L’attaque israélienne contre Gaza suscite de vives réactions de protestation de par le monde. La riposte israélienne aux tirs de roquettes du Hamas est clairement disproportionnée et provoque par son caractère indiscriminé de nombreuses victimes civiles. La condamnation des bombardements doit par ailleurs s’étendre plus largement à la politique de blocus imposée par Israël à la bande de Gaza. La violence actuelle trouve certainement son origine dans l’extrémisme du Hamas, mais elle résulte tout autant de l’implacable indifférence israélienne à l’égard de la tragédie des populations civiles palestiniennes.
Toutefois, la mobilisation pour un cessez-le-feu doit exiger en même temps l’arrêt des tirs de roquettes du Hamas contre des villages israéliens. Ces tirs, comme le souligne Amnesty International, sont aussi illégaux que les bombardements israéliens. Plus prosaïquement, ils démontrent le mépris des activistes du Hamas non seulement pour la vie des civils israéliens mais aussi pour leur propre population, qu’ils transforment en victimes innocentes des attaques israéliennes.
Israël et le Hamas prennent les civils des deux camps en otage. Cette année, selon Amnesty international, 650 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes, dont un tiers de civils non armés et 70 enfants. Au cours de la même période, les groupes palestiniens ont tué 25 Israéliens, dont 16 civils (parmi eux, 4 enfants). www.amnesty.org/en/news-and-updates/)
Le conflit israélo-palestinien a trop longtemps souffert de la partialité de ceux qui s’y engagent. En appliquant des critères différents à leurs amis et à leurs ennemis, les lobbies pro-israéliens et pro-palestiniens contribuent à la perpétuation de l’état de guerre et à l’éloignement d’une solution pacifique et équitable du conflit. En d’autres termes, ils se comportent comme s’ils ne voulaient pas d’une solution équitable, mais bien de la victoire complète de leurs thèses et de leurs alliés.
La responsabilité de la communauté internationale est directement testée par cette nouvelle phase brutale du conflit. Elle implique elle aussi de réfléchir à la nécessaire impartialité dans la recherche d’une solution qui garantisse à la fois la sécurité d’Israël et la viabilité d’un Etat palestinien.
Les Etats-Unis sont en première ligne et l’on peut espérer que Barack Obama décidera de rompre avec l’appui inconditionnel de Washington à Israël, en dépit des violations systématiques du droit international, du droit humanitaire international et des droits de l’Homme dont l’Etat hébreu se rend coupable. La complaisance des Etats-Unis à l’égard de la poursuite des nouvelles implantations de colonies juives est une faute, mais elle est aussi une erreur. Elle compromet, si elle se poursuit, toute chance de renouer avec le monde arabe et de contribuer à sa nécessaire modernisation et démocratisation.
L’Europe, sottement accusée d’être pro-arabe par les milieux extrémistes pro-israéliens, ferait bien elle aussi d’exiger d’Israël le respect du droit. Elle suit depuis des années dans la région une politique mollassonne qui ne satisfait ni les Israéliens ni les Palestiniens et qui contribue par son indécision et son impuissance à l’aggravation du conflit.
Le respect des droits de l’Homme devrait être une ligne directrice de l’action de l’Union européenne et des Etats-Unis. Cette exigence devrait s’exprimer avec la même force à l’égard de toutes les parties au conflit. Des sanctions devraient être appliquées à ceux, quels qu’ils soient, qui violent le droit international et attisent les hostilités. Tout rehaussement des relations avec les pays de la région devrait dépendre de l’adoption par les pays bénéficiaires d’actes concrets visant à promouvoir la paix et le respect des droits humains.
Il est trop facile pour l’Europe ou pour les Etats-Unis de se réclamer de leurs « valeurs » et de leur attachement aux droits de l’homme en s’en prenant à des leaders pathétiques comme Robert Mugabe ou les généraux mafieux birmans. Le conflit israélo-palestinien offre l’un des tests les plus essentiels de leur prétention à mener une politique « éthique ». De leur action dépend également la possibilité d'assurer un ordre international plus juste et plus sûr
lundi 29 décembre 2008
dimanche 21 décembre 2008
La torture? Toujours prêts!
Chaque jour la technologie fait de nouvelles prouesses, des savants inventent de nouveaux médicaments pour lutter contre le cancer, des chercheurs multiplient les découvertes. Pendant ce temp, la personne humaine semble rester immuable, bloquée dans son développement éthique et intellectuel.
Du moins, c’est ce qui ressort d’une nouvelle étude publiée par le Docteur Jerry Burger, de l’université de Santa Clara (Etats-Unis). Cinquante ans après la célèbre expérience réalisée par le professeur Stanley Milgram, de l’université de Yale, sur l’obéissance et la torture, Mr. Burger a testé dans son laboratoire le conformisme et le « devoir dû » face à des ordres qui imposent de faire souffrir des êtres humains.
Les résultats confirment qu’une majorité des personnes sont prêtes à pratiquer des sévices contre leurs semblables, alors que les victimes crient et se débattent.. Il suffit de les placer dans une situation où elles se sentent sous pression et surveillées par une autorité pour qu’elles acceptent de commettre, en toute connaissance de cause, des actes violents.
Ces hommes, insistent les chercheurs ne sont pas des monstres, mais des "hommes ordinaires".
« Même s’il est difficile de traduire ce type d’expérience dans le monde réel, explique le professeur Burger, elle pourrait expliquer pourquoi, lors de conflits, des gens prennent part à des actes de génocide ».
La BBC diffusera bientôt un reportage qui répète le test Milgram et débouche sur les mêmes résultats. Appelé à augmenter le voltage appliqué à une personne torturée, la plupart des participants obéissent. Pourquoi ? « Parce qu’ils s’identifient massivement au responsable de l’expérience, explique le Dr. Abigail San, et se laissent tellement absorber par l’objectif de la recherche qu’il ne leur reste plus de place pour se demander : mais qu’est-ce que j’en pense moralement ».
Comment réagir à ce constat désespérant? En éduquant à la dissidence? En pénalisant plus durement et plus largement les actes inhumains commis par les "fantassins" des dictatures ? Il incombe au mouvement des droits de l'homme de réfléchir à cette "faille" (in)humaine qui ne semble guère avoir progressé au même rythme que le droit international.
Du moins, c’est ce qui ressort d’une nouvelle étude publiée par le Docteur Jerry Burger, de l’université de Santa Clara (Etats-Unis). Cinquante ans après la célèbre expérience réalisée par le professeur Stanley Milgram, de l’université de Yale, sur l’obéissance et la torture, Mr. Burger a testé dans son laboratoire le conformisme et le « devoir dû » face à des ordres qui imposent de faire souffrir des êtres humains.
Les résultats confirment qu’une majorité des personnes sont prêtes à pratiquer des sévices contre leurs semblables, alors que les victimes crient et se débattent.. Il suffit de les placer dans une situation où elles se sentent sous pression et surveillées par une autorité pour qu’elles acceptent de commettre, en toute connaissance de cause, des actes violents.
Ces hommes, insistent les chercheurs ne sont pas des monstres, mais des "hommes ordinaires".
« Même s’il est difficile de traduire ce type d’expérience dans le monde réel, explique le professeur Burger, elle pourrait expliquer pourquoi, lors de conflits, des gens prennent part à des actes de génocide ».
La BBC diffusera bientôt un reportage qui répète le test Milgram et débouche sur les mêmes résultats. Appelé à augmenter le voltage appliqué à une personne torturée, la plupart des participants obéissent. Pourquoi ? « Parce qu’ils s’identifient massivement au responsable de l’expérience, explique le Dr. Abigail San, et se laissent tellement absorber par l’objectif de la recherche qu’il ne leur reste plus de place pour se demander : mais qu’est-ce que j’en pense moralement ».
Comment réagir à ce constat désespérant? En éduquant à la dissidence? En pénalisant plus durement et plus largement les actes inhumains commis par les "fantassins" des dictatures ? Il incombe au mouvement des droits de l'homme de réfléchir à cette "faille" (in)humaine qui ne semble guère avoir progressé au même rythme que le droit international.
vendredi 19 décembre 2008
Cuba se moque de l'Union européenne
Ceux qui espéraient que le retrait de Fidel Castro coïncide avec une ouverture politique ne sont guère rassurés. Au moment où le Groupe de Rio, réuni dans la station balnéaire brésilienne de Costa do Sauipe, accueillait Raul Castro et intégrait Cuba en son sein, le Parlement européen, réuni à Strasbourg pour le 20e anniversaire des prix Sakharov, ne pouvait que constater l’immobilisme du régime. En dépit d’un respect scrupuleux des procédures règlementant l’octroi de visas, les lauréats cubains du Prix Sakharov, Oswaldo Paya et les Dames en blanc, n’ont pas reçu de permis de sortie. (Les lauréats ont été représentés à Strasbourg par Adam Mascaro Paya et Blanca Reyes, cette dernière exilée à Madrid).
Ce refus de La Havane est un défi lancé à l’Union européenne. Sous la pression du gouvernement socialiste espagnol, Bruxelles avait décidé en effet, en juillet dernier, de lever les sanctions imposées en 2003 à Cuba à la suite d’une vague d’arrestations sans précédent de journalistes et de dissidents.
L’UE, qui avait justifié cette levée des sanctions par sa volonté « d’encourager les premiers pas de Raul Castro sur le chemin de l’après Fidel », s’était engagée à surveiller de près l’évolution de la situation des libertés à Cuba. « La levée des sanctions nous donnera un moyen plus efficace de nous occuper des droits de l’homme », avait estimé le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères.
Force est de reconnaître que la nouvelle méthode européenne n’a pas eu les effets escomptés. La détente n’est pas à l’ordre du jour à Cuba. En refusant d’accorder des visas de sortie aux lauréats du prix européen le plus prestigieux, La Havane démontre que son interprétation de la levée des sanctions diffère radicalement de celle avancée par l’UE. .
Interdit de sortie, Oswaldo Paya, dirigeant du Mouvement chrétien libération (et vice-président de l’Internationale démocrate du centre présidée par l’ancien chef d’Etat mexicain Vicente Fox), (http://www.oswaldopaya.org/), a mis en garde l’Union européenne : « Si l’UE et ses Etats membres, menés par le gouvernement espagnol, continuent de réduire leurs exigences en matière de respect des droits de l’homme et, sous le prétexte du dialogue, de prendre leurs distances à l’égard de ceux qui défendent les droits de l’homme, cela ne servira qu’à voiler et justifier les violations des droits du peuple cubain ».
La Tchéquie, adversaire résolue du régime castriste, pourrait être tentée, au cours de sa prochaine présidence de l’UE, de remettre en cause l’engagement européen à l’égard de Cuba. A première vue, toutefois, une politique de durcissement pourrait sembler aller à contre-courant. L’Amérique latine plaide pour le « pluralisme » des régimes : à l’axe des « amis indéfectibles de la révolution cubaine » (Argentine, Bolivie, Equateur, Nicaragua, Paraguay), constitué autour du président vénézuélien Hugo Chavez, s’ajoute une série de pays beaucoup plus réticents à l’égard du régime, comme le Chili ou le Brésil, mais qui croient pouvoir faire d’une normalisation des relations avec La Havane un levier de l’ouverture politique.
Cuba est aujourd’hui moins isolée que lors de la crise économique des années 1990. Fort de l’appui que leur accorde le groupe de Rio, ayant renoué avec la Russie, commerçant avec la Chine, La Havane espère également que Barack Obama allègera les sanctions imposées par l’administration Bush, voire lèvera l’embargo (partiel) imposé il y a près de 50 ans.
Est-ce que cette décrispation aura pour conséquence une plus grande ouverture ou au contraire, donnera-t-elle confiance à un régime qui se fonde essentiellement sur le pouvoir militaire et le népotisme ? Les cérémonies du 50e anniversaire de la victoire castriste risquent de fournir l’occasion d’une réaffirmation de la « justesse du modèle castriste » et de dénonciation des dissidents comme autant de nostalgiques de l’Ancien Régime.
Cette question pour politologues et diplomates ne doit en aucun cas servir de prétexte à un oubli des droits de l’homme. L’ouverture cubaine ne se fera pas ou se fera dans de mauvaises conditions si les pays et les mouvements démocratiques n’appuient pas résolument les dissidents cubains, et en premier lieu ceux qui défendent une transition pacifique vers un système de libertés et de justice sociale. Ce qui est taxé d’ingérence par La Havane relève, en fait, du devoir de solidarité.
http://www.sakharovnetwork.rsfblog.org/
Ce refus de La Havane est un défi lancé à l’Union européenne. Sous la pression du gouvernement socialiste espagnol, Bruxelles avait décidé en effet, en juillet dernier, de lever les sanctions imposées en 2003 à Cuba à la suite d’une vague d’arrestations sans précédent de journalistes et de dissidents.
