernements démocratiques à agir pour les victimes.
L’histoire du journalisme est intimement liée à celle des droits de l’homme parce que souvent, ses plus belles pages ont été écrites par des plumes de la liberté, parce que les journalistes dont on se souvient, que l’on lit encore et que la société honore, ont été animés par un sens profond d’humanité et qu’ils ont pris des risques, même celui de la mort et de l’impopularité, pour dire la vérité. Et il n’y a souvent de vérité journalistique que dans l’information qui secoue les consensus commodes et dérange les pouvoirs.
Il y a une différence entre la politique et le journalisme. On peut faire du bon journalisme avec des bons sentiments, du moins si l’on entend par ces termes, l’aspiration à la liberté, l’indignation devant tout ce qui porte atteinte à la dignité de l’homme.
L’indignation ?
C’est Upton Sinclair qui, en 1905, dénonce les conditions de travail et d’hygiène épouvantables dans les abattoirs de Chicago et amène le président Théodore Roosevelt à adopter de nouvelles lois
C’est Albert Londres qui, dans les années 1920, enquête sur le bagne de Cayenne en Guyane et convainc la France de le fermer.
C’est George Orwell qui rend hommage à la Catalogne assassinée, Vassili Grossman qui parle « du grincement combiné des fils de fer barbelés de la taïga sibérienne et du camp d'Auschwitz »., Jean-Jacques Servan Schreiber, François Mauriac, Jacques Duquesne et quelques autres qui révèlent et condamnent l’utilisation de la torture lors de la guerre d’Algérie, Donald Woods qui tient tête au régime d’apartheid sud-africain, Adam Michnik, qui s’engage dans Solidarité.
Cette tradition de journalistes engagés n’a jamais cessé. Aujourd’hui, de la Tunisie à la Chine, du Mexique à Cuba, du Zimbabwe à la Birmanie, des journalistes participent au combat pour la liberté et la dignité, souvent au péril de leur vie, sous la menace constante de l’emprisonnement ou du bannissement. Et ils sont, de nouveau, les meilleurs professionnels de leur génération.
Tous les journalistes ne sont pas du côté des droits de l’homme. Comme l’a rappelé hier Mme Samayoa du Guatemala, il y a aussi une presse qui diffame les défenseurs des droits de l’homme. Une presse qui justifie la dictature et appuie la répression, une presse qui appelle au coup d’Etat, à l’épuration ethnique et au génocide.
« Le journalisme, écrit Marc Dugain, se meurt de tant de journalistes vivants que la vérité n’intéresse plus, habitués qu’ils sont au ronronnement de nos pays où le pouvoir de l’information n’inquiète plus les puissants. Il est devenu l’auxiliaire maladroit de la campagne de vaccination des citoyens contre une relation de la réalité qui déranger ».
Les témoignages ont été bouleversants, les interpellations pressantes. Menés par Hélène Flautre (membre des Verts français), présidente de la sous-commission des droits de l'homme, les débats de la première journée ont été marqués par l'intervention de Stéphane Hessel, un extraordinaire et sémillant nonantenaire, et par l'analyse de Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch.
Le 8, j'ai présidé un panel d'une rare qualité et je vous livre ici le texte de mon discours qui a introduit leurs interventions.
La plume dans la plaie
Il y a deux ans, le 7 octobre 2006, Anna Politkovskaia était assassinée à Moscou. Comme l’écrit si bien Galia Ackerman de RFI, « elle était la conscience incarnée d’une Russie honnête qui lançait un défi à notre humanité et nous appelait au secours ».
L’exemple d’Anna nous rappelle, tragiquement, que l’histoire du journalisme, du grand journalisme, est intimement lié à celle des droits de l’homme.
Non seulement parce que la liberté d’expression est, comme aiment le dire ses défenseurs, la mère des autres libertés
Non seulement parce que le journalisme a le pouvoir de révéler et de dénoncer les atteintes aux libertés, et par cette action d’embarrasser les régimes autoritaires et d’amener les gouvernements démocratiques à agir pour les victimes.
