jeudi 4 février 2010

L'avenir du journalisme

Même si nous journalistes rêvons tous d’une prospérité raisonnable et de moyens appréciables, nous devrions nous rappeler que le journalisme et la liberté de la presse n’existent pas pour assurer l’emploi des journalistes ni les revenus des propriétaires de médias.
Toutefois, il nous faut bien parler d’économie et d’argent. L’ampleur de la crise économique actuelle est telle qu’elle met en cause l’essence même du journalisme et menace ainsi un des socles de la démocratie.
Cette affirmation fera sourire ou agacera ceux qui accusent la presse de faire partie du problème et de saper les fondements de la démocratie. Mais au-delà de l’aveu évident des failles et des dérives d’une profession qui n’est pas vertueuse, il serait inconscient de se réjouir de la crise de la presse ou de s’en laver les mains.
La démocratie ne dépend pas seulement de la liberté d’expression et d’opinion, telle qu’elle s’exprime sur Facebook ou dans les blogs. Son sort dépend aussi de l’exercice professionnel, oserais-je dire artisanal, de ces libertés par et dans le journalisme.
Sans tomber dans le corporatisme, il est important de rappeler que le journalisme donne corps et puissance à la liberté, du moins cette forme de journalisme qui croit à sa responsabilité de relayer les informations nécessaires à l’expression effective de la citoyenneté, qui croit à son devoir de révéler les informations qui permettent le contrôle des tentations et abus du pouvoir.
L’enjeu de cette crise pour le journalisme est de démontrer qu’il occupe une place unique, nécessaire, incontournable au sein de la société.
Le sort de notre profession dépendra certainement des idées que développent les gestionnaires et les spécialistes de la monétisation de l‘information sur Internet. Mais l’avenir du journalisme dépendra tout autant d’un retour à ces principes que l’on célèbre surtout lors des grands messes du métier, lors de la remise du Prix Pulitzer ou du Prix Albert Londres, mais qui ont été écornés tout au long de ces années de commercialisation et de frivolisation de l’information.
Le journalisme doit récupérer le terrain de l’investigation et de l’expertise qu’il a cédé à d’autres, aux ONG, aux centres d’études, aux blogueurs spécialisés.
Il doit restreindre l’espace immense qui est aujourd’hui occupé par la communication pour redevenir non seulement cette institution informelle qui valide les faits et arbitre entre les affirmations partisanes, mais aussi celle qui, en raison de ses connaissances et de son attachement à l’impartialité, acquiert le statut de référence et de pilier de l’information et du débat citoyen.
Comme un parlement qui peut être la chambre d’enregistrement du pouvoir exécutif ou l’expression plus remuante d’un véritable deuxième pouvoir qui contrôle, bride, rappelle à l’ordre le gouvernement, la presse peut se concevoir comme le porte-plume des pouvoirs ou comme un quatrième pouvoir. Mais plus que jamais, c'est ce dernier modèle qui est nécessaire, un journalisme se revendique comme le chien de garde des institutions, comme le petit caillou dans la chaussure des pouvoirs.
Face aux défis qui nous attendent (changement climatique, choc des incivilisations, guerres communautaires), il doit être le canari dans les boyaux de la mine qui nous met en garde contre les coups de grisou de la bêtise et de l’intolérance. Contre aussi « l’horreur économique » et les débordements de la cupidité et de l’inhumanité des tenanciers de tripots de l’ économie casino.
Il faut plus que jamais aller à contre-courant, « résister à l’air du temps » comme le disait Camus, « penser contre soi-même », comme renchérissait Edwy Plenel.
Le grand public ne plébiscite pas nécessairement la presse la plus exigeante et lui préfère les titres plus frivoles, mais c’est à l’aune de cette presse de qualité, exigeante, audacieuse, qu’elle juge le journalisme, sa crédibilité et sa légitimité au sein de la société.