L’UE, qui avait justifié cette levée des sanctions par sa volonté « d’encourager les premiers pas de Raul Castro sur le chemin de l’après Fidel », s’était engagée à surveiller de près l’évolution de la situation des libertés à Cuba. « La levée des sanctions nous donnera un moyen plus efficace de nous occuper des droits de l’homme », avait estimé le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères.
Force est de reconnaître que la nouvelle méthode européenne n’a pas eu les effets escomptés. La détente n’est pas à l’ordre du jour à Cuba. En refusant d’accorder des visas de sortie aux lauréats du prix européen le plus prestigieux, La Havane démontre que son interprétation de la levée des sanctions diffère radicalement de celle avancée par l’UE. .
Interdit de sortie, Oswaldo Paya, dirigeant du Mouvement chrétien libération (et vice-président de l’Internationale démocrate du centre présidée par l’ancien chef d’Etat mexicain Vicente Fox), (http://www.oswaldopaya.org/), a mis en garde l’Union européenne : « Si l’UE et ses Etats membres, menés par le gouvernement espagnol, continuent de réduire leurs exigences en matière de respect des droits de l’homme et, sous le prétexte du dialogue, de prendre leurs distances à l’égard de ceux qui défendent les droits de l’homme, cela ne servira qu’à voiler et justifier les violations des droits du peuple cubain ».
La Tchéquie, adversaire résolue du régime castriste, pourrait être tentée, au cours de sa prochaine présidence de l’UE, de remettre en cause l’engagement européen à l’égard de Cuba. A première vue, toutefois, une politique de durcissement pourrait sembler aller à contre-courant. L’Amérique latine plaide pour le « pluralisme » des régimes : à l’axe des « amis indéfectibles de la révolution cubaine » (Argentine, Bolivie, Equateur, Nicaragua, Paraguay), constitué autour du président vénézuélien Hugo Chavez, s’ajoute une série de pays beaucoup plus réticents à l’égard du régime, comme le Chili ou le Brésil, mais qui croient pouvoir faire d’une normalisation des relations avec La Havane un levier de l’ouverture politique.
Cuba est aujourd’hui moins isolée que lors de la crise économique des années 1990. Fort de l’appui que leur accorde le groupe de Rio, ayant renoué avec la Russie, commerçant avec la Chine, La Havane espère également que Barack Obama allègera les sanctions imposées par l’administration Bush, voire lèvera l’embargo (partiel) imposé il y a près de 50 ans.
Est-ce que cette décrispation aura pour conséquence une plus grande ouverture ou au contraire, donnera-t-elle confiance à un régime qui se fonde essentiellement sur le pouvoir militaire et le népotisme ? Les cérémonies du 50e anniversaire de la victoire castriste risquent de fournir l’occasion d’une réaffirmation de la « justesse du modèle castriste » et de dénonciation des dissidents comme autant de nostalgiques de l’Ancien Régime.
Cette question pour politologues et diplomates ne doit en aucun cas servir de prétexte à un oubli des droits de l’homme. L’ouverture cubaine ne se fera pas ou se fera dans de mauvaises conditions si les pays et les mouvements démocratiques n’appuient pas résolument les dissidents cubains, et en premier lieu ceux qui défendent une transition pacifique vers un système de libertés et de justice sociale. Ce qui est taxé d’ingérence par La Havane relève, en fait, du devoir de solidarité.
http://www.sakharovnetwork.rsfblog.org/
jeudi 18 décembre 2008
Le scandale Madoff touche durement les ONG
L’affaire Madoff, cette escroquerie de 50 milliards de dollars, ne se limite aux grandes banques américaines et européennes qui ont commis l’imprudence de s’acoquiner avec cet alchimiste de la basse finance. Aujourd’hui, ce sont des dizaines d’organisations non-gouvernementales, parmi les plus prestigieuses et les plus engagées des Etats-Unis, qui sont touchées de plein fouet par l’effondrement de leurs placements financiers.
L’impact est tel que Bernard Madoff a été déclaré « ennemi public numéro 1 du progressisme » par le Daily Kos, l’un des blogs « libéraux » c’est-à-dire anti-ultralibéral, les plus influents des Etats-Unis. Une des fondations les plus actives dans le domaine des droits de l’Homme, JEHT (Justice, Equality, Human Dignity and Tolerance), qui était financée par la famille Levy-Church, victime des fonds Madoff, vient d’annoncer qu’elle devait fermer. La plupart des projets qu’elle avait appuyés sont dès lors directement menacés : parmi les ONG les plus touchées, les grandes associations américaines de défense des droits de l’Homme, Amnesty International USA, Human Rights Watch, Human Rights First, mais aussi des groupes environnementaux, des médias alternatifs, comme le Center for investigative reporting ou le Center for Public Integrity, qui organisait notamment le Consortium international des journalistes d’investigation.
L’impact est tel que Bernard Madoff a été déclaré « ennemi public numéro 1 du progressisme » par le Daily Kos, l’un des blogs « libéraux » c’est-à-dire anti-ultralibéral, les plus influents des Etats-Unis. Une des fondations les plus actives dans le domaine des droits de l’Homme, JEHT (Justice, Equality, Human Dignity and Tolerance), qui était financée par la famille Levy-Church, victime des fonds Madoff, vient d’annoncer qu’elle devait fermer. La plupart des projets qu’elle avait appuyés sont dès lors directement menacés : parmi les ONG les plus touchées, les grandes associations américaines de défense des droits de l’Homme, Amnesty International USA, Human Rights Watch, Human Rights First, mais aussi des groupes environnementaux, des médias alternatifs, comme le Center for investigative reporting ou le Center for Public Integrity, qui organisait notamment le Consortium international des journalistes d’investigation.
samedi 13 décembre 2008
Les aveugles volontaires
Dans son livre La Raison assiégiée, Al Gore revient sur le refus de la majeure partie des institutions américaines, et en premier lieu du Congrès et de la presse, de regarder en face les informations qui, en 2003, contredisaient la logique de guerre dans laquelle s’engageait l’administration Bush. Réfléchissant au chaos irakien l’ancien vice-président démocrate s’exclamait : « et pourtant, on disposait au moment crucial de tous les faits et arguments dont on avait besoin pour prendre la bonne décision».
La même volonté de ne pas savoir avait sévi lors des mois qui précédèrent la furie génocidaire du Rwanda. Malgré les reportages de journalistes décrivant l’ambiance délétère qui régnait à Kigali et l’impunité des journalistes qui attisaient la haine contre les Tutsis, malgré les mises en garde d’organisations de défense des droits de l’homme, les avertissements de l’ambassadeur belge et de Romeo Dallaire, commandant du contingent de la MINUAR, les gouvernements directement concernés et le secrétariat des Nations unies décidèrent de fermer les yeux et de se boucher les oreilles.
La Colombie oubliée
La liste est déjà longue des crises que l’on ne voulait pas voir et qui, brusquement, explosent au visage des aveugles volontaires. Malheureusement, elle n’est pas près d’être close. La Colombie nous offre depuis des mois un nouvel exemple de cette politique des œillères à laquelle s’adonnent trop souvent les démocraties occidentales.
La focalisation de toute l’information sur la séquestration d’Ingrid Betancourt a conduit, en effet, nombre d’observateurs à poser à un regard borgne sur la réalité colombienne, comme si les paléo-marxistes des FARC étaient la seule malédiction de ce pays.
Aujourd’hui, après la libération tant espérée de la célèbre politicienne franco-colombienne, d’autres informations surgissent, comme celles qui touchent aux paramilitaires ou aux exactions commises par les forces armées colombiennes. Certains, en Europe, font mine de « découvrir » que l’entourage du gouvernement colombien Alvaro Uribe était gangrené par le para-militarisme, cette nébuleuse de groupes armés d’extrême droite coupables de massacres d’une brutalité hallucinée et impliqués jusqu’au cou dans les spoliations de terres et le trafic international de stupéfiants. Certains réagissent comme s’ils prenaient pour la première fois toute la mesure de l’implication de l’armée colombienne dans la violence qui ravage le pays de Gabriel Garcia Marquez.
« J’ignorais tout de ces connivences », m’avouait un diplomate européen d’habitude très bien informé. Et pourtant, comme le disait Al Gore à propos de l’Irak, on disposait, en temps utile, de tous les faits et arguments dont on avait besoin pour prendre la bonne décision. Un regard même fugace sur les sites des organisations de défense des droits de l’Homme, une lecture même distraite du chapitre consacré à la Colombie dans le rapport annuel du Bureau of Human Rights du Département d’Etat, auraient suffi à susciter les doutes nécessaires. Le para-militarisme n’était pas une dérive criminelle de groupes incontrôlés, mais bien une politique terroriste parrainée de l’intérieur même de l’Etat.
Malgré cela, l’Union européenne continue d’accorder sa caution politique au régime d’Uribe. « Il a fait chuter l’insécurité , il a été réélu massivement et démocratiquement, nous confiait ce fonctionnaire, qui ajoutait : « le peuple colombien, de toutes façons, appuie les paramilitaires ». Le fait que le peuple allemand appuyait les SA ne les rendait pas moins coupables…
Kouchner dérape
Le moment est une nouvelle fois venu de tester le sérieux du discours de l’Occident sur la démocratie et les droits humains. Dans un brillant essai sur « le monde de demain » (Guerre ou Paix, Grasset, 2007), Laurent Cohen-Tanugi décrit l’émergence d’une nouvelle architecture mondiale au sein de laquelle les valeurs occidentales et l’universalisme risquent d’être marginalisées. Même si l’attachement de l’Europe et des Etats-Unis à leur rôle de « sentinelles de la liberté » a été relatif et aléatoire, cet héritage des Lumières doit être considéré comme un atout et non comme un handicap. Face à la brutalité des rapports de force internationaux, la tentation est grande en effet de se battre avec les armes de l’adversaire et d’abandonner aux seuls ONG les « gentillesses et les naïvetés » de la diplomatie des droits de l’Homme.
« L’aspiration mondiale à la dignité humaine est le défi central de l’éveil politique global, écrit Zbigniew Brzezinksi, ancien conseiller national de sécurité sous Jimmy Carter (1977-1981). Pour ce géopoliticien peu suspect d’irénisme, les Etats-Unis auront une « deuxième chance » s’ils élèvent les droits de l’homme au rang de « priorité globale ».
Ce n’est pas ce que pense « l’homme politique le plus aimé de France », Bernard Kouchner. Pour le ministre des relations extérieures, interviewé le 10 décembre par Le Parisien, il n’y a pas de place pour les droits de l’homme dans la diplomatie. La création du secrétariat aux Droits de l’Homme confié à Rama Yade, « était une erreur ». « C’est un retour effrayant à la Realpolitik », s’est exclamé Stephan Oberreit, directeur d’Amnesty International France.
L’Europe, les Etats-Unis et les démocraties du Sud ne peuvent espérer garder leur place dans cette planète en mouvement qu’en renforçant des valeurs que, trop souvent, ils bradent, mais qui continuent à inspirer partout dans le monde ceux qui veulent sortir du désastre annoncé par l’explosion des identités meurtrières et la prolifération des ambitions nationalistes, ethniques ou religieuses.
La même volonté de ne pas savoir avait sévi lors des mois qui précédèrent la furie génocidaire du Rwanda. Malgré les reportages de journalistes décrivant l’ambiance délétère qui régnait à Kigali et l’impunité des journalistes qui attisaient la haine contre les Tutsis, malgré les mises en garde d’organisations de défense des droits de l’homme, les avertissements de l’ambassadeur belge et de Romeo Dallaire, commandant du contingent de la MINUAR, les gouvernements directement concernés et le secrétariat des Nations unies décidèrent de fermer les yeux et de se boucher les oreilles.
La Colombie oubliée
La liste est déjà longue des crises que l’on ne voulait pas voir et qui, brusquement, explosent au visage des aveugles volontaires. Malheureusement, elle n’est pas près d’être close. La Colombie nous offre depuis des mois un nouvel exemple de cette politique des œillères à laquelle s’adonnent trop souvent les démocraties occidentales.
La focalisation de toute l’information sur la séquestration d’Ingrid Betancourt a conduit, en effet, nombre d’observateurs à poser à un regard borgne sur la réalité colombienne, comme si les paléo-marxistes des FARC étaient la seule malédiction de ce pays.
Aujourd’hui, après la libération tant espérée de la célèbre politicienne franco-colombienne, d’autres informations surgissent, comme celles qui touchent aux paramilitaires ou aux exactions commises par les forces armées colombiennes. Certains, en Europe, font mine de « découvrir » que l’entourage du gouvernement colombien Alvaro Uribe était gangrené par le para-militarisme, cette nébuleuse de groupes armés d’extrême droite coupables de massacres d’une brutalité hallucinée et impliqués jusqu’au cou dans les spoliations de terres et le trafic international de stupéfiants. Certains réagissent comme s’ils prenaient pour la première fois toute la mesure de l’implication de l’armée colombienne dans la violence qui ravage le pays de Gabriel Garcia Marquez.