L’histoire du journalisme est intimement liée à celle des droits de l’homme parce que souvent, ses plus belles pages ont été écrites par des plumes de la liberté, parce que les journalistes dont on se souvient, que l’on lit encore et que la société honore, ont été animés par un sens profond d’humanité et qu’ils ont pris des risques, même celui de la mort et de l’impopularité, pour dire la vérité. Et il n’y a souvent de vérité journalistique que dans l’information qui secoue les consensus commodes et dérange les pouvoirs.
Il y a une différence entre la politique et le journalisme. On peut faire du bon journalisme avec des bons sentiments, du moins si l’on entend par ces termes, l’aspiration à la liberté, l’indignation devant tout ce qui porte atteinte à la dignité de l’homme.
L’indignation ?
C’est Upton Sinclair qui, en 1905, dénonce les conditions de travail et d’hygiène épouvantables dans les abattoirs de Chicago et amène le président Théodore Roosevelt à adopter de nouvelles lois
C’est Albert Londres qui, dans les années 1920, enquête sur le bagne de Cayenne en Guyane et convainc la France de le fermer.
C’est George Orwell qui rend hommage à la Catalogne assassinée, Vassili Grossman qui parle « du grincement combiné des fils de fer barbelés de la taïga sibérienne et du camp d'Auschwitz »., Jean-Jacques Servan Schreiber, François Mauriac, Jacques Duquesne et quelques autres qui révèlent et condamnent l’utilisation de la torture lors de la guerre d’Algérie, Donald Woods qui tient tête au régime d’apartheid sud-africain, Adam Michnik, qui s’engage dans Solidarité.
Cette tradition de journalistes engagés n’a jamais cessé. Aujourd’hui, de la Tunisie à la Chine, du Mexique à Cuba, du Zimbabwe à la Birmanie, des journalistes participent au combat pour la liberté et la dignité, souvent au péril de leur vie, sous la menace constante de l’emprisonnement ou du bannissement. Et ils sont, de nouveau, les meilleurs professionnels de leur génération.
Tous les journalistes ne sont pas du côté des droits de l’homme. Comme l’a rappelé hier Mme Samayoa du Guatemala, il y a aussi une presse qui diffame les défenseurs des droits de l’homme. Une presse qui justifie la dictature et appuie la répression, une presse qui appelle au coup d’Etat, à l’épuration ethnique et au génocide.
« Le journalisme, écrit Marc Dugain, se meurt de tant de journalistes vivants que la vérité n’intéresse plus, habitués qu’ils sont au ronronnement de nos pays où le pouvoir de l’information n’inquiète plus les puissants. Il est devenu l’auxiliaire maladroit de la campagne de vaccination des citoyens contre une relation de la réalité qui déranger ».
J'ajouterai: on est peut-être dans la même profession, on ne fait pas le même métier.
Plus tard, alors que les sténographes du pouvoir, avec leurs convenances et leurs connivences, alors que les stars de l’information spectacle, avec leurs futilités et leurs frivolités, entreront peu à peu dans les oubliettes de l’histoire, ces journalistes défenseurs continueront à inspirer tous ceux qui sont convaincus que l’information n’est pas que commerce ou propagande, que les batailles pour la liberté d’expression, comme l’écrit Horacio Verbitsky dans son livre Un monde sans journalistes, « sont des épisodes significatifs d’une lutte beaucoup plus vaste pour la gouvernance démocratique et contre quelques unes de ses pires déformations : la corruption, l’insécurité juridique, la complaisance à l’égard des atrocités du passé récent, l’exclusion sociale ».
Récemment encore, des journalistes ont payé de leur vie cet engagement : Anna, mais aussi Samir Kassir, Gibran Tuéni, Daniel Pearl, et beaucoup d’autres, moins connus, qui dans les faubourgs du monde ont pris le parti de la vérité et de liberté.
Cette conférence leur rend hommage. Ils continuent à vivre parmi nous par leur exemple et par leurs écrits.
