Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près de CNN. La semaine dernière, le site Internet de la chaîne de télévision américaine n’a relayé que des informations macabres sur cet immense pays de 100 millions d’habitants qui partage 3.200 kilomètres de frontière avec les Etats-Unis.
Les titres se sont succédé comme autant de rafales de mauvaises nouvelles.
Lundi : 7.000 soldats et policiers patrouillent dans la ville de Ciudad Juarez pour restaurer la sécurité.
Mardi : la chambre des représentants américaine s’inquiète du risque de débordement de la violence mexicaine.
Mercredi : le gouverneur du Texas demande que la garde nationale soit déployée le long de la frontière.
Jeudi : un baron mexicain de la coke fait son apparition dans la liste des milliardaires établie par le magazine Forbes.
Vendredi : des ados mexicains, arrêtés à Laredo au Texas, avouent qu’ils sont des tueurs à gages à la solde des narcos mexicains. Samedi : neuf cadavres non identifiés sont trouvés dans un fossé au sud de Ciudad Juarez.
Comme si ces infos ne suffisaient pas, elles sont systématiquement encadrés par un rappel des faits qui renforce l’image d’un pays qui part en vrille. L’année dernière, cette guerre de la drogue a fait 6000 personnes. Un millier de personnes ont été assassinées au cours des premiers 51 jours de 2009. L’année dernière, il avait fallu attendre 113 jours pour atteindre ce score.
Assez, Basta !
Le Mexique ne serait-il que cet empilement de cadavres, cet entrelacs de brutalités et de complicités ?
Jeudi dernier, dans un article de Courrier International, l’écrivain Enrique Serna exprimait tout son désarroi face à ce regard borgne. « Depuis que les têtes se sont mises à rouler sur les pistes de danse et que les exécutions en masse de narcotrafiquants, de policiers ou de maçons sont devenues partie intégrante de notre routine quotidienne, écrivait-il, l’image du Mexique s’est effondrée dans l’opinion mondiale ».
Et il ajoutait, s’en prenant aux voyeurs étrangers. « Dans les cercles intellectuels du premier monde, la décomposition de la société mexicaine suscite une curiosité malsaine et exerce un attrait considérable sur nombre d’amateurs de sensations fortes qui en ont assez de vivre dans des endroits où il ne se passe jamais rien, dans ces sociétés européennes où tout est règlementé jusqu'à l’asphyxie ».
Un autre Mexique
Comme tout autre pays rétréci par la loi d’airain de l’information, le Mexique voudrait qu’on le regarde autrement. « J’aimerais tant, me confiait un ami mexicain, que le reste du monde, qui fait mine de s’indigner de la barbarie de nos narcos, accorde autant d’attention à ceux qui, chez nous, se battent contre la violence et la corruption ».
Au Mexique, il n’y a pas que des tueurs et des victimes. Empêtrés dans un système où parfois tout s’emmêle - le droit et le crime, les policiers et les braconniers -, des représentants de l’autorité et des magistrats résistent, malgré tous les risques, aux intimidations. Au sein de la société, des milliers d’activistes, de journalistes, dénoncent, agissent. A l’exemple de Lydia Cacho, journaliste à Cancun qui se bat contre les mafias pédophiles ou d’Esther Chavez, qui, depuis des années, à Ciudad Juarez, « la ville où l’on tue les femmes », lutte contre l’impunité.
Aujourd’hui, désemparés face à tant de violence, des Mexicains cherchent à l’étranger la preuve que ce « pays meilleur » qu’ils incarnent existe bel et bien, qu’il n’est pas une dernière et futile illusion face à la furie qui se déchaîne. « Oublions l’image que vous donnez de nous, demandait Mauricio Tenorio, puisque nous habitons tous ensemble la même maison, hantée par les mêmes fantômes, ensorcelée par les mêmes sortilèges ».
Le reste du monde, les Etats-Unis, en particulier, pourraient aider le Mexique à sortir de cette spirale infernale. Barack Obama a promis d’accroître l’assistance apportée aux forces de l’ordre mexicaine, mais les 400 millions de dollars accordés jusqu’ici font pâle figure face au chiffre d’affaires des narcos, estimé à 15-20 milliards de dollars par an. Shannon O’Neil, du Council on Foreign Relations, soulignait récemment que les Etats-Unis pourraient d’abord « mettre de l’ordre dans leur propre maison », en réduisant leur consommation de drogue, en réprimant sérieusement le blanchiment de l’argent sale et en interdisant la vente d’armes de guerre dans les milliers d’armureries qui se sont installées le long de la très lucrative frontière avec le Mexique.
Rendre confiance
Toutefois, lorsqu’un pays a atteint un tel niveau de désarroi et de désespérance, ces mesures techniques ne suffisent pas. Il est tout aussi essentiel de redonner confiance à une société qui doute de tout, de rassurer cet Autre Mexique qu’il existe bien. Qu’il n’est pas condamné à se laisser réduire aux stéréotypes dont on l’accable.
La semaine dernière, en faisant du Mexique l’invité d’honneur de la Foire du livre de Paris, la France a fait davantage que rendre hommage à des écrivains exceptionnels, elle a réconforté une nation engagée dans sa lutte pour la dignité et la survie. Elle l’a fait en décrivant un Mexique surgi de l’immense héritage des civilisations aztèque et maya, de l’hymne au métissage, d’un art et d’une littérature qui relient superbement le particulier à l’universel.
Un Mexique qui refuse les fatalités dans lesquelles on l’enferme. « L’homme, l’inventeur des idées et des objets, crée sans cesse des ruines, écrivait en 1993 Octavio Paz. L’univers est innocent, même quand il enterre un continent. Le mal est exclusivement humain. Mais si le mal a fait son nid dans la conscience de l’homme, c’est là aussi que réside le remède. Lutter contre le mal, c’est lutter contre nous-mêmes ».
Quand on renvoie au Mexique cet « autoportrait » qui exalte ses créateurs et ses héros, qui reconnaît aussi la fortitude de l’immense majorité de sa population, on ne travestit pas la réalité. On en reflète des étincellements et des lumières essentiels sans lesquels notre regard serait mutilé et l’avenir du Mexique désespéré.