« J’ignorais tout de ces connivences », m’avouait un diplomate européen d’habitude très bien informé. Et pourtant, comme le disait Al Gore à propos de l’Irak, on disposait, en temps utile, de tous les faits et arguments dont on avait besoin pour prendre la bonne décision. Un regard même fugace sur les sites des organisations de défense des droits de l’Homme, une lecture même distraite du chapitre consacré à la Colombie dans le rapport annuel du Bureau of Human Rights du Département d’Etat, auraient suffi à susciter les doutes nécessaires. Le para-militarisme n’était pas une dérive criminelle de groupes incontrôlés, mais bien une politique terroriste parrainée de l’intérieur même de l’Etat.
Malgré cela, l’Union européenne continue d’accorder sa caution politique au régime d’Uribe. « Il a fait chuter l’insécurité , il a été réélu massivement et démocratiquement, nous confiait ce fonctionnaire, qui ajoutait : « le peuple colombien, de toutes façons, appuie les paramilitaires ». Le fait que le peuple allemand appuyait les SA ne les rendait pas moins coupables…
Kouchner dérape
Le moment est une nouvelle fois venu de tester le sérieux du discours de l’Occident sur la démocratie et les droits humains. Dans un brillant essai sur « le monde de demain » (Guerre ou Paix, Grasset, 2007), Laurent Cohen-Tanugi décrit l’émergence d’une nouvelle architecture mondiale au sein de laquelle les valeurs occidentales et l’universalisme risquent d’être marginalisées. Même si l’attachement de l’Europe et des Etats-Unis à leur rôle de « sentinelles de la liberté » a été relatif et aléatoire, cet héritage des Lumières doit être considéré comme un atout et non comme un handicap. Face à la brutalité des rapports de force internationaux, la tentation est grande en effet de se battre avec les armes de l’adversaire et d’abandonner aux seuls ONG les « gentillesses et les naïvetés » de la diplomatie des droits de l’Homme.
« L’aspiration mondiale à la dignité humaine est le défi central de l’éveil politique global, écrit Zbigniew Brzezinksi, ancien conseiller national de sécurité sous Jimmy Carter (1977-1981). Pour ce géopoliticien peu suspect d’irénisme, les Etats-Unis auront une « deuxième chance » s’ils élèvent les droits de l’homme au rang de « priorité globale ».
Ce n’est pas ce que pense « l’homme politique le plus aimé de France », Bernard Kouchner. Pour le ministre des relations extérieures, interviewé le 10 décembre par Le Parisien, il n’y a pas de place pour les droits de l’homme dans la diplomatie. La création du secrétariat aux Droits de l’Homme confié à Rama Yade, « était une erreur ». « C’est un retour effrayant à la Realpolitik », s’est exclamé Stephan Oberreit, directeur d’Amnesty International France.
L’Europe, les Etats-Unis et les démocraties du Sud ne peuvent espérer garder leur place dans cette planète en mouvement qu’en renforçant des valeurs que, trop souvent, ils bradent, mais qui continuent à inspirer partout dans le monde ceux qui veulent sortir du désastre annoncé par l’explosion des identités meurtrières et la prolifération des ambitions nationalistes, ethniques ou religieuses.
vendredi 5 décembre 2008
Un anniversaire négligé
La date semble presque oubliée comme si son évocation gênait. Le 9 décembre 1948, à la veille de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, l’Assemblée générale des Nations unies adoptait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Le mot désignant le « crime parmi les crimes », la volonté d’exterminer un peuple ou une nation, avait été créé par Raphael Lemkin, un juriste juif polonais qui avait perdu 40 membres de sa famille dans l’Holocauste. Sa volonté de « nommer » ce crime de lèse-humanité était née bien plus tôt, lorsque, encore adolescent, il avait pris connaissance des atrocités perpétrées par les autorités ottomanes contre la communauté arménienne d’Anatolie. Près d’un million de personnes avaient été massacrées. Malgré l’indignation de diplomates, de missionnaires et de journalistes européens et américains qui assistèrent, impuissants, à l’extermination d’un peuple, et qui plaidèrent en vain pour l’intervention des armées occidentales.
Qui se souvient encore du massacre des Arméniens ?, se serait exclamé Hitler, lorsqu’il mit en œuvre la Shoah, la destruction des Juifs d’Europe.
Passivité
La date semble gêner, disais-je en début d’article. Oui, elle gêne parce que l’histoire de la Convention est celle de son non-respect. Confrontée à la réalité du génocide, la communauté internationale a couvert ses oreilles et détourné les yeux. Depuis 1948, des millions de personnes, membres de communautés désignées comme cibles par des gouvernements assassins, sont mortes au su et parfois au vu de tous. Biafra, Cambodge, Bosnie, Rwanda, Darfour: des massacres de masse se sont déroulés alors que les grands dirigeants du monde promettaient : « plus jamais ça ».
Aujourd’hui, alors que des populations civiles sont massacrées, que des femmes sont violées dans le cadre d’une politique de destruction collective, du Darfour à l’Est du Congo, la célébration de la Convention mériterait davantage qu’une simple mention avant que ne s’ouvrent les cérémonies d’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Le mot désignant le « crime parmi les crimes », la volonté d’exterminer un peuple ou une nation, avait été créé par Raphael Lemkin, un juriste juif polonais qui avait perdu 40 membres de sa famille dans l’Holocauste. Sa volonté de « nommer » ce crime de lèse-humanité était née bien plus tôt, lorsque, encore adolescent, il avait pris connaissance des atrocités perpétrées par les autorités ottomanes contre la communauté arménienne d’Anatolie. Près d’un million de personnes avaient été massacrées. Malgré l’indignation de diplomates, de missionnaires et de journalistes européens et américains qui assistèrent, impuissants, à l’extermination d’un peuple, et qui plaidèrent en vain pour l’intervention des armées occidentales.
Qui se souvient encore du massacre des Arméniens ?, se serait exclamé Hitler, lorsqu’il mit en œuvre la Shoah, la destruction des Juifs d’Europe.
Passivité
La date semble gêner, disais-je en début d’article. Oui, elle gêne parce que l’histoire de la Convention est celle de son non-respect. Confrontée à la réalité du génocide, la communauté internationale a couvert ses oreilles et détourné les yeux. Depuis 1948, des millions de personnes, membres de communautés désignées comme cibles par des gouvernements assassins, sont mortes au su et parfois au vu de tous. Biafra, Cambodge, Bosnie, Rwanda, Darfour: des massacres de masse se sont déroulés alors que les grands dirigeants du monde promettaient : « plus jamais ça ».
Aujourd’hui, alors que des populations civiles sont massacrées, que des femmes sont violées dans le cadre d’une politique de destruction collective, du Darfour à l’Est du Congo, la célébration de la Convention mériterait davantage qu’une simple mention avant que ne s’ouvrent les cérémonies d’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
dimanche 30 novembre 2008
Obama en Amérique latine: vers une politique du bon voisinage?
Après 8 années d’une calamiteuse administration Bush, Barack Obama n’hérite pas seulement de deux guerres, en Irak et en Afghanistan, et d’une crise économique et financière majeure. L’accostage, le 25 novembre, d’une flotte militaire russe dans le port de La Guaira, près de Caracas, donne une idée des défis qui attendent le président Barack Obama, dans son jardin arrière, au sud du Rio Grande, la frontière qui sépare les-Unis du Mexique.
Obsédé par la guerre contre la terreur, George Bush avait largement négligé l’Amérique latine. Sa politique à l’égard de ce continent considéré depuis la déclaration Monroe de 1823 (L’Amérique aux Américains) comme une chasse gardée des Etats-Unis, s’était limitée à appuyer le président colombien Uribe et à tenter, très malhabilement, de « sortir » Hugo Chavez de son palais de Miraflores.
Washington a perdu une bonne part de son influence. Le passage à gauche de la moitié du continent a traduit une profonde remise en cause de la politique néolibérale qui avait dominé les années 80 et 90. La crise financière actuelle, dont les répercussions commencent à se faire sentir du Mexique à l’Argentine, n’a fait qu’aggraver ce rejet du « consensus de Washington » et renforcer le sentiment que les "gringos", une nouvelle fois, sont les premiers responsables du malheur latino-américain.
Plusieurs pays de la région ont adopté une politique extérieure indépendante de celle des Etats-Unis. Le Brésil bâtit peu à peu son « pôle d’influence », en lien avec les autres nations émergentes comme l’Inde ou la Chine. Tandis que Lula, calmement, sobrement, se pose en rival à long terme des Etats-Unis, d’autres, Hugo Chavez en tête, ont carrément choisi l’hostilité et courtisent les «ennemis de l’Amérique », la Russie, la Biélorussie, l’Iran…
Sur le plan international, la Chine et la Russie profitent de l’absence américaine pour avancer leurs pions économiques et stratégiques dans la région. Les échanges commerciaux ont quadruplé entre la Chine et l’Amérique latine depuis 2000 et les accords à caractère militaire ou sensible, notamment dans le domaine nucléaire, se multiplient, en particulier avec la Russie.
Que pourra faire Barack Obama ? Pourra-t-il, à l’image de Franklin Roosevelt dans les années 30, proposer une « politique du bon voisinage » ? Le futur président bénéficie d’un énorme capital de sympathie en Amérique latine, mais les tendances lourdes risquent de très vite l’entamer. La crise qui frappe les Etats-Unis risque de se traduire par des restrictions de l’immigration, par la chute des transferts, de ces fameuses remesas qui, dans certains pays, constituent l’une des principales ressources en devises et la bouée de sauvetage de millions de familles. Elle risque aussi de provoquer une diminution des prix des matières premières, dont l’Amérique latine dépend encore trop largement.
La chute du pétrole réduit, certes, la capacité d’influence de Hugo Chavez, qui avait pratiqué une pétro-démocratie très active pour appuyer ses partisans du Nicaragua à Cuba, de la Bolivie à l’Argentine, mais elle pourrait saper encore davantage le modèle néolibéral et libre échangiste et attiser la volonté de l’Amérique latine de faire cavalier seul, de revendiquer un « nouvel ordre économique mondial et de s’affronter aux Etats-Unis…et à l’Union européenne.
Obsédé par la guerre contre la terreur, George Bush avait largement négligé l’Amérique latine. Sa politique à l’égard de ce continent considéré depuis la déclaration Monroe de 1823 (L’Amérique aux Américains) comme une chasse gardée des Etats-Unis, s’était limitée à appuyer le président colombien Uribe et à tenter, très malhabilement, de « sortir » Hugo Chavez de son palais de Miraflores.
Washington a perdu une bonne part de son influence. Le passage à gauche de la moitié du continent a traduit une profonde remise en cause de la politique néolibérale qui avait dominé les années 80 et 90. La crise financière actuelle, dont les répercussions commencent à se faire sentir du Mexique à l’Argentine, n’a fait qu’aggraver ce rejet du « consensus de Washington » et renforcer le sentiment que les "gringos", une nouvelle fois, sont les premiers responsables du malheur latino-américain.
Plusieurs pays de la région ont adopté une politique extérieure indépendante de celle des Etats-Unis. Le Brésil bâtit peu à peu son « pôle d’influence », en lien avec les autres nations émergentes comme l’Inde ou la Chine. Tandis que Lula, calmement, sobrement, se pose en rival à long terme des Etats-Unis, d’autres, Hugo Chavez en tête, ont carrément choisi l’hostilité et courtisent les «ennemis de l’Amérique », la Russie, la Biélorussie, l’Iran…
Sur le plan international, la Chine et la Russie profitent de l’absence américaine pour avancer leurs pions économiques et stratégiques dans la région. Les échanges commerciaux ont quadruplé entre la Chine et l’Amérique latine depuis 2000 et les accords à caractère militaire ou sensible, notamment dans le domaine nucléaire, se multiplient, en particulier avec la Russie.
Que pourra faire Barack Obama ? Pourra-t-il, à l’image de Franklin Roosevelt dans les années 30, proposer une « politique du bon voisinage » ? Le futur président bénéficie d’un énorme capital de sympathie en Amérique latine, mais les tendances lourdes risquent de très vite l’entamer. La crise qui frappe les Etats-Unis risque de se traduire par des restrictions de l’immigration, par la chute des transferts, de ces fameuses remesas qui, dans certains pays, constituent l’une des principales ressources en devises et la bouée de sauvetage de millions de familles. Elle risque aussi de provoquer une diminution des prix des matières premières, dont l’Amérique latine dépend encore trop largement.