« Le journalisme est le plus beau métier du monde », s’est un jour exclamé Gabriel Garcia Marquez. Hier, Stéphane Hessel nous a rappelé avec passion que la Déclaration universelle était aussi l’un des plus beaux textes du monde.
Nous accueillons aujourd’hui dans cette salle des journalistes qui partagent ces deux convictions
Nous accueillons tout spécialement à cette tribune
Horacio Verbitsky, Lydia Cacho, Mohammed Ali Atassi et Andrei Lypsky
Ils seront nos grands témoins.
Horacio Verbitsky est l’un des journalistes les plus célèbres de l’Amérique latine. Je vous réfère à sa biographie, d’ailleurs très succincte, reprise dans les documents de la conférence.
Il est chroniqueur au quotidien de centre gauche Pagina 12, symbole de la lutte pour la démocratie, et président du Centre d’études légales et sociales, qui a tant fait pour combattre l’impunité, obtenant en particulier la suppression des lois d’amnisties accordée aux membres de la junte militaire.
J’aimerais pour camper le personnage reprendre ses propres mots : « Le journaliste a des sources, il n’a pas d'amis, écrit-il dans Un monde sans journalistes. Il a le droit de critiquer tout et tout le monde. Il a le droit de verser du sel dans les blessures, de mettre des cailloux dans les chaussures, de dire le mauvais côté des choses, car du bon côté, les services de presse s’en chargent ».
Lydia Cacho
Lydia Cacho est journaliste, militante des droits des femmes et des enfants. Son action lui a valu de très nombreux prix, mais aussi de très nombreuses épreuves : les menaces, les procès, la prison.
« Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse », disait Albert Camus. Avec une journaliste de cette qualité, le Mexique a un avenir. Dans son livre, Mémoires d’une infamie, Lydia Cacho écrit : « Je crois avec ferveur que le Mexique peut se transformer, qu’un jour il connaîtra une vraie démocratie. Je crois au journalisme comme lanterne du monde, comme un droit de la société de savoir et de comprendre, je crois que les droits de l’homme ne sont pas négociables…Tant que je vivrai, je continuerai à écrire et grâce ce que j’ai écrit, je continuerai à vivre ».
Mohammed Ali Atassi
Mohammed Ali Atassi incarne l’aspiration à la liberté et à la raison dans une région du monde accablée par l’autoritarisme et la violence.
Collaborateur au supplément culturel du quotidien de référence An Nahar, il se bat pour l’ouverture politique de son pays, un pays où, écrivait-il, « les considérations de sécurité sont telles que le poète Adonis pourrait être convoqué par les services de sécurité pour expliquer le sens de ses poèmes, ou que le peintre syro-allemand Marwan Qassab pourrait être forcé d’expliquer la signification politique de son mélange de couleurs ».
Comme l’écrivait Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur, « tout qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude ».
Andrey Lipsky
"On ne tue pas une enquête en tuant un journaliste". Cette phrase du grand reporter américain Bob Greeene pourrait symboliser la lutte de Novaia Gazeta, auquel collaborait Anna Politkvoskaia.
Andrey Lipsky est le rédacteur en chef de ce journal, l’une des dernières voies indépendantes de Russie. Un journal qui se bat contre l’impunité, contre l’IMPOUTINITE comme ironisait hier Jean Plantu dans une de ses caricatures.
Un journal qui n’écrit pas des reportages Potemkine et qui pratique cette belle formule d’Albert Londres : Notre métier pas de faire plaisir ou de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».
Plus tard, alors que les sténographes du pouvoir, avec leurs convenances et leurs connivences, alors que les stars de l’information spectacle, avec leurs futilités et leurs frivolités, entreront peu à peu dans les oubliettes de l’histoire, ces journalistes défenseurs continueront à inspirer tous ceux qui sont convaincus que l’information n’est pas que commerce ou propagande, que les batailles pour la liberté d’expression, comme l’écrit Horacio Verbitsky dans son livre Un monde sans journalistes, « sont des épisodes significatifs d’une lutte beaucoup plus vaste pour la gouvernance démocratique et contre quelques unes de ses pires déformations : la corruption, l’insécurité juridique, la complaisance à l’égard des atrocités du passé récent, l’exclusion sociale ».
