La bourde de l’annonce de la mort de la reine Fabiola par l’agence Belga dénote une confusion grave du rôle des médias dans une société démocratique. Elle est l’aboutissement de la place excessive accordée à l’audience dans la détermination des priorités, hiérarchies et modes de traitement de l’information.
Au règne de l’audimat, expression passive du règne de l’audience, s’ajoute le populisme du « journalisme citoyen », forme active d'une politique essentiellement marketing de rapport au public.
"Journalisme citoyen?". Faisons un sort à cette expression, car il n’y a rien de citoyen dans le mélange d’une fonction spécifique, celle du journalisme, et l’intervention du grand public. Cette idée est au journalisme ce que le paramilitarisme, le vigilantisme et les rondes nocturnes contre la délinquance sont à la police et à l’Etat de droit : une perversion.
Les citoyens ont évidemment le droit de s’exprimer librement, en rue, dans les cafés, sur des blogs, mais ils ne peuvent en aucun cas prétendre faire du journalisme. Ce métier, même s’il pêche aussi par ses bavures, a ses règles et sa mission. Il doit répondre notamment à des exigences strictes de vérification de l’information et à une appréciation permanente de l’impact de celle-ci sur la société.
Le titre très noble de "journalisme citoyen" doit être réservé au journalisme qui vise à renforcer la citoyenneté. Cet objectif requiert de fournir les faits et les idées qui permettant aux femmes et aux hommes d’agir et de participer aux enjeux politiques en toute connaissance de cause.
S’il n’y a pas de citoyens journalistes, mais des citoyens qui peuvent informer "en direct" ou en passant par des journalistes, les journalistes ne sont pas nécessairement tous citoyens, car cette fonction n’est assumée et promue que par une partie de la profession.
En dépit de l'outrage à la reine Fabiola, l'affaire Belga est venue à point pour susciter un débat au sein de la profession. Le secrétaire général adjoint de l'AJP (Association des journalistes professionnels), Jean-François Dumont, dans une interview accordée au Soir, a clairement remis l'Eglise ou la Maison du peuple au centre du village: ces "inventions" qui se réclament du journalisme doivent être bannies.
Les patrons de Belga auraient-ils voulu paraphraser la fameuse phrase de la guerre du Vietnam: "nous avons dû détruire le journalisme pour le sauver".
Atlantic notes (1)
Il y a 7 ans