La chute du pétrole réduit, certes, la capacité d’influence de Hugo Chavez, qui avait pratiqué une pétro-démocratie très active pour appuyer ses partisans du Nicaragua à Cuba, de la Bolivie à l’Argentine, mais elle pourrait saper encore davantage le modèle néolibéral et libre échangiste et attiser la volonté de l’Amérique latine de faire cavalier seul, de revendiquer un « nouvel ordre économique mondial et de s’affronter aux Etats-Unis…et à l’Union européenne.
mercredi 26 novembre 2008
Obama: l'opportunité d'une nouvelle politique des droits de l'homme
L’administration Bush termine son contrat de bail à la Maison blanche sur une faillite économique. Mais la crise dans laquelle s’enfoncent les Etats-Unis ne doit pas faire oublier que ces huit dernières années ont été tout autant une banqueroute éthique. Si presque tout le monde peste aujourd’hui contre l’irresponsabilité des autorités de (dé)régulation financière américaines, il n’en reste pas moins que l’impopularité qui accablait jusqu’ici les Etats-Unis provenait essentiellement de leur politique étrangère.
Les mensonges de la guerre en Irak, les photos de torture d’Abou Ghraib, la prison de Guantanamo, les vols secrets de la CIA, le refus de participer aux institutions internationales comme la Cour pénale internationale à La Haye ou le Conseil des droits de l’Homme à Genève, ont gravement ébréché la réputation des Etats-Unis et leur prétention d’être un phare de la démocratie et des libertés.
Quel sera l’impact de la crise économique sur la politique internationale des Etats-Unis ? Certains estiment que la politique des droits de l’homme offre au futur président Obama l’un des seuls fronts sur lesquels il peut clairement marquer sa différence. Fermer la prison de Guantanamo, comme il s’y est à plusieurs reprises engagé, restaurer les garanties constitutionnelles, interdire la torture en toutes circonstances, renouer avec les institutions des droits de l’homme des Nations unies :toutes ces mesures sont relativement indolores et bon marché. Elles pourraient, toutefois, démontrer aux Américains et au reste du monde que l’ère Bush est terminée et que les Etats-Unis redeviennent un citoyen du monde respectueux des lois et des conventions internationales.
Oui, mais les organisations de défense des droits de l’homme, comme Human Rights Watch et Amnesty International, attendent bien davantage du nouveau président. Ils ont lu attentivement ses livres et ses discours de campagne et ils en ont tiré la conclusion qu’il fallait demander à Barack Obama de faire des droits de l’homme un « pilier central de la politique, intérieure et extérieure, américaine ».
Pas de retour au "clintonisme"
Ces organisations, dont beaucoup de militants et sympathisants se sont mobilisés pour le « candidat du changement », ne se contenteront pas d’un simple retour au statu quo, c’est-à-dire d’une version actualisée des années Clinton. Elles espèrent, en particulier, que l’administration démocrate défendra beaucoup plus résolument le principe de la « responsabilité de protéger » et qu’elle exprimera davantage ses réticences à l’encontre des régimes autoritaires, et en particulier de ceux qui se situent dans la camp occidental, comme l’Egypte ou la Colombie.
L’engagement de Barack Obama pour les droits de l’homme risque d’être sapé par l’urgence de la crise économique. Le spectre de la dépression « a changé le changement » et modifié le slogan « yes we can » en « yes we’ll do what we can ». L’attention du nouveau Président sera absorbée par la nécessité de rétablir les grands équilibres économiques et cette volonté de calmer le jeu imposera de négocier avec des pays-clés comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, très réticents à l’idée d’une « ingérence » des Etats-Unis dans le domaine des droits de l’homme.
Les contraintes de l’économie risquent, par ailleurs, de restreindre la marge de manœuvre de l’administration dans ses relations avec les pays producteurs de pétrole ou détenteurs de bons du Trésor américains, particulièrement dans le monde arabe ou en Asie centrale.
Les répercussions de la crise économiques se feront également sentir dans le domaine de la sécurité nationale. Selon le directeur des renseignements nationaux aux Etats-Unis, Mike McConnell, les tendances qui se dessinaient depuis un certain temps déjà – instabilité régionale, perte d’influence de l’Occident – « sont accélérées par la crise financière globale ». L’Economist Intelligence Unit prévoit de son côté que si la crise financière débouche sur une récession prolongée, elle renforcera l’attrait du modèle du capitalisme autoritaire à la chinoise et 48 pays connaîtront des risques très élevés de troubles sociaux ». « L’arrêt observé dans la vague démocratique pourrait se transformer en retraite », prévient l’agence de renseignement de la revue The Economist.
Etats faillis
Ces dernières semaines, le monde a pu se rendre compte du danger que représentent les « crises oubliées ». L’effondrement d’Etats apparemment dénués de toute importance économique a des conséquences globales. La piraterie navale au large des côtes de la Somalie lance un défi à l’ensemble du commerce mondial et insécurise le marché pétrolier. L’explosion de narco-violence au Mexique menace de transformer ce pays en un « nid de guêpes » pour les Etats-Unis et l’Amérique centrale.
La crise économique porte en elle un accroissement des risques d’instabilité et de terrorisme. Au Pakistan, un pays confronté à des rebellions violentes et à la misère, « une crise économique, note Joby Warrick, du Washington Post, pourrait déclencher une période d’instabilité généralisée qui renforcerait les extrémistes et menacerait le gouvernement démocratiquement élu, avec des conséquences potentiellement graves pour la région et peut-être pour la planète tout entière ». Le Pakistan a des dents nucléaires…
Insécurité et liberté
Ces dernières semaines, la plupart des services de renseignement ont rehaussé leur niveau d’alerte car tout indique que les réseaux terroristes voient dans la crise économique une preuve de vulnérabilité de l’Occident. « La propagande d’Al-Qaeda, note Bruce Hoffman, professeur à l’Université Georgetown (Washington) et ancien intellectuel de la CIA, proclame que l’économie américaine est au bord du précipice et que c’est la forces des Jihadistes qui l’y précipitera ».
Or, le sentiment d’insécurité est rarement une bonne nouvelle pour les libertés. La « politique de la peur » correspond souvent à l’adoption de mesures qui, au nom de l’intérêt national ou de l’urgence, font des droits de l’homme une note de bas de page de l’action gouvernementale.
C’est le défi d’Obama : prendre le contrepied de la politique adoptée par George Bush après les attentats du 11 septembre en démontrant qu’une politique attachée au respect des droits de l’homme et favorable à la coopération internationale est bien plus efficace que l’unilatéralisme et l’exemptionalisme.
Les mensonges de la guerre en Irak, les photos de torture d’Abou Ghraib, la prison de Guantanamo, les vols secrets de la CIA, le refus de participer aux institutions internationales comme la Cour pénale internationale à La Haye ou le Conseil des droits de l’Homme à Genève, ont gravement ébréché la réputation des Etats-Unis et leur prétention d’être un phare de la démocratie et des libertés.
Quel sera l’impact de la crise économique sur la politique internationale des Etats-Unis ? Certains estiment que la politique des droits de l’homme offre au futur président Obama l’un des seuls fronts sur lesquels il peut clairement marquer sa différence. Fermer la prison de Guantanamo, comme il s’y est à plusieurs reprises engagé, restaurer les garanties constitutionnelles, interdire la torture en toutes circonstances, renouer avec les institutions des droits de l’homme des Nations unies :toutes ces mesures sont relativement indolores et bon marché. Elles pourraient, toutefois, démontrer aux Américains et au reste du monde que l’ère Bush est terminée et que les Etats-Unis redeviennent un citoyen du monde respectueux des lois et des conventions internationales.
Oui, mais les organisations de défense des droits de l’homme, comme Human Rights Watch et Amnesty International, attendent bien davantage du nouveau président. Ils ont lu attentivement ses livres et ses discours de campagne et ils en ont tiré la conclusion qu’il fallait demander à Barack Obama de faire des droits de l’homme un « pilier central de la politique, intérieure et extérieure, américaine ».
Pas de retour au "clintonisme"
Ces organisations, dont beaucoup de militants et sympathisants se sont mobilisés pour le « candidat du changement », ne se contenteront pas d’un simple retour au statu quo, c’est-à-dire d’une version actualisée des années Clinton. Elles espèrent, en particulier, que l’administration démocrate défendra beaucoup plus résolument le principe de la « responsabilité de protéger » et qu’elle exprimera davantage ses réticences à l’encontre des régimes autoritaires, et en particulier de ceux qui se situent dans la camp occidental, comme l’Egypte ou la Colombie.
L’engagement de Barack Obama pour les droits de l’homme risque d’être sapé par l’urgence de la crise économique. Le spectre de la dépression « a changé le changement » et modifié le slogan « yes we can » en « yes we’ll do what we can ». L’attention du nouveau Président sera absorbée par la nécessité de rétablir les grands équilibres économiques et cette volonté de calmer le jeu imposera de négocier avec des pays-clés comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, très réticents à l’idée d’une « ingérence » des Etats-Unis dans le domaine des droits de l’homme.
Les contraintes de l’économie risquent, par ailleurs, de restreindre la marge de manœuvre de l’administration dans ses relations avec les pays producteurs de pétrole ou détenteurs de bons du Trésor américains, particulièrement dans le monde arabe ou en Asie centrale.
Les répercussions de la crise économiques se feront également sentir dans le domaine de la sécurité nationale. Selon le directeur des renseignements nationaux aux Etats-Unis, Mike McConnell, les tendances qui se dessinaient depuis un certain temps déjà – instabilité régionale, perte d’influence de l’Occident – « sont accélérées par la crise financière globale ». L’Economist Intelligence Unit prévoit de son côté que si la crise financière débouche sur une récession prolongée, elle renforcera l’attrait du modèle du capitalisme autoritaire à la chinoise et 48 pays connaîtront des risques très élevés de troubles sociaux ». « L’arrêt observé dans la vague démocratique pourrait se transformer en retraite », prévient l’agence de renseignement de la revue The Economist.
Etats faillis
Ces dernières semaines, le monde a pu se rendre compte du danger que représentent les « crises oubliées ». L’effondrement d’Etats apparemment dénués de toute importance économique a des conséquences globales. La piraterie navale au large des côtes de la Somalie lance un défi à l’ensemble du commerce mondial et insécurise le marché pétrolier. L’explosion de narco-violence au Mexique menace de transformer ce pays en un « nid de guêpes » pour les Etats-Unis et l’Amérique centrale.
La crise économique porte en elle un accroissement des risques d’instabilité et de terrorisme. Au Pakistan, un pays confronté à des rebellions violentes et à la misère, « une crise économique, note Joby Warrick, du Washington Post, pourrait déclencher une période d’instabilité généralisée qui renforcerait les extrémistes et menacerait le gouvernement démocratiquement élu, avec des conséquences potentiellement graves pour la région et peut-être pour la planète tout entière ». Le Pakistan a des dents nucléaires…
Insécurité et liberté
Ces dernières semaines, la plupart des services de renseignement ont rehaussé leur niveau d’alerte car tout indique que les réseaux terroristes voient dans la crise économique une preuve de vulnérabilité de l’Occident. « La propagande d’Al-Qaeda, note Bruce Hoffman, professeur à l’Université Georgetown (Washington) et ancien intellectuel de la CIA, proclame que l’économie américaine est au bord du précipice et que c’est la forces des Jihadistes qui l’y précipitera ».
Or, le sentiment d’insécurité est rarement une bonne nouvelle pour les libertés. La « politique de la peur » correspond souvent à l’adoption de mesures qui, au nom de l’intérêt national ou de l’urgence, font des droits de l’homme une note de bas de page de l’action gouvernementale.
C’est le défi d’Obama : prendre le contrepied de la politique adoptée par George Bush après les attentats du 11 septembre en démontrant qu’une politique attachée au respect des droits de l’homme et favorable à la coopération internationale est bien plus efficace que l’unilatéralisme et l’exemptionalisme.
jeudi 30 octobre 2008
Autriche: une "Adolf" assemblée
Le télescopage est saisissant. Au moment où j’entamais ce matin la lecture d’un dossier spécial du Vif/L’Express sur la traque des derniers nazis, Le Soir m’annonçait que les parlementaires autrichiens avaient élu un néo-nazi à la vice-présidence de leur auguste, pardon, de leur Adolf, assemblée.
Martin Graf, note Le Soir, « appartient depuis sa prime jeunesse à la sinistre Olympia, une Burgenschaft (corporation) nostalgique du Troisième Reich, « pangermaniste, antisémite et négationniste ».
S’il a été élu, c’est grâce aux votes des démocrates chrétiens et des socialistes. Ceux qui connaissent l’histoire se rappelleront que les démocrates-chrétiens allemands ouvrirent la voie à Hitler en 1933. Et que le chancelier démocrate-chrétien Schlüssel avait fait alliance avec Haider.