Récemment encore, des journalistes ont payé de leur vie cet engagement : Anna, mais aussi Samir Kassir, Gibran Tuéni, Daniel Pearl, et beaucoup d’autres, moins connus, qui dans les faubourgs du monde ont pris le parti de la vérité et de liberté.
Cette conférence leur rend hommage. Ils continuent à vivre parmi nous par leur exemple et par leurs écrits.
« Le journalisme est le plus beau métier du monde », s’est un jour exclamé Gabriel Garcia Marquez. Hier, Stéphane Hessel nous a rappelé avec passion que la Déclaration universelle était aussi l’un des plus beaux textes du monde.
Nous accueillons aujourd’hui dans cette salle des journalistes qui partagent ces deux convictions
Nous accueillons tout spécialement à cette tribune
Horacio Verbitsky, Lydia Cacho, Mohammed Ali Atassi et Andrei Lypsky
Ils seront nos grands témoins.
Horacio Verbitsky est l’un des journalistes les plus célèbres de l’Amérique latine. Je vous réfère à sa biographie, d’ailleurs très succincte, reprise dans les documents de la conférence.
Il est chroniqueur au quotidien de centre gauche Pagina 12, symbole de la lutte pour la démocratie, et président du Centre d’études légales et sociales, qui a tant fait pour combattre l’impunité, obtenant en particulier la suppression des lois d’amnisties accordée aux membres de la junte militaire.
J’aimerais pour camper le personnage reprendre ses propres mots : « Le journaliste a des sources, il n’a pas d'amis, écrit-il dans Un monde sans journalistes. Il a le droit de critiquer tout et tout le monde. Il a le droit de verser du sel dans les blessures, de mettre des cailloux dans les chaussures, de dire le mauvais côté des choses, car du bon côté, les services de presse s’en chargent ».
Lydia Cacho
Lydia Cacho est journaliste, militante des droits des femmes et des enfants. Son action lui a valu de très nombreux prix, mais aussi de très nombreuses épreuves : les menaces, les procès, la prison.
« Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse », disait Albert Camus. Avec une journaliste de cette qualité, le Mexique a un avenir. Dans son livre, Mémoires d’une infamie, Lydia Cacho écrit : « Je crois avec ferveur que le Mexique peut se transformer, qu’un jour il connaîtra une vraie démocratie. Je crois au journalisme comme lanterne du monde, comme un droit de la société de savoir et de comprendre, je crois que les droits de l’homme ne sont pas négociables…Tant que je vivrai, je continuerai à écrire et grâce ce que j’ai écrit, je continuerai à vivre ».
Mohammed Ali Atassi
Mohammed Ali Atassi incarne l’aspiration à la liberté et à la raison dans une région du monde accablée par l’autoritarisme et la violence.
Collaborateur au supplément culturel du quotidien de référence An Nahar, il se bat pour l’ouverture politique de son pays, un pays où, écrivait-il, « les considérations de sécurité sont telles que le poète Adonis pourrait être convoqué par les services de sécurité pour expliquer le sens de ses poèmes, ou que le peintre syro-allemand Marwan Qassab pourrait être forcé d’expliquer la signification politique de son mélange de couleurs ».
Comme l’écrivait Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur, « tout qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude ».
Andrey Lipsky
"On ne tue pas une enquête en tuant un journaliste". Cette phrase du grand reporter américain Bob Greeene pourrait symboliser la lutte de Novaia Gazeta, auquel collaborait Anna Politkvoskaia.
Andrey Lipsky est le rédacteur en chef de ce journal, l’une des dernières voies indépendantes de Russie. Un journal qui se bat contre l’impunité, contre l’IMPOUTINITE comme ironisait hier Jean Plantu dans une de ses caricatures.
Un journal qui n’écrit pas des reportages Potemkine et qui pratique cette belle formule d’Albert Londres : Notre métier pas de faire plaisir ou de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».