Les militaires brésiliens, qui avaient dirigé le pays d’une main de fer entre 1964 et 1985, ne sont pas vraiment rentrés dans leurs casernes. Ils viennent de le rappeler au président Lula en bloquant un projet de loi qui prévoyait notamment la création d’une Commission de la vérité, chargée d’examiner les crimes contre l’humanité commis par l’armée lors de cette période noire.
Le 22 décembre, le ministre de la Défense Nelson Jobim et les commandants suprêmes de l’armée de terre, de la force aérienne et de la marine ont présenté leur démission pour couler ce projet. Et le président a fait marche arrière, bloquant la soumission de ce texte au Congrès.
Durant la dictature, initiée par le coup d’Etat de 1964 contre le gouvernement social-démocrate de Joao Goulart, les militaires se sont rendus coupables d’innombrables crimes et atteintes aux droits de l’Homme. Lors de la période de transition vers la démocratie, ils se sont taillé une loi d’amnistie bien seyante, dont ont également bénéficié les opposants qui s’étaient engagés dans la lutte armée.
Depuis lors, aucun militaire n’a été jugé. Une chape de plomb est tombée sur le pays. L’oubli est devenu une politique officielle, comme s’il était possible de bâtir une vraie démocratie sur le silence et l’impunité.
Rassurés par cette complaisance, les militaires se sont arrangés pour conserver une part importante de leur pouvoir, en contrôlant notamment l’industrie de l’armement, source de prébendes corporatistes, et en gardant la haute main sur la politique de sécurité du pays.
Au cours de ces deux mandats, le président Lula a cherché à amadouer l’armée en approuvant une hausse des contrats d’armements (notamment avec la France). L’émergence du pays comme puissance régionale et globale, les zones de tension aux frontières (Venezuela, Colombie…), le « rééquipement » de nombreuses armées sud-américaines et l’essor exponentiel du trafic de drogue, ont fourni l’alibi de cet accroissement.
Ancien héros de l’opposition au régime militaire, Lula sait, toutefois, que sa réputation et la crédibilité de son parti (Parti des travailleurs) dépendent aussi d’une prise en considération de la mémoire des victimes de la dictature.
Le Tribunal suprême fédéral est en train d’examiner un recours sur la levée de la loi d’amnistie. Si cette loi était supprimée, des procès pourraient être entamés contre des membres de l’Establishment militaire, une perspective qui inquiète le président Lula, très conscient de la démilitarisation insuffisante de son pays et de la persistance du poids de cet Etat profond, fondé sur les services de renseignement, les bandes paramilitaires, grands propriétaires ruraux, qui constitue un garrot autour de la démocratie et de l’Etat de droit.