Mais cette fois, les socialistes se sont mis de la partie et n’ont pas donné de consigne de vote à leurs parlementaires…
Seuls les Verts ont protesté. Et quelques intellectuels et journalistes, dont Der Standard, un des espaces de raison et de liberté dans ce pays qui décidément n’arrive pas à se débarrasser de ses vieilles frusques nazies.
Dans le fond, l’Autriche, c’est où ? Ce pays qui a déjà réussi à presque nous faire croire qu’Adolf Hitler était né allemand et que Beethoven était né autrichien se trouve au centre géographique de l’Europe, au point de nous faire craindre qu’il est proche, très proche, du cœur, de l’âme de l’Europe.
Rassurez-nous, vous qui nous parlez toujours des valeurs européennes, vous les chefs d’Etat et les commissaires européens.
Rassurez-nous : scandalisez-vous. Mais le Parlement européen n’est-il pas dominé par les forces politiques, démocrates-chrétiennes et socialistes, qui ont rendu l’ignominie autrichienne possible ?
Si Barack Obama est élu président des Etats-Unis, cette Europe-là, celle des néonazis en costume-cravate et de leurs « idiots utiles », démocrates-chrétiens défroqués et sociaux-démocrates dévoyés, va prendre un terrible coup de vieux.
C’est ainsi que l’on assassine le rêve européen, bien plus définitivement, bien plus dangereusement, que le refus du traité de Lisbonne.
Martin Graf, note Le Soir, « appartient depuis sa prime jeunesse à la sinistre Olympia, une Burgenschaft (corporation) nostalgique du Troisième Reich, « pangermaniste, antisémite et négationniste ».
S’il a été élu, c’est grâce aux votes des démocrates chrétiens et des socialistes. Ceux qui connaissent l’histoire se rappelleront que les démocrates-chrétiens allemands ouvrirent la voie à Hitler en 1933. Et que le chancelier démocrate-chrétien Schlüssel avait fait alliance avec Haider.
Mais cette fois, les socialistes se sont mis de la partie et n’ont pas donné de consigne de vote à leurs parlementaires…
Seuls les Verts ont protesté. Et quelques intellectuels et journalistes, dont Der Standard, un des espaces de raison et de liberté dans ce pays qui décidément n’arrive pas à se débarrasser de ses vieilles frusques nazies.
Dans le fond, l’Autriche, c’est où ? Ce pays qui a déjà réussi à presque nous faire croire qu’Adolf Hitler était né allemand et que Beethoven était né autrichien se trouve au centre géographique de l’Europe, au point de nous faire craindre qu’il est proche, très proche, du cœur, de l’âme de l’Europe.
Rassurez-nous, vous qui nous parlez toujours des valeurs européennes, vous les chefs d’Etat et les commissaires européens.
Rassurez-nous : scandalisez-vous. Mais le Parlement européen n’est-il pas dominé par les forces politiques, démocrates-chrétiennes et socialistes, qui ont rendu l’ignominie autrichienne possible ?
Si Barack Obama est élu président des Etats-Unis, cette Europe-là, celle des néonazis en costume-cravate et de leurs « idiots utiles », démocrates-chrétiens défroqués et sociaux-démocrates dévoyés, va prendre un terrible coup de vieux.
C’est ainsi que l’on assassine le rêve européen, bien plus définitivement, bien plus dangereusement, que le refus du traité de Lisbonne.
dimanche 26 octobre 2008
Idéologies toxiques et pensées molle
Cet article publié dans Le Soir du 7 octobre a suscité pas mal de réactions, aussi bien à droite qu'à gauche. Pour ceux qui l'auraient raté.
L’ultralibéralisme est le grand perdant du Katrina financier qui a rompu les digues de Wall Street. Parce qu’il en est le grand responsable. Tous ceux qui dans les années 1980 applaudirent la Révolution conservatrice reaganienne, sa rage détaxatoire, sa dérégulation effrénée et sa célébration des privilèges, sont aujourd’hui mis au pilori. Avec raison. Cette idéologie était toxique.
Mais ces ultralibéraux, disciples de Friedrich Hayek ou de Milton Friedman, ne sont pas les seuls coupables. L’histoire des trente dernières années est aussi celle d’un extraordinaire brouillage des repères dans les milieux intellectuels et politiques dont on attendait qu’ils protègent davantage les principes de décence, d’équité et de raison.
La victoire absolue de l’individualisme sur la notion de l’intérêt public a été le trait majeur de ces décennies de l’argent fou. Le tour de passe-passe fut magistral. Des mesures qui étaient essentiellement des leviers d’enrichissement personnel furent présentées comme des outils d’une modernisation économique qui bénéficierait à tous. La marée haute de l’ultralibéralisme lèverait tous les bateaux, les yachts et les radeaux.
Une partie de la gauche se laissa séduire par ces théories économiques qui critiquaient, non sans raison, la sclérose et les failles de la social-démocratie. Aux Etats-Unis, c’est sous un président démocrate, Bill Clinton, que furent démantelées des mesures adoptées par les Démocrates à l’époque du New Deal, après la grande crise de 1929, pour empêcher l’aventurisme bancaire. Au Royaume uni, Tony Blair « gentrifia » un Labour décrépit qui incarnait toutes les tares d’un travaillisme otage de syndicats archaïques. Mais si, grâce à ce lifting, il gagna les élections, il appliqua aussi une politique économique et sociale dont on paie aujourd’hui les dérives : l’explosion des inégalités sociales et la fragilisation des contrôles nécessaires au comportement sensé du secteur privé. Compagne de route du libéralisme économique, la « Troisième voie » suivie par Blair, Schroeder, Jospin ou Prodi était une pensée molle pour époque dorée.
L’économiste keynésien John Kenneth Galbraith, dont la pensée n’était pas molle mais forte et modérée et dont on retrouve aujourd’hui toute la pertinence, avait insisté sur l’importance des « pouvoirs compensateurs » dans la sphère économique, à l’image de la séparation des pouvoirs sur la scène politique. Qu’ils aient été impuissants ou complices, nombre de Démocrates américains et de socialistes européens n’ont pas opposé assez de checks and balances au rouleau compresseur des ultralibéraux.
Dans son récent livre The Predator State, James Galbraith, le fils du célèbre économiste, n’épargne pas ceux qu’il appelle les « perroquets du conservatisme ». Est-ce pur hasard que deux des dirigeants les plus importants du système économique mondial, viennent du Parti socialiste français : Pascal Lamy à l’Organisation mondiale du Commerce et Dominique Strauss-Kahn au Fonds monétaire international ? Un FMI dont Barack Obama, un centriste, disait, dans son livre L’audace de l’espoir, « qu’il avait imposé d’énormes épreuves aux peuples du Sud et des remèdes que, nous Américains, aurions de grandes difficultés à ingurgiter ».
John K. Galbraith avait également défendu le bien commun comme socle de l’action politique. Cette notion dont se réclame traditionnellement la démocratie chrétienne européenne a été emportée elle aussi au cours de ces trois décennies d’égoïsme généralisé. Sous la houlette de Wilfried Martens, le Parti populaire européen s’est agrandi en sapant ses valeurs fondatrices. En intégrant les Berlusconiens et les Thatchériens, il s’est converti, à quelques exceptions, en une coalition des droites européennes, très éloignées de la notion de l’intérêt général. La Commission européenne, de son côté, est devenue, dans une large mesure, la Mecque de l’ultralibéralisme, plus intégriste désormais que Wall Street.
L’une des conséquences les plus agaçantes de ces abandons est d’avoir redonné du tonus à une autre idéologie toxique. Marx est de retour, titrait récemment Courrier international. En Amérique latine, les désastres sociaux d’une globalisation débridée ont porté au pouvoir des mouvements qui, dans certains pays, tendent à mettre dans le même sac l’ultralibéralisme économique et le libéralisme politique. En Allemagne, Die Linke, nouvel avatar, aux côtés des déçus du SPD, de l’ancien parti stalinien de la République démocratique allemande, marque des points.
Que faire ? Surtout pas, au delà des mesures d’urgence, recourir à l’argent public pour permettre à terme aux brahmanes du secteur privé de retrouver leurs marges et leurs privilèges, comme le voudraient les ultralibéraux. Surtout pas non plus se ruer sur les recettes rouillées du socialisme d’Etat, comme en rêvent certains marxistes « nés de nouveau ».
« Il arrive que l’Histoire récompense ceux qui s’obstinent, écrivait Emmanuel Mounier, le fondateur de la revue Esprit, et qu’un rocher bien placé corrige le cours d’un fleuve ». Qui sera ce rocher ? Le défi est de retrouver les audaces mais aussi les principes qui présidèrent au sauvetage de l’économie américaine sous la houlette de Franklin Roosevelt, d’exprimer une pensée forte et raisonnée, au carrefour de l’efficacité économique et de la justice sociale. Au cœur aussi des valeurs de liberté.
La crise n’est pas qu’économique. Il est minuit moins quart pour la démocratie. Déboussolée, insécurisée, la population est à la recherche de boucs émissaires. Pour certains, l’alternative, aujourd’hui, est le néo-populisme à la Haider ou à la Sarah Palin. Demain, si tout dérape, elle pourrait être pire encore.
Pour préserver le libéralisme politique, il faut civiliser le libéralisme économique.
L’ultralibéralisme est le grand perdant du Katrina financier qui a rompu les digues de Wall Street. Parce qu’il en est le grand responsable. Tous ceux qui dans les années 1980 applaudirent la Révolution conservatrice reaganienne, sa rage détaxatoire, sa dérégulation effrénée et sa célébration des privilèges, sont aujourd’hui mis au pilori. Avec raison. Cette idéologie était toxique.
Mais ces ultralibéraux, disciples de Friedrich Hayek ou de Milton Friedman, ne sont pas les seuls coupables. L’histoire des trente dernières années est aussi celle d’un extraordinaire brouillage des repères dans les milieux intellectuels et politiques dont on attendait qu’ils protègent davantage les principes de décence, d’équité et de raison.
La victoire absolue de l’individualisme sur la notion de l’intérêt public a été le trait majeur de ces décennies de l’argent fou. Le tour de passe-passe fut magistral. Des mesures qui étaient essentiellement des leviers d’enrichissement personnel furent présentées comme des outils d’une modernisation économique qui bénéficierait à tous. La marée haute de l’ultralibéralisme lèverait tous les bateaux, les yachts et les radeaux.
Une partie de la gauche se laissa séduire par ces théories économiques qui critiquaient, non sans raison, la sclérose et les failles de la social-démocratie. Aux Etats-Unis, c’est sous un président démocrate, Bill Clinton, que furent démantelées des mesures adoptées par les Démocrates à l’époque du New Deal, après la grande crise de 1929, pour empêcher l’aventurisme bancaire. Au Royaume uni, Tony Blair « gentrifia » un Labour décrépit qui incarnait toutes les tares d’un travaillisme otage de syndicats archaïques. Mais si, grâce à ce lifting, il gagna les élections, il appliqua aussi une politique économique et sociale dont on paie aujourd’hui les dérives : l’explosion des inégalités sociales et la fragilisation des contrôles nécessaires au comportement sensé du secteur privé. Compagne de route du libéralisme économique, la « Troisième voie » suivie par Blair, Schroeder, Jospin ou Prodi était une pensée molle pour époque dorée.
L’économiste keynésien John Kenneth Galbraith, dont la pensée n’était pas molle mais forte et modérée et dont on retrouve aujourd’hui toute la pertinence, avait insisté sur l’importance des « pouvoirs compensateurs » dans la sphère économique, à l’image de la séparation des pouvoirs sur la scène politique. Qu’ils aient été impuissants ou complices, nombre de Démocrates américains et de socialistes européens n’ont pas opposé assez de checks and balances au rouleau compresseur des ultralibéraux.
Dans son récent livre The Predator State, James Galbraith, le fils du célèbre économiste, n’épargne pas ceux qu’il appelle les « perroquets du conservatisme ». Est-ce pur hasard que deux des dirigeants les plus importants du système économique mondial, viennent du Parti socialiste français : Pascal Lamy à l’Organisation mondiale du Commerce et Dominique Strauss-Kahn au Fonds monétaire international ? Un FMI dont Barack Obama, un centriste, disait, dans son livre L’audace de l’espoir, « qu’il avait imposé d’énormes épreuves aux peuples du Sud et des remèdes que, nous Américains, aurions de grandes difficultés à ingurgiter ».
John K. Galbraith avait également défendu le bien commun comme socle de l’action politique. Cette notion dont se réclame traditionnellement la démocratie chrétienne européenne a été emportée elle aussi au cours de ces trois décennies d’égoïsme généralisé. Sous la houlette de Wilfried Martens, le Parti populaire européen s’est agrandi en sapant ses valeurs fondatrices. En intégrant les Berlusconiens et les Thatchériens, il s’est converti, à quelques exceptions, en une coalition des droites européennes, très éloignées de la notion de l’intérêt général. La Commission européenne, de son côté, est devenue, dans une large mesure, la Mecque de l’ultralibéralisme, plus intégriste désormais que Wall Street.
L’une des conséquences les plus agaçantes de ces abandons est d’avoir redonné du tonus à une autre idéologie toxique. Marx est de retour, titrait récemment Courrier international. En Amérique latine, les désastres sociaux d’une globalisation débridée ont porté au pouvoir des mouvements qui, dans certains pays, tendent à mettre dans le même sac l’ultralibéralisme économique et le libéralisme politique. En Allemagne, Die Linke, nouvel avatar, aux côtés des déçus du SPD, de l’ancien parti stalinien de la République démocratique allemande, marque des points.
Que faire ? Surtout pas, au delà des mesures d’urgence, recourir à l’argent public pour permettre à terme aux brahmanes du secteur privé de retrouver leurs marges et leurs privilèges, comme le voudraient les ultralibéraux. Surtout pas non plus se ruer sur les recettes rouillées du socialisme d’Etat, comme en rêvent certains marxistes « nés de nouveau ».
« Il arrive que l’Histoire récompense ceux qui s’obstinent, écrivait Emmanuel Mounier, le fondateur de la revue Esprit, et qu’un rocher bien placé corrige le cours d’un fleuve ». Qui sera ce rocher ? Le défi est de retrouver les audaces mais aussi les principes qui présidèrent au sauvetage de l’économie américaine sous la houlette de Franklin Roosevelt, d’exprimer une pensée forte et raisonnée, au carrefour de l’efficacité économique et de la justice sociale. Au cœur aussi des valeurs de liberté.
La crise n’est pas qu’économique. Il est minuit moins quart pour la démocratie. Déboussolée, insécurisée, la population est à la recherche de boucs émissaires. Pour certains, l’alternative, aujourd’hui, est le néo-populisme à la Haider ou à la Sarah Palin. Demain, si tout dérape, elle pourrait être pire encore.
Pour préserver le libéralisme politique, il faut civiliser le libéralisme économique.
dimanche 12 octobre 2008
Avec Horacio Verbitsky, de Bruxelles à Buenos Aires
Cette semaine a été d’une rare intensité. Grâce à la conférence sur les défenseurs des droits de l’homme organisée par la Commission européenne, le Parlement européen et l’ONU les 7 et 8 octobre, j’ai rencontré une collection incroyable de gens tellement remarquables qu’il m’a fallu plusieurs jours pour « absorber » les conversations et les échanges.
Le dimanche, c’est aussi cela : le moment où les fébrilités de la semaine retrouvent leur place, où l’on lit des textes « réservés », où l’on surfe sur des sites d’information et d’opinion du bout du monde.
Ce matin, bercé par les notes de Stan Getz et la voix magique d’Astrud Gilberto, je me suis envolé vers l’Amérique du Sud. Je me suis assis à la terrasse d’un café de Buenos Aires, en face d’un kiosque à journaux. Je m’y suis procuré l’édition dominicale de Pagina 12, le principal journal de centre-gauche du pays, l’un des seuls aussi qui n’aura jamais à s’excuser d’avoir appuyé une dictature. Merveilles d’Internet. Télescopage des continents. Le monde est là, à un clic de souris d’ordinateur.
L’un des plus illustres chroniqueurs du quotidien, Horacio Verbitsky, y parlait de Fortis et de Dexia. Et pour cause, il venait de passer 3 jours à Bruxelles, invité à présider un panel sur le rôle des journalistes défenseurs des droits de l’Homme, dans le cadre de la célébration du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Avec un brin de surréalisme, alternant entre la conférence et "la rue", Horacio réussissait à donner un sens à ce "choc des civilisations", humaniste ou financière.
Une stylistique du respect
Lors de cette conférence, il n’avait pas cessé d’écrire dans un petit carnet. Les yeux pétillants, aux aguets, ce capteur des bruits et chuchotements du monde n’avait rien perdu du spectacle. Ni la beauté - et l’arrogance - de Rama Yade, secrétaire aux droits de l’Homme du président Sarkozy, ni la grandeur morale de Stéphane Hessel, éternel résistant et l’un des auteurs de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ni le courage de Lydia Cacho, superbe journaliste mexicaine, aux prises avec les réseaux de pédophilie et de corruption de son pays. Ni la lucidité de Mohammed Ali Atassi, journaliste et dissident syrien collaborateur du grand quotidien libanais An-Nahar. Ni l’ironie mordante d’Andrey Lipksky, rédacteur en chef adjoint de Novaia Gazeta, le journal auquel collaborait Anna Politkovskaiai, assassinée deux ans plus tôt, jour pour jour, à Moscou.
Horacio avait pour ces « journalistes défenseurs » le regard respectueux de celui qui a connu et combattu la répression. Et qui a pris des risques immenses pour informer et protéger. Journaliste clandestin durant la dictature militaire qui terrorisa l’Argentine entre 1976 et 1983, Horacio est aussi le président du CELS (Centre d’études légales et sociales), l’une des plus importantes organisations de défense des droits de l’Homme du pays. Membre du comité d’experts de la division Amériques de Human Rights Watch, il est aussi l’auteur de livres implacables sur le régime militaire et sur ses complices, en premier lieu l’Eglise catholique. A l’issue d’un déjeuner sur la place Jourdan, à l’ombre du Parlement, il m’a offert son dernier ouvrage, La violence évangélique, avec en couverture, le général Videla (qui vient d’être renvoyé en prison par la justice) aux côtés d’un évêque argentin. Et Dieu dans tout ça ?, aurait dit Jean-Pol Hecq. Dans cette Argentine livrée aux tueurs officiels, Dieu était mieux défendu par des incroyants ou des infidèles que par les bigots du national-catholicisme argentin.
Ces discussions avec Horacio, Lydia ou Mohammed m'ont une nouvelle fois convaincu de l'urgence d'un journalisme engagé pour les libertés, non seulement pour la liberté de la presse, mais aussi pour les libertés de tous. Comme me le rappella Horacio, nombreux furent les journalistes argentins qui choisirent d'appuyer la dictature ou de se taire. Et qui se montrent aujourd'hui beaucoup plus durs à l'encontre d'un gouvernement élu démocratiquement qu'à l'égard de putschistes assassins. On est peut-être tous dans la même profession, on ne fait pas nécessairement le même métier...
Droit au blasphème
Cette rencontre au Parlement européen m’a réconcilié avec l’Europe. La liberté de ton adoptée par Hélène Flautre, présidente de la sous-commission des droits de l’Homme et parlementaire des Verts (France), la conviction de Luisa Morgantini, vice-présidente du Parlement, étaient un bel exemple de démocratie pour les dizaines de défenseurs des droits humains venus d’Afghanistan, d’Algérie, de Tunisie, d’Angola. Pendant toute la séance, Jean Plantu et Ali Dilem illustraient les débats avec une insolence complice. Dans la salle, les représentants des ambassades douteuses avaient un air cramoisi. Les deux caricaturistes proclamaient le droit au blasphème. Pendant que Jacques Barrot, vice-président de la Commission, inaugurait la conférence (en reconnaissant d’ailleurs les failles de l’Union en matière de droits de l’Homme), Dilem projeta sur deux écrans géants un dessin où il était écrit : « Barrot inaugure la conférence. Y en a déjà qui dorment ».
Il est déjà 11 h 30. J’ai replié mon journal sur la table du kiosque de Buenos Aires. Mes pensées voguent vers ces amis qui dans les années 1970 se mobilisèrent pour la liberté en Argentine. Des exilés, comme Gregorio Selser, merveilleux chroniqueur du monde, des militants, comme Emilio Mignone, fondateur du CELS, des écrivains comme Ernesto Sabato ou Juan Gelman, des juristes engagés comme Eric David et Pierre Mertens. C’était une époque terrible, assassine. C’était aussi un extraordinaire moment de solidarité et d’humanité.
Horacio Verbitsky avait remué des souvenirs intimes, déclenché le déclic de la nostalgie. Mais, suscités par ce journaliste défenseur intransigeant des droits de l’homme, ces souvenirs n’étaient pas des excuses pour la passivité ou la rentrée dans le rang. Ils remettaient au centre de tout la nécessité de toujours regarder le monde avec acuité et indépendance. Pour continuer à agir.
Le dimanche, c’est aussi cela : le moment où les fébrilités de la semaine retrouvent leur place, où l’on lit des textes « réservés », où l’on surfe sur des sites d’information et d’opinion du bout du monde.
Ce matin, bercé par les notes de Stan Getz et la voix magique d’Astrud Gilberto, je me suis envolé vers l’Amérique du Sud. Je me suis assis à la terrasse d’un café de Buenos Aires, en face d’un kiosque à journaux. Je m’y suis procuré l’édition dominicale de Pagina 12, le principal journal de centre-gauche du pays, l’un des seuls aussi qui n’aura jamais à s’excuser d’avoir appuyé une dictature. Merveilles d’Internet. Télescopage des continents. Le monde est là, à un clic de souris d’ordinateur.
L’un des plus illustres chroniqueurs du quotidien, Horacio Verbitsky, y parlait de Fortis et de Dexia. Et pour cause, il venait de passer 3 jours à Bruxelles, invité à présider un panel sur le rôle des journalistes défenseurs des droits de l’Homme, dans le cadre de la célébration du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Avec un brin de surréalisme, alternant entre la conférence et "la rue", Horacio réussissait à donner un sens à ce "choc des civilisations", humaniste ou financière.
Une stylistique du respect
Lors de cette conférence, il n’avait pas cessé d’écrire dans un petit carnet. Les yeux pétillants, aux aguets, ce capteur des bruits et chuchotements du monde n’avait rien perdu du spectacle. Ni la beauté - et l’arrogance - de Rama Yade, secrétaire aux droits de l’Homme du président Sarkozy, ni la grandeur morale de Stéphane Hessel, éternel résistant et l’un des auteurs de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ni le courage de Lydia Cacho, superbe journaliste mexicaine, aux prises avec les réseaux de pédophilie et de corruption de son pays. Ni la lucidité de Mohammed Ali Atassi, journaliste et dissident syrien collaborateur du grand quotidien libanais An-Nahar. Ni l’ironie mordante d’Andrey Lipksky, rédacteur en chef adjoint de Novaia Gazeta, le journal auquel collaborait Anna Politkovskaiai, assassinée deux ans plus tôt, jour pour jour, à Moscou.
Horacio avait pour ces « journalistes défenseurs » le regard respectueux de celui qui a connu et combattu la répression. Et qui a pris des risques immenses pour informer et protéger. Journaliste clandestin durant la dictature militaire qui terrorisa l’Argentine entre 1976 et 1983, Horacio est aussi le président du CELS (Centre d’études légales et sociales), l’une des plus importantes organisations de défense des droits de l’Homme du pays. Membre du comité d’experts de la division Amériques de Human Rights Watch, il est aussi l’auteur de livres implacables sur le régime militaire et sur ses complices, en premier lieu l’Eglise catholique. A l’issue d’un déjeuner sur la place Jourdan, à l’ombre du Parlement, il m’a offert son dernier ouvrage, La violence évangélique, avec en couverture, le général Videla (qui vient d’être renvoyé en prison par la justice) aux côtés d’un évêque argentin. Et Dieu dans tout ça ?, aurait dit Jean-Pol Hecq. Dans cette Argentine livrée aux tueurs officiels, Dieu était mieux défendu par des incroyants ou des infidèles que par les bigots du national-catholicisme argentin.
Ces discussions avec Horacio, Lydia ou Mohammed m'ont une nouvelle fois convaincu de l'urgence d'un journalisme engagé pour les libertés, non seulement pour la liberté de la presse, mais aussi pour les libertés de tous. Comme me le rappella Horacio, nombreux furent les journalistes argentins qui choisirent d'appuyer la dictature ou de se taire. Et qui se montrent aujourd'hui beaucoup plus durs à l'encontre d'un gouvernement élu démocratiquement qu'à l'égard de putschistes assassins. On est peut-être tous dans la même profession, on ne fait pas nécessairement le même métier...
Droit au blasphème
Cette rencontre au Parlement européen m’a réconcilié avec l’Europe. La liberté de ton adoptée par Hélène Flautre, présidente de la sous-commission des droits de l’Homme et parlementaire des Verts (France), la conviction de Luisa Morgantini, vice-présidente du Parlement, étaient un bel exemple de démocratie pour les dizaines de défenseurs des droits humains venus d’Afghanistan, d’Algérie, de Tunisie, d’Angola. Pendant toute la séance, Jean Plantu et Ali Dilem illustraient les débats avec une insolence complice. Dans la salle, les représentants des ambassades douteuses avaient un air cramoisi. Les deux caricaturistes proclamaient le droit au blasphème. Pendant que Jacques Barrot, vice-président de la Commission, inaugurait la conférence (en reconnaissant d’ailleurs les failles de l’Union en matière de droits de l’Homme), Dilem projeta sur deux écrans géants un dessin où il était écrit : « Barrot inaugure la conférence. Y en a déjà qui dorment ».
Il est déjà 11 h 30. J’ai replié mon journal sur la table du kiosque de Buenos Aires. Mes pensées voguent vers ces amis qui dans les années 1970 se mobilisèrent pour la liberté en Argentine. Des exilés, comme Gregorio Selser, merveilleux chroniqueur du monde, des militants, comme Emilio Mignone, fondateur du CELS, des écrivains comme Ernesto Sabato ou Juan Gelman, des juristes engagés comme Eric David et Pierre Mertens. C’était une époque terrible, assassine. C’était aussi un extraordinaire moment de solidarité et d’humanité.
Horacio Verbitsky avait remué des souvenirs intimes, déclenché le déclic de la nostalgie. Mais, suscités par ce journaliste défenseur intransigeant des droits de l’homme, ces souvenirs n’étaient pas des excuses pour la passivité ou la rentrée dans le rang. Ils remettaient au centre de tout la nécessité de toujours regarder le monde avec acuité et indépendance. Pour continuer à agir.
jeudi 9 octobre 2008
Journalistes et défenseurs des droits de l'homme
La Commission européenne, le Parlement européen et les Nations unies ont eu l'excellente idée d'organiser à Bruxelles une grande conférence sur les défenseurs des droits de l'homme, les 7 et 8 octobre.
Les témoignages ont été bouleversants, les interpellations pressantes. Menés par Hélène Flautre (membre des Verts français), présidente de la sous-commission des droits de l'homme, les débats de la première journée ont été marqués par l'intervention de Stéphane Hessel, un extraordinaire et sémillant nonantenaire, et par l'analyse de Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch.
Le 8, j'ai présidé un panel d'une rare qualité et je vous livre ici le texte de mon discours qui a introduit leurs interventions.
La plume dans la plaie
Il y a deux ans, le 7 octobre 2006, Anna Politkovskaia était assassinée à Moscou. Comme l’écrit si bien Galia Ackerman de RFI, « elle était la conscience incarnée d’une Russie honnête qui lançait un défi à notre humanité et nous appelait au secours ».
L’exemple d’Anna nous rappelle, tragiquement, que l’histoire du journalisme, du grand journalisme, est intimement lié à celle des droits de l’homme.
Non seulement parce que la liberté d’expression est, comme aiment le dire ses défenseurs, la mère des autres libertés
Non seulement parce que le journalisme a le pouvoir de révéler et de dénoncer les atteintes aux libertés, et par cette action d’embarrasser les régimes autoritaires et d’amener les gouvernements démocratiques à agir pour les victimes.
L’histoire du journalisme est intimement liée à celle des droits de l’homme parce que souvent, ses plus belles pages ont été écrites par des plumes de la liberté, parce que les journalistes dont on se souvient, que l’on lit encore et que la société honore, ont été animés par un sens profond d’humanité et qu’ils ont pris des risques, même celui de la mort et de l’impopularité, pour dire la vérité. Et il n’y a souvent de vérité journalistique que dans l’information qui secoue les consensus commodes et dérange les pouvoirs.
Il y a une différence entre la politique et le journalisme. On peut faire du bon journalisme avec des bons sentiments, du moins si l’on entend par ces termes, l’aspiration à la liberté, l’indignation devant tout ce qui porte atteinte à la dignité de l’homme.
L’indignation ?
C’est Upton Sinclair qui, en 1905, dénonce les conditions de travail et d’hygiène épouvantables dans les abattoirs de Chicago et amène le président Théodore Roosevelt à adopter de nouvelles lois
C’est Albert Londres qui, dans les années 1920, enquête sur le bagne de Cayenne en Guyane et convainc la France de le fermer.
C’est George Orwell qui rend hommage à la Catalogne assassinée, Vassili Grossman qui parle « du grincement combiné des fils de fer barbelés de la taïga sibérienne et du camp d'Auschwitz »., Jean-Jacques Servan Schreiber, François Mauriac, Jacques Duquesne et quelques autres qui révèlent et condamnent l’utilisation de la torture lors de la guerre d’Algérie, Donald Woods qui tient tête au régime d’apartheid sud-africain, Adam Michnik, qui s’engage dans Solidarité.
Cette tradition de journalistes engagés n’a jamais cessé. Aujourd’hui, de la Tunisie à la Chine, du Mexique à Cuba, du Zimbabwe à la Birmanie, des journalistes participent au combat pour la liberté et la dignité, souvent au péril de leur vie, sous la menace constante de l’emprisonnement ou du bannissement. Et ils sont, de nouveau, les meilleurs professionnels de leur génération.
Tous les journalistes ne sont pas du côté des droits de l’homme. Comme l’a rappelé hier Mme Samayoa du Guatemala, il y a aussi une presse qui diffame les défenseurs des droits de l’homme. Une presse qui justifie la dictature et appuie la répression, une presse qui appelle au coup d’Etat, à l’épuration ethnique et au génocide.
« Le journalisme, écrit Marc Dugain, se meurt de tant de journalistes vivants que la vérité n’intéresse plus, habitués qu’ils sont au ronronnement de nos pays où le pouvoir de l’information n’inquiète plus les puissants. Il est devenu l’auxiliaire maladroit de la campagne de vaccination des citoyens contre une relation de la réalité qui déranger ».
Les témoignages ont été bouleversants, les interpellations pressantes. Menés par Hélène Flautre (membre des Verts français), présidente de la sous-commission des droits de l'homme, les débats de la première journée ont été marqués par l'intervention de Stéphane Hessel, un extraordinaire et sémillant nonantenaire, et par l'analyse de Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch.
Le 8, j'ai présidé un panel d'une rare qualité et je vous livre ici le texte de mon discours qui a introduit leurs interventions.
La plume dans la plaie
Il y a deux ans, le 7 octobre 2006, Anna Politkovskaia était assassinée à Moscou. Comme l’écrit si bien Galia Ackerman de RFI, « elle était la conscience incarnée d’une Russie honnête qui lançait un défi à notre humanité et nous appelait au secours ».
L’exemple d’Anna nous rappelle, tragiquement, que l’histoire du journalisme, du grand journalisme, est intimement lié à celle des droits de l’homme.
Non seulement parce que la liberté d’expression est, comme aiment le dire ses défenseurs, la mère des autres libertés
Non seulement parce que le journalisme a le pouvoir de révéler et de dénoncer les atteintes aux libertés, et par cette action d’embarrasser les régimes autoritaires et d’amener les gouvernements démocratiques à agir pour les victimes.
L’histoire du journalisme est intimement liée à celle des droits de l’homme parce que souvent, ses plus belles pages ont été écrites par des plumes de la liberté, parce que les journalistes dont on se souvient, que l’on lit encore et que la société honore, ont été animés par un sens profond d’humanité et qu’ils ont pris des risques, même celui de la mort et de l’impopularité, pour dire la vérité. Et il n’y a souvent de vérité journalistique que dans l’information qui secoue les consensus commodes et dérange les pouvoirs.
Il y a une différence entre la politique et le journalisme. On peut faire du bon journalisme avec des bons sentiments, du moins si l’on entend par ces termes, l’aspiration à la liberté, l’indignation devant tout ce qui porte atteinte à la dignité de l’homme.
L’indignation ?
C’est Upton Sinclair qui, en 1905, dénonce les conditions de travail et d’hygiène épouvantables dans les abattoirs de Chicago et amène le président Théodore Roosevelt à adopter de nouvelles lois
C’est Albert Londres qui, dans les années 1920, enquête sur le bagne de Cayenne en Guyane et convainc la France de le fermer.
C’est George Orwell qui rend hommage à la Catalogne assassinée, Vassili Grossman qui parle « du grincement combiné des fils de fer barbelés de la taïga sibérienne et du camp d'Auschwitz »., Jean-Jacques Servan Schreiber, François Mauriac, Jacques Duquesne et quelques autres qui révèlent et condamnent l’utilisation de la torture lors de la guerre d’Algérie, Donald Woods qui tient tête au régime d’apartheid sud-africain, Adam Michnik, qui s’engage dans Solidarité.
Cette tradition de journalistes engagés n’a jamais cessé. Aujourd’hui, de la Tunisie à la Chine, du Mexique à Cuba, du Zimbabwe à la Birmanie, des journalistes participent au combat pour la liberté et la dignité, souvent au péril de leur vie, sous la menace constante de l’emprisonnement ou du bannissement. Et ils sont, de nouveau, les meilleurs professionnels de leur génération.
Tous les journalistes ne sont pas du côté des droits de l’homme. Comme l’a rappelé hier Mme Samayoa du Guatemala, il y a aussi une presse qui diffame les défenseurs des droits de l’homme. Une presse qui justifie la dictature et appuie la répression, une presse qui appelle au coup d’Etat, à l’épuration ethnique et au génocide.
« Le journalisme, écrit Marc Dugain, se meurt de tant de journalistes vivants que la vérité n’intéresse plus, habitués qu’ils sont au ronronnement de nos pays où le pouvoir de l’information n’inquiète plus les puissants. Il est devenu l’auxiliaire maladroit de la campagne de vaccination des citoyens contre une relation de la réalité qui déranger ».
J'ajouterai: on est peut-être dans la même profession, on ne fait pas le même métier.
Plus tard, alors que les sténographes du pouvoir, avec leurs convenances et leurs connivences, alors que les stars de l’information spectacle, avec leurs futilités et leurs frivolités, entreront peu à peu dans les oubliettes de l’histoire, ces journalistes défenseurs continueront à inspirer tous ceux qui sont convaincus que l’information n’est pas que commerce ou propagande, que les batailles pour la liberté d’expression, comme l’écrit Horacio Verbitsky dans son livre Un monde sans journalistes, « sont des épisodes significatifs d’une lutte beaucoup plus vaste pour la gouvernance démocratique et contre quelques unes de ses pires déformations : la corruption, l’insécurité juridique, la complaisance à l’égard des atrocités du passé récent, l’exclusion sociale ».
Récemment encore, des journalistes ont payé de leur vie cet engagement : Anna, mais aussi Samir Kassir, Gibran Tuéni, Daniel Pearl, et beaucoup d’autres, moins connus, qui dans les faubourgs du monde ont pris le parti de la vérité et de liberté.
Cette conférence leur rend hommage. Ils continuent à vivre parmi nous par leur exemple et par leurs écrits.
« Le journalisme est le plus beau métier du monde », s’est un jour exclamé Gabriel Garcia Marquez. Hier, Stéphane Hessel nous a rappelé avec passion que la Déclaration universelle était aussi l’un des plus beaux textes du monde.
Nous accueillons aujourd’hui dans cette salle des journalistes qui partagent ces deux convictions
Nous accueillons tout spécialement à cette tribune
Horacio Verbitsky, Lydia Cacho, Mohammed Ali Atassi et Andrei Lypsky
Ils seront nos grands témoins.
Horacio Verbitsky est l’un des journalistes les plus célèbres de l’Amérique latine. Je vous réfère à sa biographie, d’ailleurs très succincte, reprise dans les documents de la conférence.
Il est chroniqueur au quotidien de centre gauche Pagina 12, symbole de la lutte pour la démocratie, et président du Centre d’études légales et sociales, qui a tant fait pour combattre l’impunité, obtenant en particulier la suppression des lois d’amnisties accordée aux membres de la junte militaire.
J’aimerais pour camper le personnage reprendre ses propres mots : « Le journaliste a des sources, il n’a pas d'amis, écrit-il dans Un monde sans journalistes. Il a le droit de critiquer tout et tout le monde. Il a le droit de verser du sel dans les blessures, de mettre des cailloux dans les chaussures, de dire le mauvais côté des choses, car du bon côté, les services de presse s’en chargent ».
Lydia Cacho
Lydia Cacho est journaliste, militante des droits des femmes et des enfants. Son action lui a valu de très nombreux prix, mais aussi de très nombreuses épreuves : les menaces, les procès, la prison.
« Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse », disait Albert Camus. Avec une journaliste de cette qualité, le Mexique a un avenir. Dans son livre, Mémoires d’une infamie, Lydia Cacho écrit : « Je crois avec ferveur que le Mexique peut se transformer, qu’un jour il connaîtra une vraie démocratie. Je crois au journalisme comme lanterne du monde, comme un droit de la société de savoir et de comprendre, je crois que les droits de l’homme ne sont pas négociables…Tant que je vivrai, je continuerai à écrire et grâce ce que j’ai écrit, je continuerai à vivre ».
Mohammed Ali Atassi
Mohammed Ali Atassi incarne l’aspiration à la liberté et à la raison dans une région du monde accablée par l’autoritarisme et la violence.
Collaborateur au supplément culturel du quotidien de référence An Nahar, il se bat pour l’ouverture politique de son pays, un pays où, écrivait-il, « les considérations de sécurité sont telles que le poète Adonis pourrait être convoqué par les services de sécurité pour expliquer le sens de ses poèmes, ou que le peintre syro-allemand Marwan Qassab pourrait être forcé d’expliquer la signification politique de son mélange de couleurs ».
Comme l’écrivait Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur, « tout qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude ».
Andrey Lipsky
"On ne tue pas une enquête en tuant un journaliste". Cette phrase du grand reporter américain Bob Greeene pourrait symboliser la lutte de Novaia Gazeta, auquel collaborait Anna Politkvoskaia.
Andrey Lipsky est le rédacteur en chef de ce journal, l’une des dernières voies indépendantes de Russie. Un journal qui se bat contre l’impunité, contre l’IMPOUTINITE comme ironisait hier Jean Plantu dans une de ses caricatures.
Un journal qui n’écrit pas des reportages Potemkine et qui pratique cette belle formule d’Albert Londres : Notre métier pas de faire plaisir ou de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».
Plus tard, alors que les sténographes du pouvoir, avec leurs convenances et leurs connivences, alors que les stars de l’information spectacle, avec leurs futilités et leurs frivolités, entreront peu à peu dans les oubliettes de l’histoire, ces journalistes défenseurs continueront à inspirer tous ceux qui sont convaincus que l’information n’est pas que commerce ou propagande, que les batailles pour la liberté d’expression, comme l’écrit Horacio Verbitsky dans son livre Un monde sans journalistes, « sont des épisodes significatifs d’une lutte beaucoup plus vaste pour la gouvernance démocratique et contre quelques unes de ses pires déformations : la corruption, l’insécurité juridique, la complaisance à l’égard des atrocités du passé récent, l’exclusion sociale ».
Récemment encore, des journalistes ont payé de leur vie cet engagement : Anna, mais aussi Samir Kassir, Gibran Tuéni, Daniel Pearl, et beaucoup d’autres, moins connus, qui dans les faubourgs du monde ont pris le parti de la vérité et de liberté.
Cette conférence leur rend hommage. Ils continuent à vivre parmi nous par leur exemple et par leurs écrits.
« Le journalisme est le plus beau métier du monde », s’est un jour exclamé Gabriel Garcia Marquez. Hier, Stéphane Hessel nous a rappelé avec passion que la Déclaration universelle était aussi l’un des plus beaux textes du monde.
Nous accueillons aujourd’hui dans cette salle des journalistes qui partagent ces deux convictions
Nous accueillons tout spécialement à cette tribune
Horacio Verbitsky, Lydia Cacho, Mohammed Ali Atassi et Andrei Lypsky
Ils seront nos grands témoins.
Horacio Verbitsky est l’un des journalistes les plus célèbres de l’Amérique latine. Je vous réfère à sa biographie, d’ailleurs très succincte, reprise dans les documents de la conférence.
Il est chroniqueur au quotidien de centre gauche Pagina 12, symbole de la lutte pour la démocratie, et président du Centre d’études légales et sociales, qui a tant fait pour combattre l’impunité, obtenant en particulier la suppression des lois d’amnisties accordée aux membres de la junte militaire.
J’aimerais pour camper le personnage reprendre ses propres mots : « Le journaliste a des sources, il n’a pas d'amis, écrit-il dans Un monde sans journalistes. Il a le droit de critiquer tout et tout le monde. Il a le droit de verser du sel dans les blessures, de mettre des cailloux dans les chaussures, de dire le mauvais côté des choses, car du bon côté, les services de presse s’en chargent ».
Lydia Cacho
Lydia Cacho est journaliste, militante des droits des femmes et des enfants. Son action lui a valu de très nombreux prix, mais aussi de très nombreuses épreuves : les menaces, les procès, la prison.
« Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse », disait Albert Camus. Avec une journaliste de cette qualité, le Mexique a un avenir. Dans son livre, Mémoires d’une infamie, Lydia Cacho écrit : « Je crois avec ferveur que le Mexique peut se transformer, qu’un jour il connaîtra une vraie démocratie. Je crois au journalisme comme lanterne du monde, comme un droit de la société de savoir et de comprendre, je crois que les droits de l’homme ne sont pas négociables…Tant que je vivrai, je continuerai à écrire et grâce ce que j’ai écrit, je continuerai à vivre ».
Mohammed Ali Atassi
Mohammed Ali Atassi incarne l’aspiration à la liberté et à la raison dans une région du monde accablée par l’autoritarisme et la violence.
Collaborateur au supplément culturel du quotidien de référence An Nahar, il se bat pour l’ouverture politique de son pays, un pays où, écrivait-il, « les considérations de sécurité sont telles que le poète Adonis pourrait être convoqué par les services de sécurité pour expliquer le sens de ses poèmes, ou que le peintre syro-allemand Marwan Qassab pourrait être forcé d’expliquer la signification politique de son mélange de couleurs ».
Comme l’écrivait Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur, « tout qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude ».
Andrey Lipsky
"On ne tue pas une enquête en tuant un journaliste". Cette phrase du grand reporter américain Bob Greeene pourrait symboliser la lutte de Novaia Gazeta, auquel collaborait Anna Politkvoskaia.
Andrey Lipsky est le rédacteur en chef de ce journal, l’une des dernières voies indépendantes de Russie. Un journal qui se bat contre l’impunité, contre l’IMPOUTINITE comme ironisait hier Jean Plantu dans une de ses caricatures.
Un journal qui n’écrit pas des reportages Potemkine et qui pratique cette belle formule d’Albert Londres : Notre métier pas de faire plaisir ou de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».
vendredi 26 septembre 2008
Rencontre avec Ragip Zarakolu
Mercredi, j'ai rencontré l'un des plus célèbres dissidents turcs, Ragip Zarakolu. Il arrivait d'Amsterdam, la ville mondiale du livre 2008. Dans cette cité qui fut celle des exilés, des bannis et des censurés de toujours, l'Association internationale des éditeurs lui avait solennellement remis le Prix 2008 de la Liberté de Publier.
A Bruxelles, l'écrivain venait de rencontrer des représentants des institutions européennes pour discuter de la Turquie et des conditions dans lesquelles se mènent les pourparlers d'adhésion. Partisan de la vocation européenne de son pays, cet intellectuel ne supporte pas, toutefois, la légèreté qui préside à ces négociations lorsqu'il s'agit de sortir de la "mise à niveau" des normes et règlements administratifs pour s'occuper, entre le raki et la baklavah, de l'agaçante question des droits de l'homme.
Ragip Zarakolu est victime en effet d'un texte de loi que le gouvernement turc avait promis de modifier, le fameux Article 301 qui sanctionne sévèrement toute atteinte à l'honneur de la Turquie. Invité à se réformer, le gouvernement a donné de subtils gages à une Commission empressée de ne pas vexer Ankara. Malgré cette apparence de changement, plus de 30 citoyens turcs ont été condamnés, depuis, par l'Article 301.
Ragip Zarakolu en a subi le poids parce qu'il avait publié un livre sur le génocide arménien, The Truth Will Set Us Free de l'auteur britannique George Jerjian.
Faut-il rappeler ici l'extrême irresponsabilité de l'Union européenne, refusant d'exiger de la Turquie l'abrogation de cet article du Code pénal, totalement incompatible avec les valeurs dites européennes, avant même d'envisager toute ouverture des négociations?
La faute est d'autant plus lourde que la condamnation de Ragip Zarakolu porte sur le génocide arménien, le deuxième génocide (après celui des Hereros en Namibie par l'Allemagne) du Siècle des Génocides.
Si elle se négocie de cette façon dénuée de tout principe, l'adhésion de la Turquie ne contribuera aucunement à pluraliser l'Europe, à tendre des ponts avec le monde musulman, comme le veut la vulgate eurocratique, mais bien à saper l'idée européenne, forgée, c'est du moins ce que j'ai retenu de mes lectures, dans la proclamation de la dignité humaine, le respect de la vérité historique et le rejet absolu du négationnisme.
A Bruxelles, l'écrivain venait de rencontrer des représentants des institutions européennes pour discuter de la Turquie et des conditions dans lesquelles se mènent les pourparlers d'adhésion. Partisan de la vocation européenne de son pays, cet intellectuel ne supporte pas, toutefois, la légèreté qui préside à ces négociations lorsqu'il s'agit de sortir de la "mise à niveau" des normes et règlements administratifs pour s'occuper, entre le raki et la baklavah, de l'agaçante question des droits de l'homme.
Ragip Zarakolu est victime en effet d'un texte de loi que le gouvernement turc avait promis de modifier, le fameux Article 301 qui sanctionne sévèrement toute atteinte à l'honneur de la Turquie. Invité à se réformer, le gouvernement a donné de subtils gages à une Commission empressée de ne pas vexer Ankara. Malgré cette apparence de changement, plus de 30 citoyens turcs ont été condamnés, depuis, par l'Article 301.
Ragip Zarakolu en a subi le poids parce qu'il avait publié un livre sur le génocide arménien, The Truth Will Set Us Free de l'auteur britannique George Jerjian.
Faut-il rappeler ici l'extrême irresponsabilité de l'Union européenne, refusant d'exiger de la Turquie l'abrogation de cet article du Code pénal, totalement incompatible avec les valeurs dites européennes, avant même d'envisager toute ouverture des négociations?
La faute est d'autant plus lourde que la condamnation de Ragip Zarakolu porte sur le génocide arménien, le deuxième génocide (après celui des Hereros en Namibie par l'Allemagne) du Siècle des Génocides.
Si elle se négocie de cette façon dénuée de tout principe, l'adhésion de la Turquie ne contribuera aucunement à pluraliser l'Europe, à tendre des ponts avec le monde musulman, comme le veut la vulgate eurocratique, mais bien à saper l'idée européenne, forgée, c'est du moins ce que j'ai retenu de mes lectures, dans la proclamation de la dignité humaine, le respect de la vérité historique et le rejet absolu du négationnisme.
Win Tin libéré, la Birmanie reste emprisonnée
La libération de Win Tin, l'un des plus célèbres dissidents birmans, a été accueillie avec joie par les défenseurs des droits humains du monde entier. La ténacité de ce dissident et la constance de ses partisans ont été récompensées. Mais cette libération, dans le cadre d'une amnistie qui a bénéficié à 9000 prisonniers, est-elle un signe d'adoucissement de la part de la Junte ou simplement la conviction des généraux qu'ils peuvent se permettre désormais de relâcher la pression, près d'un an après les manifestations de la Révolution safran.
Le Committee to Protect Journalists et Human Rights Watch (HRW) ont fait état de leur scepticisme. La Junte a coutume de ces amnisties massives au sein desquelles elle glisse un journaliste ou un dissident. Ses autres mesures indiquent par ailleurs qu'elle n'a guère l'intention de lâcher prise. Dans son rapport publié fin septembre, HRW note que les arrestations d'activistes se sont multipliées et que près de 2000 prisonniers politiques croupissent dans les geôles birmanes.
La question de la volonté et de la capacité de la communauté internationale de faire pression sur le régime est de nouveau posée. Les Etats-Unis n'ont pas cessé de proclamer leurs critiques, mais l'administration Bush ne dispose d'aucun moyen de pression réel ni d'une crédibilité suffisante. L'Union européenne est piégée par les intérêts divergents de ses membres. La Chine et l'Inde, de plus en plus les vrais parrains de la Junte, considèrent la Birmanie comme un enjeu de leur rivalité et non comme un test de l'éthique de leur politique étrangère.
Le Committee to Protect Journalists et Human Rights Watch (HRW) ont fait état de leur scepticisme. La Junte a coutume de ces amnisties massives au sein desquelles elle glisse un journaliste ou un dissident. Ses autres mesures indiquent par ailleurs qu'elle n'a guère l'intention de lâcher prise. Dans son rapport publié fin septembre, HRW note que les arrestations d'activistes se sont multipliées et que près de 2000 prisonniers politiques croupissent dans les geôles birmanes.
La question de la volonté et de la capacité de la communauté internationale de faire pression sur le régime est de nouveau posée. Les Etats-Unis n'ont pas cessé de proclamer leurs critiques, mais l'administration Bush ne dispose d'aucun moyen de pression réel ni d'une crédibilité suffisante. L'Union européenne est piégée par les intérêts divergents de ses membres. La Chine et l'Inde, de plus en plus les vrais parrains de la Junte, considèrent la Birmanie comme un enjeu de leur rivalité et non comme un test de l'éthique de leur politique étrangère.
Inscription à :
Articles (Atom)